Un an après la dernière manifestation de masse contre le mariage gay du 26 mai 2013, revivez ces moments ou la France a pris conscience qu’elle pouvait dire NON. À partir d’aujourd’hui, Nouvelles de France diffuse ce qui est à la fois un récit, un témoignage, un essai articulé autour de ces treize mois de mobilisation inédite et historique. Cet ouvrage unique est publié sous forme de feuilleton, que les électeurs pourront commenter à loisir au long de sa diffusion. L’intégrale est disponible sous format électronique uniquement, l’auteur ne souhaitant pas passer par les maisons d’éditions, on imagine aisément pourquoi.
Aux vieux amis, aux copains de la rue, aux hommes de bonne volonté qui y sont descendu et à ceux qui pour mille raisons, n’ont pu y descendre…
Les cow boys et les indiens : 28 mars 2013
Le collectif a une faculté d’adaptation ultra réactive. Dès le lendemain du 24 mars Albé déclare une manif pour le 28, devant le siège de France 2, où le chef de l’état doit s’exprimer au journal de 20h. Pour gérer les situations qui peuvent faire déraper un événement comme le 24 mars il est décidé de structurer un « Service d’Ordre permanent ». Moralement, on ne peut pas courir le risque d’avoir à nouveau des manifestants blessés ou gazés. On a parlé de moi à Albé et j’accepte volontiers la mission. Je me rends au QG, un studio mezzanine occupé par les « permanents » de la manif : quelques étudiants, des ordinateurs, des téléphones, des piles d’affiches estampillées et un énorme tas de boites à pizza et de canettes vides pleines de mégots. Entre deux plateaux télé Frigide passe faire un saut dans l’antre, pour les embrasser ou les engueuler, selon l’humeur, ou l’actualité. Je déboule là dedans, un peu paumé, bien loin de m’imaginer que tout était géré ainsi. Vu du terrain, on imagine un QG hyper professionnel, à la hauteur de la mobilisation : il n’est de richesse que d’hommes… Je discute un moment avec Albé et lui propose un dispositif. Le rapport de force entre d’un côté les forces de l’ordre équipées, encadrées, payées, réconfortées, syndiquées, reposées, formées, et les manifestants nous est ponctuellement défavorable. 15 000 manifestants radicaux n’auront jamais raison de 5 000 fonctionnaires. Mais sur la durée (1 an) et la masse (1 million) les choses sont différentes. La limite technique, la « pointe d’effort » en maintien de l’ordre à Paris est de 5000 fonctionnaires et 250 gardes à vue. Si nous dépassons cette limite, c’est-à-dire si nous consommons leurs effectifs sans qu’ils soient engagés véritablement dans du maintien de l’ordre, nous construisons un rapport de force politique, d’autorité à autorité. Nous pouvons l’emporter. Nous avons un contrat d’assurance très bien ficelé qui couvre les bénévoles en cas d’accident ou de blessures. Il faut choisir des volontaires solides et déterminés pour les interposer entre les manifestants et la police. Nous avons quelques gaillards sous la main. Je fais appel à mon vieux copain Enzo, qui était au pied du podium le 24 mars. Enzo, c’est un rugbyman qui dépasse les deux mètres et le quintal. Une vraie tour de contrôle dans la foule, et aussi une force de dissuasion à lui tout seul. Nous avons les mêmes réflexes. Son frère est au même format et nous aidera aussi. Il est accompagné de Doudou, peut être le meilleur d’entre nous, le mieux formé, le plus discret, le plus efficace, le plus calme. Orignal, lui est chef d’entreprise. Il avait constitué de très efficaces équipes au profit du canton de Gus. Je me souviens de types louches au look gothique qui rodaient, avec tout un matériel et d’énormes pots (de peinture ?), Orignal et son équipe sur leurs basques. On n’a jamais su ce que ces gens en noir prévoyaient de faire, mais ils ne l’ont pas fait et ont déguerpi. Brution, lui, est là depuis le début aux côtés des VIP de la manif. Calvi, nous rejoindra plus tard. Jean est le seul qui n’a jamais servi sous les drapeaux. Mais c’est un habitué du bénévolat et des services d’ordre. 4 jours après le 24 mars, cette manif est pleine d’appréhensions. Avec nous, se rassemble un groupe hétéroclite de gens provenant de tous horizons : rugbymen, professionnels de la sécurité qui viennent bénévolement, bikers, anciens militants de groupuscules inconnus ou disparus, pères de familles rangés, qui partagent sans réserve la cause. Les forces de l’ordre ont déployé un dispositif impressionnant, digne d’un match à haut risque du PSG. Plus de mille fonctionnaires sont présents, peut être deux mille. Des groupes de policiers en civils en tenue de hooligan, le crâne rasé de frais sont positionnés aux stations de métro. Le siège de France 2 ressemble à un camp de pionniers de la conquête de l’Ouest en plein territoire apache. Les CRS ont fait le cercle avec leurs chariots. Face à eux, un groupe compact de manifestants, parmi les plus chauds bouillants, arrive à partir de 19h. Leur nombre culmine au moment du 20h. Je fais la connaissance de Ludovine, qui préside le collectif. Elle suit avec beaucoup d’intérêt, de recul et de sang froid l’évolution de la manifestation. Juridiquement, c’est in fine elle le responsable légal. Les journalistes de France 2 n’ont jamais vu un tel spectacle. Les flans, les œufs et les yaourts volent sur les CRS et sur les façades. Devant les manifestants la circulation n’a pas été interrompue. La zone est dangereuse. Ils sont sur un trottoir qui surplombe la chaussée de 20 cm. Et ne sont qu’à quelques dizaines de centimètres du flot continu de véhicules dont tous ne sont pas de notre bord. Parfois, un fou accélère et fait hurler son moteur. Dans le dos du paquet de manifestants, une barrière pas bien haute, et les voies de chemin de fer en dessous. Je passe mon temps à tourner autour et à m’assurer que chaque volontaire tient bien dans sa ligne. C’est ce soir là que je vois pour la première fois Rouget, le chef des policiers en civils. Il est très excité. Il ne nous lâche pas d’une semelle. Après le 24 mars on sent qu’il y a des consignes strictes pour faire du chiffre et discréditer le mouvement. Je cherche à l’esquiver, mais il se débrouille toujours pour essayer de savoir ce qui se passe et tenter de capturer des gens. Il donne des ordres aux bénévoles. Il faut ruser pour le tenir à l’écart et expliquer aux gars que c’est nous qui encadrons la manif, pas la police ! Vers 21h une bande d’indiens plus turbulents que les autres se détache et décroche en courant. Ce n’est pas très malin : la cavalerie des policiers en civil les repèrent aussitôt, se lancent à leurs trousses et ils sont ramassés à la station de métro. Avec Albé nous ne savons pas comment disperser correctement cette manif enclavée et sous pression policière. Je vais voir le commissaire qui commande la Compagnie Républicaine de Sécurité qui nous fait face. Il refuse que nous fassions mouvement. Albé ne s’embarrasse pas des formes : il a déjà fait bouger le camion sono, la foule emboîte le pas. Je retourne voir mon commissaire mis devant le fait accompli. Nous nous retrouvons dans un dispositif inédit, imbriqué avec les forces de l’ordre, un car de police à coté du camion sono, les CRS avec leurs boucliers et les manifestants qui dansent autour. Peu à peu les gens quittent les lieux sans difficultés. Ce jour là, tel un jeune chef, Albé a fait preuve d’un esprit d’initiative et de décision qui n’a pas fini de me surprendre.
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Depuis le départ de mes enfants à Bordeaux en 2006, les tracasseries s’accumulent, il devient de plus en plus difficile de les voir. Les dates de vacances négociées ou celles prévues par la justice ne sont jamais respectées. Il faut envoyer un huissier déposer le billet de train car sinon « on » feint ne pas l’avoir reçu. Il y a toujours un changement à la dernière minute, le jour du grand départ en vacances. Les accords pris ne sont jamais respectés. Les tentatives de dialogue et les dépôts de plainte se succèdent, en vain. Depuis sa rencontre avec Valetas au début de 2004 Claire ne veut plus me voir, ni m’adresser la parole. Enfermée dans une stratégie de rupture, elle refuse la médiation familiale. Tout doit se passer par écrit et par mail. La plupart du temps, je reconnais le style administratif et lourdingue de Valetas dans les mails que Claire m’envoie. Une ou deux fois, la trace du copié collé de sa littérature dans le corps d’un mail est encore visible. J’ai déjà subi la prose injurieuse de ce romantique, fin lettré, qui me racontait sa rencontre avec celle qui était alors ma femme, Claire : « c’est le miracle de l’amour »…
En septembre 2010 Camille passe outre la justice, outre l’avis de sa mère et les « recommandations » de « la famille » c’est-à-dire celles de Valetas et… de mes parents. Valetas a expliqué à Camille avec le plus grand sérieux, chiffres à l’appui, que le taux de suicide à Henri IV était anormalement élevé. La voici qui arrive à Paris, radieuse, avec sa valise, pour y faire enfin sa rentrée. Malgré les chausses trappes, les refus, les menaces Patrice Corre, l’excellent proviseur du non moins excellent lycée l’a inscrite en terminale L. L’espoir que les choses reviennent à la normale, que mes enfants puissent avoir la vie qu’ils méritent, renaît.
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Lire aussi :
> Dans la rue, journal d’un militant (janvier 2013-mars 2014) : L’espoir sur les ponts de Paris – 29 janvier 2013
> Dans la rue, journal d’un militant (janvier 2013-mars 2014) : Le jour où tout bascule – 24 mars 2013
> Dans la rue, journal d’un militant (janvier 2013-mars 2014) – L’espoir (2)
> Dans la rue, journal d’un militant (janvier 2013-mars 2014) – L’espoir (1)
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