Son nullissime prédécesseur semblait avoir compris. Aux deux habiles journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, qui l’interrogeaient en 2016, Monsieur Patate avait bel et bien déclaré : “Qu’il y ait un problème avec l’islam, c’est vrai. Nul n’en doute”[1].
Au contraire, dès 2017 lors de sa campagne présidentielle, le candidat Jupiter se signale par son silence sur la question.
Puis, en 2018, changement de pied apparent : le 9 juillet, dans son discours au Congrès, le Grand Réformateur médiatique annonce sa volonté de donner toute sa place à sa propre interprétation du vieux serpent de mer de l’islam français. Ce jour-là, il considère”une lecture radicale, agressive de l’islam qui se fixe pour but de mettre en cause nos règles et nos lois de pays libre, dont les principes n’obéissent pas à des mots d’ordre religieux”.
Et qui de mieux placé pour résoudre le problème que Hakim el Karoui ? Relation mondaine du président, issu du monde omniscient de la finance, on le tient à ce titre, parmi ses pairs, pour parfaitement habilité à instituer l’islam de France. Depuis des années l’intéressé prétendait déplorer que plus d’un quart des Français musulmans fussent partisans d’un islam”sécessionniste”. Urgence [presque] plus prioritaire encore que son homologue climatique : les intégrer, de gré ou de force.
Dans sa précédente chronique[2]votre serviteur jugeait pertinent de souligner l’incompatibilité absolue entre :
– d’une part la loi de 1905 : elle peut être considérée comme fondatrice de ce que nous appelons laïcité. Elle a été inscrite dans la Constitution. Elle ne saurait se confondre avec un certain laïcisme persécuteur anticlérical[3] : elle est, en réalité, une loi de liberté religieuse. Cette liberté, comme toutes les libertés, se trouve limitée par un ordre légal, et elle est reconnue aux diverses familles spirituelles françaises[4],
– et, d’autre part, les idées, mais aussi les pratiques de l’islamisme, au sens contemporain[5]du mot. Grosso modo on peut considérer que celles-ci sont mises en œuvre, avec un rayonnement mondial, depuis la fondation des Frères musulmans en 1928.
Pourquoi cette incompatibilité radicale est-elle systématiquement niée ? Dans un remarquable petit livre publié en 2016[6], Jean Birnbaum l’explique. Il souligne d’abord (p. 95) que “la génération 68, celle dont on a assez dit combien elle a marqué la France, ses pouvoirs politiques, intellectuels et médiatiques, cette génération 68, donc, est une génération algérienne et en vérité une génération FLN.”
Or, il démontre plus loin (p. 96), et c’est même la thèse centrale de cet auteur, peu suspect de sympathies droitières[7]: “En 1962 comme en 2016, la génération FLN ne peut envisager l’islam que comme la religion des dominés.”
Tout en commettant l’erreur commune de croire que “la” religion est un seul phénomène dans le christianisme et dans l’islam… tout en manifestant quelques connaissances du sujet supérieures à la moyenne de nos sociologues et politologues… tout en posant, de façon arbitraire et peu convaincante et non prouvée, la “question religieuse”comme centrale dans la pensée de Karl Marx, Jean Birnbaum cible une vraie clef de compréhension : la complaisance teintée d’ignorance de la gauche française vis-à-vis de l’islamisme. Leur compagnonnage, paradoxal et insupportable, ne résulte pas seulement du passé algérien des ex-porteurs de valises du FLN. “Du point de vue du combat anti-impérialiste, qui tient toujours une place si centrale dans l’imaginaire de la gauche, les hommes de Daech peuvent se flatter d’avoir accompli de beaux coups d’éclat” écrit ainsi Birnbaum (p. 199).
Tout ceci conduit nos moyens de désinformation, aux mains de la gauche, à occulter grossièrement les réalités qui les dérangent.
Prenons ici un exemple, on pourrait en citer cent autres : Il faut lire le quotidien nationaliste Présentpour réaliser, le 31 mai[8], sous la plume de Franck Deletraz, la portée du calendrier des révélations, si lentes dans les médias, et cependant tellement évidentes, sur la nature des “explosions”du 24 mai à Lyon.
Le faux étudiant en informatique, mais authentique clandestin algérien Mohammed Hichem M., auteur de l’attentat du 24 mai qui a fait 13 blessés, dont une fillette de 10 ans, a finalement avoué le 29 mai avoir fait allégeance à l’État islamique et à son chef, Abou Bakr al-Baghdadi. La veille de cet aveu, en effet, l’ancien ministre de l’Intérieur, le maire de la capitale des Gaules Collomb avait déjà confié [par conséquent le 28] que la police avait reçu pour consigne de flouter les photos du suspect, et ceci jusqu’au 27 mai. Ces ordres avaient été donnés, “de manière à ne pas donner l’alerte”avant le scrutin du 26 mai. Il avouait”en même temps” que le suspect avait été identifié et placé sous surveillance, dès le 25. La dépêche Reutersdu 30 mai à 16 h 09, soulignait un aspect intéressant de la stratégie des tueurs, ou des tueurs, car tout le dispositif était calculé dans cette perspective meurtrière. “Selon une source proche de l’enquête (…) Il avait auparavant expliqué qu’il voulait faire monter le vote populiste et raciste avant les élections européennes de dimanche pour pousser les musulmans à la révolte…”
Il ne s’agissait donc pas d’un banal retard à l’allumage. Dès le 28, le rédacteur de Présent pouvait, donc, légitimement qualifier un tel traitement de “chef d’œuvre de désinformation et d’intoxication à quelques heures d’un scrutin électoral capital.[9]”
L’expression n’est pas trop forte. Dans les échoppes des compagnons de jadis, leurs chefs d’œuvre d’apprentis restaient exposés durant toute leur carrière.
> Jean-Gilles Malliarakis anime le blog L’Insolent.
Apostilles :
[1]cf. “Un Président ne devrait pas dire ça” ed. Stock.
[2] cf. L’Insolent du 6 juin : “L’islam de France en sa crise”
[3] On lira à ce sujet le livre de Flourens “Le Laïcisme contre la liberté”
[4] Une mise au point s’impose ici, sous forme de rappel. Fort heureusment, l’histoire religieuse de la France ne se résume pas, en effet, à “une foi, une loi, un roi” et aux excès funestes commis au nom de cette maxime, étatiste par excellence. Aux pages sombres de la croisade des Albigeois (1209-1244), au procès de Jeanne d’Arc de 1431, de la saint-Barthélémy de 1572, à l’édit funeste de Fontainebleau de 1685, à la crise janséniste, ouverte sous Louis XIII et qui se prolongeait encore en 1790 sous la Constituante, ont succédé des pages de lumière. Celles-ci, beaucoup plus durables que les drames sanglants évoqués plus haut, sont intervenues bien avant que l’Angleterre, ce modèle incontestable de liberté, n’accepte au cours du XIXe siècle de cesser la persécution des catholiques et n’accorde l’égalité juridique aux israélites. Remarquons que, mêmes divisées par les passions ou déchirées par les rivalités, les diverses familles spirituelles françaises sont toutes issues du judéo-christianisme – y compris la franc-maçonnerie sectaire du grand-orient, exclue depuis 1877 par la grande loge unie d’Angleterre, et que l’auteur de cette chronique, lui-même chrétien orthodoxe, n’apprécie que très modérément. Dans l’esprit de son ancêtre Henri IV, le bon roi Louis XVI avait publié, un quart de siècle avant Napoléon (1811), en faveur des juifs et des protestants, l’édit de tolérance de 1787. Les jacobins, persécuteurs ne lui en ont pas montré beaucoup de reconnaissance.
[5] Au temps de Voltaire le mot s’applique à n’importe quel mahométan.
[6] “Un silence religieux” – la gauche face au djihadisme coll. Point n° 832 ed. du Seuil.
[7]Il dirige Le Monde des livres.
[8]cf. Présentn°9375 daté du 1er juin, en ligne la veille.
[9]cf. Présentn°9373 daté du 29 mai, en ligne la veille..