Revoilà le déficit de la Sécu. La Commission des Comptes de la Sécurité Sociale annonce, le 5 juin, un déficit plus important que prévu. Trois jours plus tôt la Commission de Bruxelles laissait la France sous procédure de déficit excessif ; elle marquait ainsi son scepticisme sur la capacité de notre pays à maîtriser les dépenses de santé ou de retraite sans réformes nouvelles. Mais peu de gens en France s’intéressent à ce sujet. Le déficit de la Sécu est un serpent de mer inscrit dans notre patrimoine national. Cela fait des dizaines d’années que nous allons ainsi de déficit en déficit et que les gouvernements annoncent régulièrement des mesures de nature à « sauver la sécu ». Qui s’en soucierait, sinon quelques mauvais esprits comme les nôtres ?
Alarme de la Commission Européenne
Qui s’inquiète du déficit de notre chère Sécu ? Bien sûr, il en est question dans la recommandation adressée le 2 juin par la Commission Européenne à la France. Mais la question du déficit de la sécu est intégrée dans l’ensemble des mesures que Bruxelles attend de la France pour mettre un terme à la procédure de « déficit excessif ». Cette procédure, dont la suite éventuelle est la condamnation à des pénalités, est maintenue, car la Commission juge insuffisantes les réductions de dépenses publiques : le déficit fin 2015 ne devrait pas être de 3% du PIB, mais de 3,4%. Au passage la Commission recommande de « réduire de façon sensible l’augmentation des dépenses en matière de Sécurité sociale », en particulier « en fixant des objectifs plus ambitieux pour les dépenses annuelles de santé » ou encore « en limitant les coûts des retraites et en rationalisant les allocations familiales et les aides au logement ».
Mais ces recommandations sont noyées au milieu d’autres concernant la simplification des règles administratives et fiscales des entreprises, la réduction du coût du travail, l’ouverture à la concurrence des professions réglementées, la lutte contre les rigidités du marché du travail, etc. Dans les comptes rendus de la presse française sur l’appel de Bruxelles « à ne pas relâcher ses efforts » (titre identique du Figaro et du Monde !), la question de la Sécu n’est abordée qu’en quelques lignes.
La Commission des Comptes s’inquiète aussi
Trois jours plus tard, le 5 juin, la Commission des Comptes de la Sécurité Sociale annonce que le déficit sera plus important que prévu. De quoi faire les gros titres ? Pas du tout, deux mini-colonnes dans Le Monde ! Pourquoi s’inquiéter ? Pour 2013, le déficit du régime général a été de 15,4 milliards d’euros, soit 1,2 milliard de plus que prévu. Et pour 2014, le trou de la Sécu devrait être de 13,4 milliards contre 13 prévus initialement ; « à peine » 0,4 milliard de plus. On ne va pas alerter la population pour si peu.
Nos ministres veillent au grain. Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, est optimiste. Si les rentrées sont inférieures aux prévisions, dit-elle, c’est parce que la croissance est en retard au rendez-vous : élémentaire ! Mais elle rassure : les mesures du PLFRSS (Projet de loi de financement rectificative de Sécurité sociale) vont améliorer la situation : les retraites étant revalorisées plus tard, on va gagner 150 millions ; des mesures promises pour améliorer la compétitivité des entreprises sont reportées à 2016 ; la plupart des prestations sociales sont gelées pour un an. Bref, quelques recettes nouvelles par-ci, quelques dépenses retardées par-là, et la Sécu est sauvée. Dormez, braves gens ; le modèle social français sera reconduit, une fois de plus.
La recette est politiquement adroite : tout va s’arranger dans un proche avenir. En attendant qui pourrait se soucier du déficit de la Sécu ? Quel candidat ou parti s’en préoccupe-t-il ? Il est plus intéressant de savoir qui, de Fillon, Sarkozy ou Juppé affrontera en 2017 Hollande ou Valls. Les primaires sont plus importantes que les déficits.
Il faudrait pourtant rappeler quelques évidences. La première, c’est que, de déficit en déficit, la dette sociale s’ajoute au reste de la dette publique (celle de l’Etat et des collectivités locales), dont elle représente maintenant plus de 12% de la dette publique, sans compter tout ce qui n’est pas provisionné et qu’il faudra bien payer, à commencer par les retraites des fonctionnaires. Mais voilà 40 ans que cela dure !
Immoralité de la dette sociale
La deuxième évidence, c’est que le déficit de la Sécu est la chose la plus immorale qui soit. Car qui dit déficit dit emprunt et donc remboursement par les générations suivantes. Cela veut dire que nos petits-enfants paieront après-demain nos dépenses de santé et de retraite d’aujourd’hui. Léguer à nos petits-enfants, pour dans 30 ans, la charge de nos dépenses-maladie de 2014, est-ce moral ? Si la retraite par capitalisation consiste à placer de l’argent pour préparer l’avenir, la retraite par répartition signifie que les actifs de l’année financent les retraités de la même année, ce qui est explosif en soi, surtout quand les générations ne se renouvellent plus. Mais nous n’en sommes même plus là. La retraite par répartition avec déficit, comme aujourd’hui, signifie que ce sont les actifs de demain qui, en remboursant les emprunts, financeront les retraites d’hier : c’est l’anti-capitalisation !
Toutes les mesures annoncées pour sauver la Sécu, qui n’ont rien sauvé du tout et n’ont pas fait disparaître le déficit, reposent sur deux piliers : augmenter les cotisations et réduire les prestations. La Sécu nous coûte de plus en plus cher (le quart du PIB, plus encore, le tiers si on ajoute toutes les dépenses « sociales ») pour nous rendre de moins en moins de services : chacun le voit à l’évolution des retraites ou aux moindres remboursements des dépenses de santé. Le déficit est toujours là, mais l’Etat Providence assume de moins en moins ses engagements. Et encore une bonne part de la réalité est-elle masquée aux Français puisque le déficit réduit la facture actuelle, pour l’alourdir plus tard.
Les Français détestent les réformes
Aucun gouvernement n’a pris la mesure du problème et n’a entrepris les réformes radicales dont notre Sécu a besoin. C’est le système qu’il faut changer. Un monopole public obligatoire cumule tous les défauts : bureaucratie, absence de concurrence, centralisation, absence de choix. S’agit-il des retraites ? Le modèle système par répartition, a fortiori quand il est en déficit, est inefficace et immoral. Sur ce point, nos lecteurs connaissent les travaux de Jacques Garello et Georges Lane et notamment le dernier ouvrage de J. Garello « Comment sauver vos retraites », Libréchange 2013. A l’inverse la capitalisation permettrait de faire fructifier l’épargne, règlerait la question démographique, donnerait au pays le financement abondant dont il a besoin, et laisserait à chacun un large choix. Fin des déficits.
S’agit-il de la santé ? Il faut avoir le colbertisme chevillé au corps pour imaginer un système unique, centralisé, obligatoire. Dans la plupart des pays voisins, la préférence va vers la privatisation, la concurrence, le libre-choix. Pour ceux qui n’auraient pas les moyens d’une couverture plus lourde, on peut imaginer, comme pour l’automobile, une assurance minimale obligatoire, mais auprès de l’assureur de son choix. La solidarité ? Mais toute assurance repose sur le principe de la solidarité, par nature. Cela changerait-il nos habitudes ? Oui : libre choix, responsabilisation, économies dues à la concurrence, disparition des déficits.
Reste le vrai problème : la classe politique ne veut pas entendre parler des réformes pour ne pas déplaire à tous ceux qui bénéficient d’un régime spécial et craignent de perdre leurs privilèges en cas de changement de système. Les Français ont toujours préféré la Révolution à la réforme. C’est en général plus sanglant et moins efficace.
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