Tribune libre de Christian Vanneste*
Lundi 6 août, la rencontre de deux évènements devait susciter plusieurs réflexions essentielles sur notre temps. Au Japon, on commémorait Hiroshima. Aux États-Unis, on explosait de joie à l’arrivée de Curiosity sur Mars.
Première réflexion : comment ne pas être frappé par le contraste entre la douleur digne des Japonais et l’exubérante et démonstrative jubilation des scientifiques américains ? On y verra pour les uns le choc des civilisations avec le ritualisme et la maîtrise dans l’expression des sentiments, chez les asiatiques et l’expansivité affective, l’hypertrophie gestuelle et verbale des Yankees d’aujourd’hui. C’est sans doute, en partie, vrai. Mais pour les autres, qui ont à la mémoire le souvenir des commémorations new-yorkaises du 11 septembre, avec la même dignité et le symbolisme quasi-identique de la cloche, la confrontation réside davantage dans la manière de considérer la recherche et le progrès scientifique.
Deuxième réflexion : une des victimes survivantes du premier bombardement atomique disait son hostilité au nucléaire, tant civil que militaire, en associant de façon bien compréhensible dans un pays si fragile physiquement, mais si fort mentalement, Fukushima à Hiroshima. Mais cette crainte raisonnable chez une personne dont l’expérience individuelle et collective justifie pleinement son expression ne doit pas soutenir la manipulation généralisée des peurs à laquelle se livrent certains : peur du nucléaire, des OGM, des gaz de schiste, des « nano-technologies », et j’en passe. Le bonheur des ingénieurs américains a rejoint celui des chercheurs du Cern lorsqu’à 99,99% , ceux-ci ont vérifié, il y a quelques semaines l’hypothèse du Boson de Higgs. Bachelard soulignait à quel point la curiosité (Curiosity) dynamisait l’esprit humain et combien l’Homme était davantage « une création du désir qu’une création du besoin ». Indépendamment des retombées indirectes et parfois inattendues des recherches et des expériences, guidée par de bonnes ou de mauvaises raisons, la connaissance scientifique ne cessera pas de progresser. Elle sera stimulée par la compétition entre les nations et leurs savants. La comparaison n’a pas manqué d’être faite aux États-Unis avec les Jeux Olympiques (et donc la Chine !) : “Les Américains font la course en tête », a-t-il été lancé.
Troisième réflexion : le projecteur médiatique braque à ce moment son faisceau beaucoup plus sur les prouesses sportives que sur les exploits scientifiques. Au sportif revient la médaille d’or, au savant celle de bronze et entre les deux s’intercale le politique, tandis que le rôle de l’arbitre revient à des journalistes assez souvent incompétents et superficiels. Or, des records du premier, il ne restera rien, si ce n’est une vaguelette d’inscriptions dans les clubs à la rentrée suivante. Des découvertes du troisième il résultera le véritable progrès ou la très réelle catastrophe pour l’Humanité. Quant au second, plus soucieux d’étaler son intérêt pour les résultats sportifs que sa connaissance des recherches scientifiques, il pourra entraver ou développer celles-ci le plus souvent pour flatter l’opinion. Or, c’est lui qui décide : les Américains consacrent six fois plus d’argent à la conquête spatiale que les Européens. Il est vrai que ceux-ci ont poursuivi la conquête du Boson quand ceux-là l’abandonnaient. La concurrence est inévitable et nécessaire, mais elle laisse aussi place à la collaboration, celle des Français du CNES de Toulouse pour l’aventure martienne ou encore la vaste entente internationale sur le projet ITER de Cadarache présidée par un Japonais ! Mais là encore ce sera aux politiques plus qu’aux savants de trancher.
Jean Rostand disait justement que “la Science avait fait de nous des Dieux avant que nous ne méritions d’être des Hommes ». Le progrès scientifique et technique existe bel et bien. Le progrès politique et moral est plus contestable. Le politique d’aujourd’hui gouverne-t-il plus sagement que Périclès ou Cicéron ? On peut en douter. Il existe à l’Assemblée Nationale un Office Parlementaire des choix scientifiques et technologiques. Il s’agit là d’une des institutions parlementaires les plus respectables par la qualité de son travail et par l’objectivité de ses démarches. Elle est trop peu entendue. Le Politique a, de nos jours, une responsabilité écrasante, à la mesure d’un pouvoir politiquement plus faible, mais dont les moyens matériels et les conséquences humaines ont cru de manière exponentielle. Cette situation historique devrait imposer une double exigence, intellectuelle dans l’obligation de s’informer sérieusement et morale dans le devoir de faire prévaloir, dans la mesure du possible responsable la règle d’or, qu’elle soit kantienne ou chrétienne, universelle par définition en tout cas, et non quelque précaution à la mode, plus ou moins constitutionnalisée.
*Christian Vanneste est un ancien député UMP du Nord.
Photos : Bachelard, philosophe et épistémologue ; Bolt, médaille d’or du “100 mètres » olympique ; Marc Aurèle, philosophe, empereur, et père de Commode, empereur et adepte des Jeux du Cirque.