La stratégie du chômeur volontaire

Ce n’est pas que Laure ait besoin d’argent. Son mari gagne tout à fait correctement sa vie mais, en partie parce qu’elle souhaite garder un pied dans le monde du travail le temps que ces enfants grandissent et aussi parce que quelques euros de revenu supplémentaire permettraient d’améliorer l’ordinaire, elle a décidé de chercher un poste d’assistante à mi-temps.

Bien sûr, Laure ne partait pas gagnante : elle lit les mêmes journaux que vous et s’attendait à ce que ses recherches soient longues et difficiles. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça n’a pas été le cas : je vous passe les détails mais, en ayant répondu à un total de sept annonces, elle a reçu – tenez-vous bien – pas moins de six offres d’emploi fermes (1). Si l’on en croit le retour d’expérience de ses employeurs putatifs, il y avait, en ce mois de janvier 2013 à Marseille, une véritable pénurie : tous, sans exception, se plaignaient de ne pas arriver à recruter.

Bref, en deux semaines montre en main, Laure a trouvé du travail en ayant l’embarras du choix. C’est finalement sur une grosse société de travaux publics qu’elle a jeté son dévolu : métier intéressant, horaires flexibles, patronne « adorable », comité d’entreprise… C’est tout à fait ce qu’elle cherchait.

Considérations économiques

Contractuellement, Laure travaille le matin à raison d’environ 76 heures par mois pour un salaire brut de 12,17 euros de l’heure (129% du Smic). Économiquement, la situation est la suivante : son salaire réel, la somme que son employeur débourse chaque mois pour bénéficier de ses services ou, si vous préférez, la valeur de marché de son travail s’élève à 1 669,23 euros. Là-dessus, l’État prélève un total de 1 013,61 euros de charges et impôts divers (2) – soit 61% de son salaire réel – de telle sorte que son salaire net, celui qu’elle reçoit à chaque fin de mois sur son compte, s’élève à 655,62 euros. Naturellement, sur ce salaire, elle devra encore s’acquitter de sa quote-part de l’IRPP du couple et paiera une foule d’autres taxes directes et indirectes telles que la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) lorsqu’elle fait le plein de sa voiture pour aller travailler.

Laure n’est pas plus radine qu’une autre et elle ne fait pas de politique mais là, vraiment, elle trouve que ça fait beaucoup. Elle trouverait justifié de disposer librement d’une partie plus importante de son salaire et estime que, tout bien considéré, notre modèle social lui coûte un peu cher.

Par ailleurs, à l’issu de son huitième mois d’activité, Laure aura totalisé – ou peu s’en faut – les 610 heures de travail qui lui ouvriront droit à Allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) pour les 245 jours suivants – soit environ huit mois. Or, une rapide simulation sur le site de Pôle-Emploi lui a permis de calculer que, si elle faisait le choix de se mettre au chômage à ce moment-là, elle aurait droit à une allocation journalière de 18,14 euros, net dans sa poche.

Que croyez-vous qu’elle va faire ?

Comprenez-moi bien : aujourd’hui, en travaillant à mi-temps, elle touche 21,85 euros nets par demi-journée de travail et, en se mettant au chômage à partir de la fin du mois de septembre 2013, elle touchera 18,14 euros nets (ou 83% de son salaire net actuel) sans rien faire. En d’autres termes, sur un mois, la différence entre travailler à mi-temps et ne pas travailler du tout sera en moyenne de 105 euros. Rajoutez à cela les économies d’essence et de cantine scolaire qu’elle ferait en restant chez elle, la réduction d’IRPP qui en résulterait et les différentes aides auxquelles son nouveau statut de demandeuse d’emploi lui donnerait droit et posez-vous cette simple question : que croyez-vous qu’elle va faire ?

Un homme sage, dont je n’ai malheureusement pas eu la présence d’esprit de noter le nom, écrivait un jour que « quel que soit le système que vous mettez en place, vous devriez toujours toujours partir du principe selon lequel les gens l’exploiteront au mieux de leurs intérêts. » Laissez-moi vous énoncer une évidence : fin septembre prochain, il y aura une nouvelle demandeuse d’emploi indemnisée par l’Unédic et cette demandeuse d’emploi ne sera pas vraiment à la recherche d’un travail. Après avoir vu son salaire réel ponctionné à hauteur de 61% pendant huit mois, elle va, elle aussi, essayer de profiter un peu de notre modèle social.

“De toute évidence, le chômage stratégique est un phénomène massif et directement induit par notre modèle social.”

N’en doutez pas, Laure fera sans doute comme ses amies de Facebook : elle va « profiter ». Il y a encore quelques années, c’était une stratégie honteuse, le genre de choses que l’on n’admettait que du bout de lèvre mais aujourd’hui, il est communément admis que Laure serait idiote de rempiler pour huit mois de plus. Le chômage, elle y a droit et c’est son intérêt bien compris : au nom de quel principe lui en feriez-vous le reproche ?

Reste, bien sûr, l’aspect budgétaire de la chose : en huit mois, Laure n’aura cotisé qu’à hauteur de 473,6 euros à l’assurance chômage et percevra, tout au long des huit mois qui suivront, un total de 4 408 euros d’ARE. Évitez-vous le calcul : c’est un trou de 3 934,4 euros dans le budget de l’assurance chômage que le monde nous envie.

Chômage stratégique

Que cela vous plaise ou non, le chômage n’est pas seulement un malheur qui s’abat sur un ménage comme la misère sur la bas-clergé, c’est aussi une stratégie d’adaptation, un choix parfaitement volontaire. Là où la presse et nos politiciens nous brossent le portrait du chômeur médiatique – un salarié du secteur industriel victime d’un licenciement économique suite à une délocalisation – une étude récente de l’Unédic (3) tend à prouver que ce profil-type ne correspond, au grand maximum, qu’à 10% des demandeurs d’emplois. À titre de comparaison, les ruptures conventionnelles et les départs volontaires, c’est plus de 13% de l’effectif.

Le fait est que, dans un pays où l’écart entre de généreuses allocations chômages et des salaires sur-ponctionnés est réduit à presque rien, l’incitation à travailler devient quasiment nulle et plus vous descendez dans l’échelle des salaires, plus le phénomène est évident. La France du chômage, ce sont des jeunes sans expérience, des demandeurs d’emploi peu ou pas diplômés (75,8% n’ont pas fait d’études supérieures) et des mères de famille entre deux temps partiels (sans doute plus de 10% de l’effectif à elles-seules). Il est probablement impossible d’en évaluer précisément l’ampleur mais, de toute évidence, le chômage stratégique est un phénomène massif et directement induit par notre modèle social.

Du point de vue des employeurs potentiels, c’est d’ailleurs une cause entendue depuis longtemps. Thomas, un ami d’enfance, ne passe plus par Pôle-Emploi pour recruter, de peur de passer des journées entières à recevoir des candidats qui, manifestement, ne veulent pas du poste mais cherchent juste à valider qu’ils sont bien officiellement à la recherche d’un emploi. Xavier, un ami avocat, a pratiquement supplié Laure de quitter son emploi pour venir remplacer son assistante qui part à la retraite cet été. Dans une région où le chômage bat des records historiques, c’est proprement ubuesque.

À celles et ceux qui veulent continuer à nier l’évidence et qui prétendent défendre les intérêts des victimes de la crise, je n’ai plus qu’une chose à dire : si c’est vraiment l’intérêt des vrais chômeurs qui vous tient à cœur – et c’est tout à votre honneur – réfléchissez bien : tôt ou tard, ce système finira par s’effondrer et ce jour-là, les premières victimes ce seront eux.

> le blog de Georges Kaplan (Guillaume Nicoulaud)

1. Pour être tout à fait exhaustif, elle avait aussi déposé une annonce dans les locaux de l’ordre des avocat qui, en deux semaine, lui a valu huit appels de cabinets qui cherchaient (désespérément) une assistante, même sans expérience.
2. Soit 744,23 euros de charges dites patronales, 240,48 euros de charges dites salariales et 28,9 euros de CSG et de CRDS. Je précise ici que j’ai le bulletin d’avril 2013 sous les yeux.
3. Unédic, Qui sont les allocataires de l’assurance chômage ? (avril 2013) – chiffres à fin-décembre 2011.

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95 Comments

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  • A. , 9 mai 2013 @ 14 h 42 min

    Blâmer Giscard est une chose, mais à ce jour le record de l’immigrationisme fou, de la baisse des effectifs de police et de la casse de l’armée appartient à Sarkozy, mais il pourrait être battu par Bouffon 1er, s’il arrive à rester 5 ans au pouvoir.
    J’aimerais comprendre pourquoi on nous explique qu’ 1 Français sur 3 voudrait le retour de Sarkozy.

  • Bob , 9 mai 2013 @ 15 h 01 min

    Je crois que vous n’avez pas explicité certains points : à lire entre vos lignes, il transparaît que votre amie Laure est une charmante trentenaire BCBG ayant une bonne éducation et parlant un excellent français. Si dans sa recherche d’emploi elle s’est retrouvée en concurrence avec de jeunes marseillaises du genre cagole vulgaire arborant les tatouages sur les bourrelets et pour qui la forme banale de communication est l’invective, ça ne m’étonne pas qu’elle ait reçu 15 propositions en un rien de temps. Les gens ne sont pas fous : ils savent à quel genre de personnes il convient de confier le soin d’accueillir leurs clients. Ce que je dis pose plusieurs problèmes : 1) il n’y a peut-être pas autant d’offre que ça, mais que la demande est encore plus rare. Par “demande”, j’entends bien sûr “demande sérieuse” : je ne compte pas dans la “demande” les candidatures fantaisistes style “Oh la la ! Comme il danse le Mia !!”… 2) ça pose le problème de l’éducation et de l’éducation nationale. Ça mériterait un bouquin entier, mais si on avait appris aux jeunes à se tenir (au moins au boulot) et si on ne les avait pas convaincus que le patron est un exploiteur par essence (alors que dans une entreprise, ceux qui ne savent rien faire et qui pourrissent l’ambiance avec leurs “droits” et leurs chouinements quoique payés au smic, SONT les exploiteurs) tout se passerait mieux. Enfin 3) autre souci de l’éducation nationale : si Laure a reçu 15 proposition aussi vite, elle se classe ipso facto parmi l’élite de la corporation des assistantes. Elle n’en est pas consciente parce que ce mot “Élite” a été effacé du vocabulaire par nos profs gauchos-égalitaristes (avec sûrement ici l’assentiment du patronat). Du coup, elle ne sait pas qu’elle devrait demander au moins 1800€ net pour son mi-temps et ne pas se contenter de ses 655.62€ de mouise. J’ai parlé d'”assentiment du patronat” parce que qui n’a pas intérêt à ce qu’il se sache que si on se retrouve à avoir à choisir entre 15 propositions d’emploi, on se trouve en position de négocier ses prétentions. Dans ce cas, prendre pour base un triplement me semble raisonnable. Xavier l’avocat la supplie ? Qu’il la supplie donc avec 1800€ nets… Ça devrait mieux marcher. C’est un travers français. Les Ricains disent “if you pay peanuts, you get monkeys”… En France, on dirait plutôt “I’m paying peanuts -period- And I’m hoping no monkeys would show up”.

    Je propose ici une alternative au chômage volontaire : renégocier ses émoluements sur une base sérieuse. À Xavier l’avocat de voir si ça vaut le coup de refuser des affaires ou de perdre des procès parcequ’il faut qu’il prenne le temps de ranger lui-même ses paperasses juste pour économiser 2000€ par mois.

  • laurent , 9 mai 2013 @ 15 h 18 min

    En tant que “patron”, je trouve que cet article est parfaitement réaliste et bien vu.
    Lorsqu’un patron rencontre un autre patron, savez vous de quoi ils parlent : de l’incapacité à embaucher : pour ma part j’ai proposé il y 2 ans un poste d’avocat à 8000 euros net pour une jeune femme de 36 ans : elle a hésité et n’a pas donné suite ; un ami qui a une boite d’assistance à maîtrise d’ouvrage en eau potable, assainissement, traitement des déchets cherche en permanence de jeunes ingénieurs dans ce domaine, l’artisan menuisier qui m’a refait une partie de mon toit cherche aussi à recruter, tout comme le vendeur de sandwich en bas de mon Cabinet cherche des vendeurs qui acceptent d’être ponctuels le matin…bref, avocats, ingénieurs, secrétaire, vendeurs de sandwichs, menuisiers, etc….les patrons cherchent tous à recruter mais les Français ne veulent pas bosser, ni à 8000 euros par moi ni à 2000 euros par mois…

  • Francois Desvignes , 9 mai 2013 @ 15 h 19 min

    L’auteur de l’artiicle a entièrement raison : si nous ne restaurons pas la valeur travail nous subventionnerons l’oisiveté.

    En période de croissance économique, c’est une gabegie injuste, coûteuse et absurde.

    En période de décroissance , c’est du pur sabordage.

    Donc, pour avoir vécu (bien malgré nous) dans la gabegie pendant les trentre glorieuses, nous nous sommes appliqués à nous saborder depuis les trente piteuses.

    L’avantage dans le désastre, c’est qu’il a toujours une fin : celle de nos moyens.

    Bien sûr, pour restaurer la valeur travail, il faudrait que l’Etat cesse de nous mettre en tutelle sous pretexte qu’il saurait et que nous serions des cons.

    Bien sûr l’Etat fera tout sauf réduire ses missions, et donc ses prélèvements.

    Bien sûr, le désastre touche à sa fin : nous n’avons plus les moyens de fiancer l’Etat.

  • Bernard , 9 mai 2013 @ 15 h 32 min

    oh que NON ! Vous vous trompez lourdement car le DESASTRE COMMENCE SEULEMENT
    Ils nous disent , eux aussi, que la CRISE est derrière NOUS parce qu’ils sont convaincus que nous sommes des CONS et NOUS LE SOMMES ! La valeur travail, mon ” bon Monsieur ” nous l’avons eu pendant 40 ans, 60H / semaine et non 35 h, pour quel résultat ? Les retraités les vivent ces résultats et me permettent de vous donner mon point de vue de vieux con = ” LA VIE EST UNE FARCE ET ARNAQUE “, en mesurant mes mots, soyez en certain !
    Restaurer la valeur travail, mais comment le pensez vous ? En attribuant à tous ceux qui ne veulent pas travailler d’être ” aidés ” par ceux qui travaillent ! STUPIDITE ! Mais nous vous laissons prendre le problème en main, courage à vous ! Il est plus aisé de ” rêver ” que d’AGIR
    Là aussi vous aurez peu de moyens !!

  • Jack , 9 mai 2013 @ 15 h 41 min

    Chiche, je suis prêt à travailler à bas prix (je l’avais déjà fait avant d’être au chômage) mais à condition de payer les dépenses obligatoires également à bas prix. C’est curieux les assurances et couvertures maladies ne baissent jamais. Il faut toujours payer plus et quand il y a un accident ou un sinistre, on vous ôte telle ou telle chose qui ne faisait pas partie du contrat.
    Alors c’est bien beau de critiquer les chômeurs mais les rentes à vie sont à chercher du côté des assureurs car on est obligé d’être assuré (ce sont de véritables impôts prélevés par des compagnies privées). C’est beau le libéralisme.

  • monhugo , 9 mai 2013 @ 15 h 58 min

    A Frédérique, le début de la fin (de la société française) date des années 70 et de VGE (regroupement familial : faire venir les conjoints et laisser tout ce petit monde se reproduire et avoir la nationalité française en vertu de cette abomination qu’est la loi du sol – tout en gardant sa nationalité d’origine). Les successeurs ont évidemment continué, et amplifié. Qui fait les enfants dont on nous rebat les oreilles (natalité assurant quasiment le remplacement des générations) ? Essentiellement les familles immigrées (ou d’origine immigrée), d’immigration récente, c’est-à-dire musulmanes.Quelle belle France !

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