Libre-échange : Frédéric Bastiat VS Karl Marx

Au début du XIXe siècle, afin de protéger les producteurs de céréales britanniques, des barrières douanières, les Corn Laws, furent dressées contre les importations étrangères dont les prix étaient moins élevés que les prix domestiques.
Ce protectionnisme fut introduit en 1815 et aboli en 1846. Il n’a jamais été réintroduit depuis. Et les Britanniques n’ont plus jamais connu de disette…

Il avait revêtu plusieurs formes : celle de l’interdiction pure et simple quand le prix du quarter (un peu moins d’un quart de tonne) baissait en-dessous d’un certain seuil ou celle d’une échelle mobile de taxes en fonction du prix du quarter.

Deux auteurs ont pris position sur les Corn Laws, et leur abolition, Karl Marx et Frédéric Bastiat.

Le premier dans son Discours sur le libre-échange, du 9 janvier 1848, le second dans des articles de 1846, 1847 et 1848, qui figurent dans son recueil Le libre-échange.

Honneur au barbu.

Karl Marx écrit :

“Tant que le prix du blé était encore élevé, le salaire l’étant également, une petite épargne faite sur la consommation du pain suffisait pour lui procurer d’autres jouissances. Mais du moment que le pain et, en conséquence, le salaire est à très bon marché, il ne pourra presque rien économiser sur le pain pour l’achat d’autres objets.”

Frédéric Bastiat lui répond :

“Quand les objets de première nécessité sont à bas prix, chacun dépense pour vivre une moindre partie de ses profits. Il en reste plus pour se vêtir, pour se meubler, pour acheter des livres, des outils, etc. Ces choses sont devenues plus demandées, il en faut faire davantage ; cela ne se peut sans surcroît de travail, et tout surcroît de travail provoque une hausse des salaires.”

Karl Marx n’en reste pas moins convaincu qu’avec le libre-échange se confirment les lois exposées par les économistes, depuis Quesnay jusqu’à Ricardo, telles qu’il les interprète :

“La première de ces lois, c’est que la concurrence réduit le prix de toute marchandise au minimum de ses frais de production. Ainsi le minimum du salaire est le prix naturel du travail. Et qu’est-ce que le minimum du salaire ? C’est tout juste ce qu’il faut pour produire les objets indispensables à la sustentation de l’ouvrier, pour le mettre en état de se nourrir tant bien que mal et de propager tant soit peu sa race.”

Frédéric Bastiat convient qu’avec le libre-échange, il peut y avoir baisse de salaire, mais à une condition :

“La rareté des aliments est le plus grand des fléaux pour ceux qui n’ont que des bras. Nous croyons que les produits avec lesquels se paie le travail étant moindres, la masse du travail restant la même, il est inévitable qu’il reçoive une moindre rémunération.”

Mais, sinon, ce n’est qu’en cas de disette qu’il y a baisse de salaire :

“Quand le pain est cher, un nombre immense de familles est réduit à se priver d’objets manufacturés, et les gens aisés eux-mêmes sont bien forcés de réduire leurs dépenses. Il s’ensuit que les débouchés se ferment, que les ateliers chôment, que les ouvriers sont congédiés, qu’ils se font concurrence entre eux sous la double pression du chômage et de la faim, en un mot il s’ensuit que les salaires baissent.”

Karl MarxPour Karl Marx, en résumé, le libre-échange, c’est la liberté du capital – quelle horreur ! – :

“Admettez un instant qu’il n’y ait plus de lois céréales, plus de douane, plus d’octroi, enfin que toutes les circonstances accidentelles auxquelles l’ouvrier peut encore s’en prendre, comme étant les causes de sa situation misérable, aient entièrement disparu, et vous aurez déchiré autant de voiles, qui dérobent à ses yeux son véritable ennemi.
Il verra que le capital devenu libre ne le rend pas moins esclave que le capital vexé par les douanes.
Messieurs, ne vous laissez pas imposer par le mot abstrait de liberté.
Liberté de qui ? Ce n’est pas la liberté d’un simple individu, en présence d’un simple individu. C’est la liberté qu’a le capital d’écraser le travailleur.”

Frédéric Bastiat dit au contraire :

“L’échange est un droit naturel comme la propriété. Tout citoyen, qui a créé ou acquis un produit, doit avoir l’option ou de l’appliquer immédiatement à son usage, ou de le céder à quiconque, sur la surface du globe, consent à lui donner en échange l’objet de ses désirs.”

Karl Marx est hostile à la mondialisation :

“Tous les phénomènes destructeurs que la libre concurrence fait naître dans l’intérieur d’un pays se reproduisent dans des proportions plus gigantesques sur le marché de l’univers […]. Si les libres-échangistes ne peuvent pas comprendre comment un pays peut s’enrichir aux dépens de l’autre, nous ne devrons pas en être étonnés, puisque ces mêmes messieurs ne veulent pas non plus comprendre comment, dans l’intérieur d’un pays, une classe peut s’enrichir aux dépens d’une autre classe.”

Frédéric Bastiat, quant à lui, distingue les peuples qui ont recours à la violence pour bâtir une prospérité éphémère, les peuples qui ne demandent rien qu’au travail et à l’échange, enfin les peuples qui s’efforcent d’imposer leurs produits à tous les autres sous le nom de régime prohibitif. Il se réjouit que l’Angleterre évolue de la troisième à la deuxième catégorie :

“Nous avons dit que l’Angleterre, instruite par l’expérience et obéissant à ses intérêts bien entendus, passe du régime prohibitif à la liberté des transactions ; et nous regardons cette révolution comme une des plus imposantes et des plus heureuses dont le monde ait été témoin.”

Karl Marx, ce faux prophète, fait enfin cette prédiction cynique, contredite par les faits :

“En général, de nos jours, le système protecteur est conservateur, tandis que le système du libre-échange est destructeur. Il dissout les anciennes nationalités et pousse à l’extrême l’antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat. En un mot, le système de la liberté commerciale hâte la révolution sociale. C’est seulement dans ce sens révolutionnaire, Messieurs, que je vote en faveur du libre-échange.”

Frédéric Bastiat montre que le protectionnisme se traduit par un profit – pour une industrie – et par deux pertes – pour une autre industrie et pour le consommateur –, ou encore par deux pertes contre un profit pour une nation, tandis que l’échange libre fait deux heureux gagnants.

Avec Frédéric Bastiat, n’ayons donc pas peur du mot, ni de la chose :

“Dites- moi ce que c’est que le libre-échange.
– Mon ami, c’est l’échange libre.
– Ah ! bah ! rien que cela ?
– Pas autre chose ; le droit de troquer librement nos services entre nous.
– Ainsi, libre-échange et échange libre, c’est blanc bonnet et bonnet blanc ?
– Exactement.
– Eh bien ! tout de même, j’aime mieux échange libre. Je ne sais si c’est un effet de l’habitude, mais libre-échange me fait encore peur.”

> le blog de Francis Richard

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42 Comments

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  • goturgot , 9 septembre 2013 @ 16 h 15 min

    Vous ne prêchez pas dans le désert!!!

  • goturgot , 9 septembre 2013 @ 16 h 24 min

    ” il n’est absolument pas concevable qu’il profite de sa position de dominant pour imposer des règles qui interdisent aux autres d’en faire autant.” Cela s’appelle du lobbying, pas du libéralisme.
    Contrairement à ce que vous affirmez, l’échange libre profite plus aux pauvres qu’aux riches. C’est par l’impôt et l’octroi de monopoles (également au moyen de mesures protectionnistes, entre autre) que les élites et politiques et financières s’enrichissent.

  • V_Parlier , 9 septembre 2013 @ 16 h 25 min

    “Pour le reste, il peut à la rigueur codifier la règle du jeu, mais ne doit pas intervenir dans les processus l’économie.”

    C’est dans cette phrase que réside ce qui nous différencie dans notre façon de penser. Vous pensez qu’il est possible de codifier la règle du jeu sans intervenir dans l’économie (c.à.d. ici: les échanges internationaux). Et moi pas. Mais on ne se convaincra pas de toute façon.

  • Frédérique , 9 septembre 2013 @ 16 h 42 min

    @V_Parlier
    “Le problème est que tout çà c’est de l’idéologie sans mise en pratique possible.”
    Exactement, les sites sont envahis de ces “experts” à la petite semaine débitant leur idéologie sans être capable ne serait-ce qu’une fois de tenir compte de la situation réelle du pays. Et lisez “machin” et lisez “truc”, de vrais complexes d’ordinateurs sur pattes, ça scanne, ça stocke, et ça édite selon les besoins, mais aucune synthèse ni réflexion incorporant les faits réels et la situation d’aujourd’hui.

  • goturgot , 9 septembre 2013 @ 16 h 50 min

    Vous confondez idéologie et théorie. Une idéologie n’est pas fondée sur l’observation du réel. Une bonne théorie se vérifie dans le monde réel. En outre, une bonne culture livresque permet de profiter de l’expérience des gens qui nous ont précédés sur cette terre. Elle est aussi nécessaire que notre expérience personnelle pour une bonne compréhension du réel.

  • Frédérique , 9 septembre 2013 @ 17 h 38 min

    “Une bonne théorie se vérifie dans le monde réel” Soit!
    Imaginons, goturgot, président de la république, vous avez le gouvernement et l’assemblée Nationale de votre côté. Quelles sont les premières directives que vous prenez en économie pour appliquer un programme libéral?

  • Sacha , 9 septembre 2013 @ 17 h 58 min

    Je ne vous convaincrai pas, certes. Mais lorsque je parle de “règle du jeu” cela veut dire : vous êtes en relation contractuelle; donc vous ne devez ni extorquer, ni duper, ni spolier, ni recourir à la spéculation”. Cela appelle des lois, un accord sur le modus vivendi, et non pas de commander, par exemple, au citoyen d’acheter s’il n’en a pas envie sous couvert d’une “politique de relance”.

    Mais bon, autant pisser dans un violon… Les esprits sont trop distordus aujourd’hui pour recevoir ces mots.

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