Le coup de piolet de Mélenchon

Les élections législatives vont sans doute permettre quelques utiles précisions. Certaines négociations de coulisses laissent en effet entrevoir les points faibles de la formule Hollande. Vainqueur, en partie, grâce à un apport de voix du MoDem, le nouveau pouvoir présidentiel peine en ce moment sur une question apparemment mineure. Symboliquement en effet, il lui faudrait imposer à ses alliés d’extrême gauche qu’une toute petite place soit laissée au chef de ce parti, lui-même député sortant des Pyrénées-Atlantiques. Le Front de gauche pour sa part rechigne, même sur ce point de détail.

Dans un brillant article (1), Dominique Reynié s’efforce pourtant de décrire ce qu’il appelle “Les trois défaites de Jean-Luc Mélenchon. Si son analyse se révélait complètement exacte, la droite ne pourrait que s’en féliciter. Elle pourrait s’exclamer à l’instar du camarade Marchais autrefois : “Ça, c’est une bonne nouvelle”, à prononcer avec l’inimitable accent des clowns.

Que tend donc à démontrer le directeur général de la Fondation pour l’innovation politique ?

Objectif n° 1 de Mélenchon selon notre politologue : Relancer le vote communiste. Échec. “En 2012, le total gauche communiste (12,8 %) est inférieur à la valeur médiane (13,8 %) que fait apparaître la série des 7 résultats obtenus entre 1965 et 2012.”

Objectif n° 2 du chef du Front de gauche d’après cette analyse : laisser la candidate du FN loin derrière. Échec.

Objectif n° 3 du candidat à en croire l’article : Rendre le peuple à la gauche. Échec. “Les classes populaires préfèrent le populisme de droite.”

Et de tirer la double conclusion suivante

“Un populisme sans nationalisme est d’autant plus sûrement voué à l’échec qu’il doit affronter la concurrence d’un populisme xénophobe. Lors du premier tour de l’élection présidentielle française de 2012, la triple défaite de Jean-Luc Mélenchon fournit ainsi la plus récente illustration d’une tendance européenne de fond.”

2° Et surtout : “Ces résultats paraissent confirmer les thèses présentées dans mon récent livre sur les populismes, en particulier dans les pages consacrées au problème de Mélenchon” car, est-il affirmé, “prise dans le vieillissement démographique, la crise économique, les exigences de la globalisation et l’épuisement financier de l’État providence, l’Europe s’abandonne au populisme de droite.”

Notons d’abord, que notre professeur de Sciences politiques raisonne en pur démocrate. Du point de vue moral, et même civique, on peut mettre ce mode de pensée à son honneur.

Malheureusement, pour sa part, l’objet de son étude cache à peine son admiration pour Fidel Castro et pour Lénine. Certes, comme Chavez, qu’il soutient ouvertement, il sacrifie aux formalités du suffrage. Mais ni lui-même, ni ses amis communistes ne considèrent sincèrement que la vérité sorte des urnes.

Moyennant quoi, l’erreur essentielle consiste à utiliser ce concept illusoire, mal défini ou tout au moins ambigu, ce mot exaspérant de “populisme”. Et l’on couvre alors de la même étiquette le “populisme de droite” et les continuateurs du marxisme-léninisme. Les graves conséquences de cet amalgame faussement symétrique ne devraient échapper à personne.

En fait on doit aussi observer que les trois objectifs prêtés à Mélenchon n’ont jamais été posés par l’intéressé. Le mot d’ordre de “laisser loin derrière”, par exemple, n’est vraiment apparu qu’à la fin de la campagne. Et si le Front de gauche a surtout servi de vitrine au PCF, il ne s’est jamais défini comme tel.

Quand Mélenchon, en tant que dirigeant de son petit mouvement, se lançait dans son opération candidature, à laquelle le parti communiste n’a prêté son concours qu’après un douloureux débat interne, son projet semblait faire sourire les commentateurs agréés.

On la qualifiait presque au départ de galéjade ou de tartarinade.

À partir d’un certain moment, on ne rigole plus. Mélenchon arrive comme “l’homme avec une tête d’homme” dans le “Dîner de tête à Paris-France” de Prévert : “Premier qui dit et ta sœur est un homme mort. Personne le dit. Il a tort : c’était pour rire”.

Après le rassemblement de Marseille du 14 avril, et dès la manifestation de la Bastille du 18 mars pour l’anniversaire de la Commune, on prend au sérieux le personnage. Certains journaux commencent à l’instrumentaliser. On peut même se demander si ce renversement d’un excès, ce passage d’une sous-estimation originelle, aboutissant à surestimation soudaine, n’a pas entraîné le désir d’une petite fraction de la droite de relever son défi.

En vérité, on doit ouvrir les yeux sur les conséquences de la campagne de Mélenchon.

Elle a remis en selle le parti communiste. L’appareil stalinien contrôle plus de 90 % du dispositif. La vieille machine ne cherche d’ailleurs pas à personnaliser trop longtemps autour de l’ancien trotskiste.

Les vrais chiffres parlent d’eux-mêmes.

En 2007 la candidate et secrétaire générale du PCF Buffet obtenait 1,93 % des voix et la globalité de la “gauche de la gauche” (Besancenot 4,08 % + Laguiller 1,33 % + Bové 1,32 % + Schivardi 0,34 %) totalisait péniblement 9 % des suffrages. La place du colonel Fabien représentait donc alors à peine 21 % de cette famille marxiste.

Cinq ans plus tard l’ensemble (Mélenchon 11,1 % + Poutou 1,15 % + Arthaud 0,56 %) est parvenu à recueillir 4,6 millions de voix. Mais désormais le porte-drapeau investi par les staliniens, d’origine trotskiste-lambertiste lui-même, pèse plus des quatre cinquièmes, exactement 86,6 % du poids de cette galaxie. Le candidat lui-même a peut-être subi “trois échecs” aux yeux des politologues. L’opération a réunifié la famille divisée depuis tant d’années, avec le soutien sinon le parrainage de la CGT et de la FSU. Le rêve des lambertistes est accompli. Les coups de piolet sont pardonnés.

Le vieux parti que certains croient mort, à moins qu’il s’agisse de son supposé fantôme, a prouvé qu’il n’a pas dit son dernier mot.

Cet article a été publié en partenariat avec L’Insolent.

1. cf. “Trop libre” du 1er mai 2012.

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3 Comments

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  • 0 / 10
  • Robert , 9 mai 2012 @ 13 h 48 min

    Aie!
    Il ne faut jamais parler de piolet dans la maison troskyste, ça porte malheur!
    Un Ramon Mercader n’est jamais loin pour ouvrir le crâne à une “vipère hitléro-trotskyste.”
    Chez ces gens-là, monsieur, on ne rigole pas!

  • LECONTE DE PARIS , 9 mai 2012 @ 15 h 48 min

    Trop d’ skis au Mexique ? Je ne comprends plus …

  • ZISSU Sorel , 10 mai 2012 @ 7 h 28 min

    Excellent, Robert, BRAVO !

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