« Levez-vous vite, orages désirés ! » Cet appel romantique que Chateaubriand prête à René connaît aujourd’hui une relecture machiavélique avec Macron. Ce dernier, après avoir promis une véritable renaissance du pays, avait surtout essuyé les intempéries sociales que sa politique et plus encore son style avaient provoquées. Néanmoins, la météorologie médiatique lui demeurait favorable. Pour des raisons diverses, progressisme idéologique pour les uns, intérêts financiers pour d’autres reconnaissants envers celui qui avait favorisé les fortunes mobilières, soutien enfin à celui qui incarnait l’opposition au « nationalisme », les médias ont toujours soutenu l’homme dont ils avaient assuré l’élection. Cette étonnante association de l’échec réel, absolu ou relatif, dans pratiquement tous les domaines avec une bienveillance d’une grande partie de la presse a entraîné une stratégie qui se déploie pleinement avec le nouveau gouvernement en profitant de la torpeur accrue de l’opposition au coeur d’un été « étouffant », comme dirait le ministre de l’intérieur. En fait, plus ça va mal, plus les occasions sont nombreuses de mettre en valeur l’action du pouvoir, la cavalcade de ses représentants et leur monopole sur « l’information ». Comment critiquer une réaction, une réponse à un événement qui témoigne de l’avalanche de drames, de l’addition de crises en train de submerger notre pays et le monde ? Plus les orages éclatent, plus le marchand de paratonnerres fait fortune, comme dans une chanson de Brassens. Autrement dit, on remplace les annonces positives sur un impossible bilan satisfaisant par une communication effrénée sur les menaces et les problèmes pour montrer à quel point le gouvernement et le Chef de l’Etat, Big Brother, veillent sur vous. Un policier de plus est victime de l’ensauvagement et le « premier flic de France » est sur place pour soutenir ses troupes. Une catastrophe frappe le Liban, et le « Président » est le premier à Beyrouth, avec des secouristes et de l’aide matérielle.
Cette agitation privilégie éhontément la communication au détriment de l’action efficace. Le fond du tableau est constitué par l’épidémie. Quelle que soit la réalité du danger, c’est un merveilleux moyen de maintenir la peur, de multiplier les interdictions et les obligations, lesquelles vont surtout opérer sur les citoyens conformistes satisfaits de se plier à toutes les nouvelles règles auxquelles ils sont soumis et qui mêlent le désir égoïste de préserver sa santé au devoir de ne pas nuire aux autres. Une franche collaboration fleurit entre le berger et ses moutons. Evidemment, les loups ne sont pas concernés par la discipline collective. La délinquance, la violence augmentent, mais là encore faute d’une véritable répression épaulée par la justice, on se contente de multiplier les déclarations. Comment un pouvoir issu du socialisme et saupoudré de sarkozysme pourrait-il éviter le grand écart entre les discours, la posture et la réalité, l’imposture ? Certes Sarkozy avait du affronter la grande crise de 2008, mais le décalage entre le Kärcher et la loi pénitentiaire de 2009 dégoulinante de compassion pour les détenus et surtout préoccupée de diminuer leur nombre pour des raisons budgétaires, était une belle illustration de l’impuissance politique camouflée par de belles paroles. Quant au socialisme, depuis 1981, la destruction systématique des piliers de notre société et de notre civilisation, comme la famille, a été enrobée par la rhétorique progressiste. Macron tente de se refaire en deux ans, en prétendant se « réinventer ». L’accent rocailleux, très « terroir », du premier ministre est destiné à donner l’illusion de l’authenticité. Jamais cependant la supercherie n’a été aussi grosse. Alors que l’épidémie avait été minimisée et que cette imprévoyance avait provoqué des pénuries au moment où le virus sévissait, l’Etat joue les pompiers déterminés quand le feu est circonscrit. Alors que la violence quotidienne et le refus de l’autorité se répandent comme un autre virus, ce n’est pas une action cohérente et univoque de restauration de l’ordre qui prévaut, mais l’éventail des déclarations ciblés sur des publics différents et parfois opposés. Le ministre de la justice visite les prisons et se félicite de la diminution des prisonniers. Celui de l’intérieur visite les commissariats et fait l’éloge des policiers blessés ou tués par ceux qui devraient être incarcérés.
Le clou du spectacle dont la mise en scène est impeccable, c’est le président sur son registre, à l’international, au secours du Liban, prenant son bain de foule parmi les Libanais en colère, exploit bien improbable en France. Pendant plus de trois ans, il a plutôt alimenté la guerre en Syrie en s’opposant à la reprise en main de l’ensemble du pays par son Etat souverain. Cette situation est en partie la cause de l’effondrement économique du Liban, notamment à cause du retrait saoudien à l’égard du Hezbollah et des moyens limités de l’Iran, appauvri par les sanctions américaines, qui soutient ce mouvement chiite. Et voici qu’à Beyrouth débarque le Sauveur, qui promet l’engagement d’un pays lui-même surchargé de dettes, et qui, surtout, s’immisce clairement dans la politique intérieure libanaise, en proposant un nouveau pacte interne. Certes, il y a la colère de la foule… Mais peut-on y voir l’expression d’un peuple ? Le Liban est un pays structurellement communautaire, car à l’abri du Mont Liban se sont réfugiées, fuyant les persécutions, les minorités maronite, melkite, arménienne, orthodoxe, druze, alaouite et chiite. Une partie importante de la population est cependant sunnite, et cette marqueterie compliquée sur laquelle repose le système politique confessionnel se double de rivalités partisanes, claniques et personnelles à l’intérieur des communautés, souvent liées à des accointances avec des puissances étrangères. La France est la mère du Liban qu’elle a créé autour de cette communauté maronite avec laquelle elle avait entretenu des relations privilégiées depuis les croisades, en fait. Qu’elle doive jouer un rôle primordial dans les secours apportés aux Libanais après la terrible explosion qui a dévasté Beyrouth, et tenir sa place dans la refondation de la politique libanaise est une évidence, mais on peut craindre que les propos intempestifs de M. Macron, destinés à le faire briller aux yeux des Français, soient inopérants auprès des dirigeants libanais et compris diversement par les communautés qui composent le pays. Les chrétiens ne sont plus majoritaires et sont divisés. L’Arabie saoudite et l’Iran sont en embuscade, d’autres pays aussi. Il y a loin de l’effet médiatique estival à la solution d’un problème aussi profondément ancré dans le pays. Pour l’instant, faisons en sorte que des aides soient apportées aux Libanais, par la France dans la mesure de ses moyens, et par les ONG françaises, notamment chrétiennes, qui depuis longtemps oeuvrent au Liban.