Les résultats des élections régionales sont surtout un échec cuisant pour la gauche, son système de pensée, ses incohérences, sa stratégie politique et son abandon (revendiqué) des classes populaires ; c’est l’échec du socialisme postmoderne, complètement discrédité au plan économique, qui n’a plus que le « sociétal » pour survivre (LGBTisation de la société, massification de l’avortement, égalitarisme forcé, communautarisme, transhumanisme, cosmopolitisme, lutte contre la « haine » et la « xénophobie »).
Ce que l’on appelle la « postmodernité » du socialisme peut être présenté à travers une note du très écouté laboratoire d’idée de la gauche, Terra Nova, publiée le 10 mai 2011 [1], pour anticiper l’élection présidentielle de 2012. Ce qui est présenté comme un « exercice de sociologie électorale » anticipe l’avenir électoral de la gauche et le place dans les minorités, les diplômés, les jeunes et les femmes. Le terreau du socialisme, les « classes laborieuses », les ouvriers ou prolétaires, ne sont plus désignés comme un électorat d’avenir pour la gauche [2]. Ils l’affirment eux-mêmes : « la logique de classe, hier principale grille de lecture électorale, s’est aujourd’hui brouillée. ».
Le socialisme a opté pour une “stratégie des valeurs”. Quelles valeurs ?
À partir de ce constat, ce laboratoire d’idée de gauche, voire d’extrême gauche, tente de déterminer « quelle stratégie la gauche doit-elle adopter pour faire le plein de son nouvel électorat naturel ». Et les auteurs d’affirmer sans ambages qu’ « elle doit opter pour une stratégie de valeurs », afin de trouver son « nouvel électorat naturel » (l’expression est étrange : un électorat naturel peut-il être nouveau ?). La stratégie électorale à adopter, pour les rédacteurs de cette note, c’est une stratégie « centrée sur les valeurs ». Quelles valeurs ? Ils en énoncent rapidement les contours : « insister sur l’investissement dans l’avenir, la promotion de l’émancipation, et mener la bataille sur l’acceptation d’une France diverse, pour une identité nationale intégratrice, pour l’Europe ».
Comment va s’articuler cette « stratégie des valeurs » ? Dans la note de Terra Nova, on lit ce court propos, mais qui signifie beaucoup de choses quand à la manipulation électorale qu’entreprend le socialisme contemporain aux yeux de tous :
« La stratégie complémentaire avec les classes populaires. C’est la tentation naturelle de la gauche, qui ne peut se résoudre, pour des raisons historiques, à perdre les classes populaires. La gauche doit dès lors axer sa campagne sur les priorités économiques et sociales, où elles sont en phase, et faire oublier ses convictions culturelles, notamment sur l’immigration et l’islam. ».
Que sont les convictions culturelles de la gauche sur l’immigration et l’islam ? Promouvoir et exacerber la « diversité », les communautés religieuses, et notamment des traditions religieuses musulmanes, qui ont le droit à tous les égards des élus socialistes, comme la cession quasi-gratuite de terrains pour la construction des mosquées, des soirées ramadan ou encore une souplesse dans le discours concernant le voile islamique ou les conditions d’abattage rituels. Soit la gauche renie ses « convictions culturelles » pour des raisons purement (et bassement) stratégiques, soit elle profite de la présence de l’islam en France pour discréditer définitivement et discriminer tranquillement le christianisme, religion traditionnellement opposée au socialisme et au nouveau monde socialiste, égalitaire, post-humain et cosmopolite.
Un glissement tendanciel de l’électorat
Se produit alors ce qu’ils appellent eux-mêmes un « glissement tendanciel » au sein de la stratégie électorale socialiste. Car cette « stratégie des valeurs » exclut de fait ceux qui n’ont pas accès aux « lumières » issues de ces nouvelles valeurs, ou qui les refusent. C’est le cas des « classes moyennes » : c’est une « stratégie risquée » pour le socialisme que de s’adresser à eux, car « cet électorat n’a pas de tradition de vote à gauche : il demeure versatile tant qu’il n’a pas été fidélisé ». En résumé, cet électorat n’est pas encore converti soit à l’idéal socialiste, soit aux « nouvelles valeurs républicaines », car il conserve encore des habitus réactionnaires, traditionnels ou de simple bon sens.
Le glissement électoral le plus important s’opère vis-à-vis de ce qu’ils appellent les « classes populaires », électorat naturel du socialisme depuis Marx, qui ne font plus, désormais l’objet que d’une « stratégie complémentaire ». Puisque « les tendances sont au basculement des classes populaires à droite », et que, de surcroît, le Front National se place en défenseur de cette classe, c’est désormais une stratégie difficile, pour le socialisme, que de s’adresser aux classes populaires.
Cette désertion des classes populaires, qui se plaint de la vacuité du pouvoir du politique sur l’économie et qui conserve des habitus « réactionnaires », n’est pourtant pas nouvelle. En son temps, Jean-Paul Sartre se plaignait déjà du fait que la classe ouvrière n’est pas « profondément anticapitaliste », et Herbert Marcuse de ce que « le prolétariat est devenu le soutien du système » [3]. Ou encore le cinéaste Pasolini, qui, au début de ses lettres Luthériennes, affirmait qu’il n’y a plus de culture populaire à opposer à une culture bourgeoise, parce que les deux se sont rejointes et confondues dans une même consommation de masse uniforme [4].
Le socialisme postmoderne a abandonné les classes sociales qui n’ont pas accès aux lumières du progrès
Le drame permanent du socialisme, c’est que le prolétariat n’a pas encore conscience de ce qu’il est destiné à régner sur un monde nouveau, et c’est là le drame du socialisme, ce qui fait, aussi, que le Parti doit tout faire pour éduquer les masses et leur faire prendre conscience, de gré ou de force, de leur destin. Cette problématique de fond, inhérente au socialisme, trouve dans le socialisme postmoderne une solution : l’abandon pur et simple des classes sociales qui n’ont pas accès aux lumières du progrès.
Il ne s’agit donc plus, pour ce « socialisme postmoderne » – et c’est en cela qu’il est postmoderne – de libérer la classe prolétaire face à la classe dominante du patronat, mais d’engranger des victoires électorales avec une stratégie de va-tout « progressiste ». Ce socialisme-là abandonne les classes ouvrières en déportant la « lutte des classes » au niveau métapolitique des « valeurs », qui ne sont, pour eux, apparemment pas l’apanage des classes laborieuses. Cette transformation de la stratégie socialiste, et son déplacement de la question sociale à la question « sociétale », peut circonscrire ce que l’on peut appeler, aujourd’hui, le « socialisme postmoderne ». Ce socialisme qui, tout en déconstruisant la France, se déconstruit lui-même.
Vivien Hoch, décembre 2015
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[1] Bruno Jeanbart, Olivier Ferrand, Romain Prudent, Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ?, [en ligne], consulté le 30 octobre 2014 sur http://www.tnova.fr/essai/gauche-quelle-majorit-lectorale-pour-2012
[2] « La classe ouvrière n’est plus le cœur du vote de gauche », idem
[3] Rapportés par Igor Chafarévitch, Le phénomène socialiste, Seuil, Paris, 1977, p. 339
[4] Pier Paolo Pasolini, Lettres luthériennes: Petit traité pédagogique, Folio, Paris, 2012. « Les deux histoires se sont donc rejointes. C’est la première fois dans l’histoire de l’homme. ». « Cette modification s’est faite sous le signe et par la volonté de la civilisation de consommation »
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