Voilà, c’est fait, c’est clair, net et précis : l’État français vient de franchir le point de non-retour où il lui était encore possible de prétendre ne pas prendre les citoyens français pour des abrutis. Depuis le premier octobre, il est officiellement impossible pour l’État, le gouvernement, les députés et toute leur clique institutionnelle de prétendre croire à l’intelligence des Français : depuis ce dimanche, il est maintenant obligatoire de signaler au public les retouches qui auront été faites sur les photos commerciales.
Soyons honnête : il était plus que temps que le législateur se penche sur cette épineuse question des photos retouchées et ce décret apporte enfin une vraie solution à un problème brûlant.
D’un côté, les principaux soucis du pays, depuis le chômage jusqu’à la désindustrialisation en passant par la pauvreté, le terrorisme et les problèmes de logements sont tous déjà amplement résolus depuis l’avènement d’Emmanuel Macron, Messie Cosmogonique et Républicain. D’un autre côté, la recherche du Bonheur Total et Complet ne peut se passer d’une saine réflexion sur les images que nous voyons tous les jours et sur l’absolue nécessité d’offrir à tous une publicité saine pour des esprits sains dans des corps pétillants de santé, ni trop sucré, ni trop salé, ni trop gras, pour votre santé bougez plus, fumer tue, ralentissez enfants, il fait chaud je m’hydrate.
Il était donc aussi logique qu’inévitable que soit enfin abordé cette abominable dérive de notre société qui consiste à retoucher massivement des photos qui transforment des êtres banals en elfes féeriques et autres licornes merveilleuses sans que personne ne se doute de rien. L’objectif de ce nouveau décret — qui tire son origine de la « loi Mannequin » de 2016 et est donc en application depuis le premier octobre — est de lutter contre l’abominable diktat de la minceur (mais pas contre celui de la bêtise, ce serait nettement plus compliqué) en faisant ajouter une mention obligatoire du style « photo retouchée » au bas de l’image commerciale en question. Si l’on y adjoint les habituelles mentions concernant l’alcool, le mangibougisme, la loi Toubon et les précautions d’usage, on va arriver à une somme proprement impressionnante de petits astérisques et renvois en bas d’image sur un paquet de mentions qui n’auront rien à envier aux notices pharmaceutiques de médicaments génériques à formule variable.
L’idée n’est pas nouvelle puisqu’elle hante les couloirs de l’Assemblée depuis plusieurs années. On se souvient qu’en 2009, déjà, l’idée avait pris forme dans un projet de loi qui sera concrétisé par une loi en 2016, et dont le décret d’application vient juste de sortir. Au passage, admirez la rapidité d’action globale de notre belle République : il faut moins de huit ans à une idée idiote consistant à prendre les citoyens pour des buses pour passer de l’état de gribouillis informes sur une serviette en papier de la cantine de l’Assemblée à un décret d’application consternant ! On peut d’ailleurs se réjouir de cette médiocre performance sans laquelle les sprinklers à débilités législatives seraient ouverts à fond et auraient déjà noyé tout le peuple français sous l’avalanche de cerfas.
Fondamentalement, difficile de ne pas comprendre que la marche vers l’abrutissement des masses continue donc, sans le moindre ralentissement. Et si les pas ne s’accompagnent pas de bruits de bottes parce que les fascistes du moment ont appris à utiliser les patins de la morale, ils n’en sont pas moins cadencés comme toute armée en route vers un destin funeste.
En effet et comme je le notais déjà en 2009, toute l’idée de base de cette consternante législation consiste à faire comprendre aux abrutis que nos députés appellent citoyens par-ci, contribuables par-là, et usagers le reste du temps, que lorsqu’une gonzesse à moitié nue vend une voiture ou du chocolat, il se pourrait bien qu’en réalité, ses courbes invraisemblables de bonasse rebondissante soient en réalité un peu bidon et que la réalité palpable soit (au choix) trop plate ou trop charnue. Ils partent probablement du principe qu’utiliser des gonzesses à poil pour vendre des crèmes glacées – qui pousseraient leurs consommatrices à une extase orgasmique – ou pour écouler des bagnoles – en faisant croire au possesseur qu’il sera un meilleur chasseur de bisons sur le périphérique – , ça marche.
C’est bien évidemment parfaitement ridicule : qui ne connait pas le mâle moyen qui achète un véhicule sur des critères terriblement terre-à-terre comme la consommation en ville ou le volume du coffre arrière ? Ou des femmes qui ont osé le bête bac d’un litre de Carte d’Or au lieu d’une demi-douzaine de Magnum Chocolat parce que bon, c’est tout de même foutrement cher leurs glaces à orgasme, zut à la fin ?
L’angle choisi consistera donc à ne pas mettre en exergue le fait, trop évident, que les retouches influenceraient nos comportements pour les consommations courantes (impossible à prouver et du plus haut ridicule, en réalité), mais, plus subrepticement, modifieraient durablement notre perception de la normalité au point de pousser certains ou certaines à l’anorexie.
Paf. L’idée est lâchée, le développement qui s’ensuit est évident : à force de mannequins trop maigres, certains se laissent prendre par la pression sociale et refusent de se nourrir correctement. Et même si réduire l’anorexie à cette caricature devrait largement faire pousser des cris à ceux qui en sont victimes, ça marche : huit ans plus tard, des petites mentions vont apparaître dans les magazines (sinon, bing, amende).
Tout ceci est tout à fait cohérent. Outre que prendre les contribuables, les électeurs, les citoyens pour des abrutis est déjà largement ancré dans les mœurs (et à raison : politiquement, ça rapporte), on va pouvoir faire du bon gros sexisme sans que personne n’y trouve à redire, en laissant bien comprendre que les femmes sont influencées par la publicité alors que les hommes, nettement moins.
Difficile en effet de trouver une seule association, un seul article pour dénoncer l’anorexie provoquée par des mannequins hommes trop maigres, chez les hommes. Difficile de dégoter un reportage qui présenterait des hommes étiques aux traits émaciés indirectement responsables de l’anorexie de Kevin ou de Robert. Il est vrai qu’on ne trouve pas plus d’enquêtes sur un développement dangereux des salles de musculation anarchiques ou la multiplication des maladies de foie et de reins chez certains bodybuilders interlopes adeptes du grignotage de pilules stupéfiantes (et métaboliquement risquées).
En réalité, cette loi et ce décret viennent s’ajouter à la tendance globale qui, en prenant les individus pour d’insondables abrutis incapables de faire la part des choses, crée une confusion générale grandissante et contre-productive. Le sexisme c’est mal, sauf quand on parle anorexie ; la liberté d’expression est indispensable, sauf lorsqu’on a des idées à contre-courant ; il ne faut surtout pas manger trop sucré, trop salé, trop gras, sauf lorsqu’on regarde des mannequins retouchés au Photoshop, auquel cas évitez l’anorexie et reprenez deux fois du cassoulet…
Encore une fois, l’État-nounou, incapable de régler les vrais problèmes de pauvreté, de chômage et de violence qu’il a créés par son intervention brouillonne tous azimuts, s’emploie à réfléchir pour vous et vous protéger de dangers chimériques par la multiplication de petits panneaux signalétiques et de drapeaux anti-girafes (qui marchent bien : regardez, il n’y a aucune girafe en France).
Forcément, ça va bien marcher.
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