L’ami Marc Cohen a très récemment commis un article dans lequel il s’insurge de ce que David Einhorn, fondateur et président du fonds Greenlight Capital, ait osé – Ô sacrilège ! – porter plainte contre Apple au motif que la firme de Cupertino aurait une fâcheuse tendance à accumuler des dollars sur ses comptes bancaires au lieu de les redistribuer à ses actionnaires sous forme de dividendes.
J’aime bien Marc. C’est un type éminemment sympathique qui, par ailleurs, a le chic de dire et d’écrire des choses étonnamment intelligentes pour un journaliste français et, ce qui ne gâche rien, de les écrire bien par-dessus le marché. Seulement, là, sur ce cas précis, je crains bien que Marc se laisse quelque peu aveugler par son affection – fort compréhensible – pour l’entreprise de feu Steve Jobs. Je m’explique.
Voilà la situation : au dernier pointage, au 29 décembre 2012, Apple détenait pas moins de 137,112 milliards de dollars sous forme de liquidités, de fonds d’investissement, d’actions, de bons du Trésor et autres actifs financiers ; soit pratiquement 70% du total de son bilan. Disons les choses clairement : c’est énorme ; au cours actuels, c’est largement assez pour racheter 48 fois Peugeot ou 60% des actions de Microsoft.
Si Apple a accumulé un tel trésor de guerre, c’est pour trois raisons : primo, depuis le lancement des iPhones et autres iPads, la firme californienne gagne énormément d’argent ; deuxio, elle ne verse pas de dividendes à ses actionnaires (tout au plus rachète-t-elle quelques actions de temps en temps) ; tertio, et c’est là que le bât blesse, elle n’a pas réinvesti cette petite montagne de dollars dans son appareil de production.
Un petit rappel d’impose : quand une entreprise gagne de l’argent, elle peut l’utiliser pour (a) rémunérer ses actionnaires (via des dividendes ou en rachetant ses propres actions) ou (b) réinvestir ses profits (se payer une nouvelle usine par exemple). Dans une entreprise bien gérée, le choix entre ces deux stratégies repose fondamentalement sur une seule considération : réinvestir, pourquoi pas, mais dans quoi ? C’est-à-dire qu’une entreprise qui gagne de l’argent mais qui, pour une raison où une autre, n’a pas véritablement de projet d’investissement solide en vue devrait, si elle est bien gérée, payer des dividendes à ses actionnaires ; lesquels sauront sans doute réinvestir cet argent dans une entreprise qui, justement, en a besoin.
De ce qui précède, le lecteur aura compris que le discours très en vogue chez nos politiciens qui consiste à stigmatiser les entreprises qui paient des dividendes est parfaitement stupide. Investir pour investir c’est contreproductif : le capital à un coût, alors autant l’allouer intelligemment, c’est-à-dire sur de véritables projets d’investissement.
Or voilà, tel n’est pas le cas d’Apple qui, depuis quelques années, accumule des dollars en quantité stratosphérique… pour investir sur des fonds monétaires et des obligations d’État. Aux cours actuels, cette pile de cash représente plus de 31% de la valeur d’Apple ; c’est-à-dire que pour chaque action de l’entreprise, vous avez moins de 70% d’Apple et plus de 30% de d’actifs financiers qui n’ont absolument rien avoir avec les iPhones ou les iPads.
Ce que M. Einhorn dit, c’est qu’à moins que la direction d’Apple ait un projet précis derrière la tête, elle devrait rendre ce cash aux actionnaires de manière à ce qu’il puisse être redéployé là où il est utile ; c’est-à-dire là où il est profitable. Et il a parfaitement raison. En tant qu’investisseur professionnel, si j’investis dans Apple, c’est pour avoir du Apple ; si j’ai envie de détenir des bons du Trésor américains, je les achète moi-même.
Et manifestement, au 1 Infinite Loop à Cupertino, on commence à se rendre compte que M. Einhorn ne fait que dire tout haut ce que la plupart des investisseurs pense : plus Apple se gorgera de cash, moins on trouvera d’acheteurs qui, avec un cours à plus de $468, acceptent de payer 3 fois et demi les fonds propres et plus de 10 années de bénéfices. Il semble qu’Apple soit en train de réfléchir très sérieusement à la question : c’est une très bonne chose pour leurs actionnaires (le cours remonte) mais aussi pour le reste de l’économie.
> le blog de Georges Kaplan
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