Entretien avec Marc Crapez, chercheur en science politique, sur l’actualité politique de la semaine écoulée.
La prestation de François Hollande jeudi soir vous a-t-elle convaincu ? Sa vision de l’Etat a choqué dans les milieux libéraux et libéraux-conservateurs…
A juste titre, au regard de sa réponse « Ça ne coûte rien, c’est l’Etat qui paye ». Cette formulation déresponsabilisante n’est pas digne d’un chef de l’Etat, comptable des deniers publics collectés auprès des citoyens.
Autre problème, les quatre Français invités (trois femmes et un homme issu de la diversité) ne reflétaient pas l’état de l’opinion. L’une représentait manifestement la catégorie des 2% de très satisfaits, l’homme représentait probablement la catégorie des 10% d’assez satisfaits, et aucun ne représentait la catégorie des très mécontents. En outre, ces invités étaient calibrés. Ainsi, la première à s’exprimer, sans-emploi senior, offrait au Président un tremplin pour annoncer une mesure nouvelle. Pas même nouvelle, en l’occurrence, puisqu’il s’agissait du rétablissement partiel de l’Allocation équivalent retraite. Quant à l’homme, réinvité dans les médias le lendemain matin, il donnait de François Hollande une image « super-sympa ».
La com’ était donc omniprésente. Très rapidement, Hollande plaçait un « Et pas que, et pas que », redoublé pour bien être entendu. C’est la plus en vogue des formules « d’jeunes », usitée à la place de la tournure « Et pas seulement ». L’objectif était d’apparaître proche des gens, pour faire oublier les « sans-dents ». Au total, Hollande ne convainc pas car il s’entête dans sa méthode de réforme à petits pas et d’optimisme béat.
« Le terme ‘dérapage’ signifie que certaines catégories surprotégées doivent échapper aux critiques. Sagnol a même été hué par les supporters de Lens… un peu comme dans le quart d’heure de haine d’Orwell »
Willy Sagnol a-t-il vraiment dérapé ? Combien de temps le lobby antiraciste va-t-il continuer à “humilier pour pouvoir dominer” selon les termes d’Eric Zemmour vendredi sur I>Télé ?
Et ils exercent une « terreur », en effet. J’avais parlé, à plusieurs reprises, de terreur idéologique, d’une pression qui fait peur, peur à tout le monde. Le terme « dérapage » signifie que certaines catégories surprotégées doivent échapper aux critiques. Sagnol a même été hué par les supporters de Lens… un peu comme dans le quart d’heure de haine d’Orwell. Seul Jean-Michel Larqué, qui n’a plus à craindre pour sa carrière, a pris la défense de la liberté d’expression, en expliquant qu’il peut y avoir une lacune en touché de balle et intelligence du jeu.
Cette question de l’intelligence subit deux poids deux mesures, car il est de bon ton de dénigrer le QI de certaines catégories : peuple ou grands auteurs du passé notamment. Presque simultanément à l’affaire Sagnol, le peuple américain d’une part et, d’autre part, le penseur libéral David Ricardo, se voyaient taxés de stupidité. Les Américains rejettent-ils un président indécis, velléitaire, en roue libre et obsédé par son propre story-telling ? Les médias français, eux, prétendent que ce sont les Américains qui ne comprennent pas Obama, car sa communication politique est défaillante étant donné qu’il est « trop intelligent » et « pas assez pédagogue » (I-Télé) ! Le « trop intelligent » fait écho au mythe du brillant intellectuel (alors que le parcours universitaire d’Obama est en demi-teinte). Quant au « pas assez pédagogue », on comprend bien qu’il signifie que le peuple Américain n’est pas très futé.
Deuxième exemple, dans l’émission sur le capitalisme diffusé sur Arte, un économiste de gauche (Piketty, ndlr) se permet de déprécier David Ricardo en affirmant qu’il défend : « les intérêts de sa classe mais, par moments, comme chacun d’entre nous, il essaye aussi de raisonner d’un strict point de vue désintéressé, et d’un point de vue logique ». Autrement dit, Ricardo serait aveuglé par ses préjugés égoïstes mais parfois capable, comme un homme normal, de se placer du point de vue de Sirius et d’être cohérent ! Quelle cuistrerie…
« Juppé ne pense pas que l’avis des autres est aussi valable que le sien, il ne pense pas qu’il puisse y avoir un nouveau krach. »
Le retour de Nicolas Sarkozy semble se compliquer davantage chaque jour : l’ancien président peut-il regagner le terrain perdu face à Alain Juppé ? Comment doit-il s’y prendre ? Est-ce souhaitable, selon vous ?
Nicolas Sarkozy déborde actuellement Alain Juppé par la droite. Juppé est dans la position de Valls à gauche : étant le plus au centre, il bénéficie d’une popularité consensuelle. Et joue sur les deux tableaux en bénéficiant aussi de la prime notabilitaire que les retraités de droite qui militent à l’UMP accordent, par légalisme, aux hiérarques établis.
Juppé n’a pourtant guère brillé dans ses fonctions ministérielles. Et c’est un incorrigible pédant. Lors de son dernier passage à l’émission télévisée « Des paroles et des actes », lorsqu’un journaliste l’interrogeait sur le propos de François Fillon suivant lequel un nouveau krach économique est à craindre, il n’a pas pu s’empêcher de rétorquer sèchement : « D’abord je ne pense pas… ». Juppé, en effet, ne pense pas que le monde est tragique, il ne pense pas que l’avis des autres est aussi valable que le sien, il ne pense pas qu’il puisse y avoir un nouveau krach… mais il s’est aperçu de son arrogance à temps pour donner à sa réponse une allure plus pondérée.
A mon sens, il capitalise en ne disant rien de spécial, mais ne tiendra pas la route. Dans l’émission susmentionnée, durant la campagne présidentielle de 2012, il avait débattu avec Hollande qui l’avait ridiculisé. Après Giscard, les Français n’ont pas voulu de Balladur, et ne voudront pas du pontifiant Juppé.
« Le meeting de Sarkozy à Paris marque un changement de ton : les électeurs FN sont des patriotes qui partagent un même souci de rénovation. »
Comment interpréter les récentes polémiques qui ont agité le FN (affaires du militant musulman prosélyte, du militant LGBT de Nancy, polémique autour du grand remplacement, cadre qui réclame la mise à disposition d’églises vides pour les musulmans…) ? Crise de croissance, volonté excessive de se normaliser y compris vis-à-vis de l’oligarchie ?
Je n’ai pas suivi ces faits mais tout ce qui tend à normaliser ce parti me paraît positif. Il est dommage d’avoir évincé le souverainiste Paul-Marie Coûteaux qui contribuait à diversifier les options.
A noter que le meeting de Sarkozy à Paris marque un changement de ton à l’endroit des électeurs du Front national. J’avais relevé, précédemment, des propos empreints de sectarisme. Cette fois, plus question de gens aveuglés par souffrance, peur ou déception, ni de tout le tralala psychosociologique. Les électeurs FN sont des patriotes qui, parfois, « n’arrivent pas à mettre un centime de côté » et qui, souvent, partagent un même souci de rénovation. L’applaudimètre des militants UMP a d’ailleurs salué les mots chrétienté, assimilation, « amour viscéral de la France », qui doit pouvoir « choisir qui elle veut accueillir », pour qu’on ne risque pas de « devenir étranger dans son propre pays ».
Comment réagir face à l’évasion fiscale qui touche notre pays et semble être encouragée par le Luxembourg ?
J’ai publié sur le sujet un article intitulé « Comment collecter l’impôt au 21ème siècle ? ». J’ajoute que le prochain sommet des chefs d’Etat du G20, prévu à la mi-novembre devrait adopter des mesures contre l’optimisation fiscale des multinationales : elles seraient obligées de déclarer les pays où elles s’acquittent de l’impôt, ce qui ferait émerger une contrainte de réputation.
13 Comments
Comments are closed.