La sortie du livre de Michael Wolff, Fire and Fury, poursuit deux objectifs : d’abord, faire beaucoup d’argent par une vente mondiale massive, ensuite, déstabiliser le Président américain qui a osé remettre en cause la domination de l’ »establishment » progressiste dont Hillary Clinton était la candidate. Ce brûlot médiatique se veut un diagnostic sur un Président illégitime parce qu’il serait au pis complètement fou, au mieux idiot, et en tout cas immature, avec une psychologie infantile du désir impulsif. En fait, ce bilan de santé mentale est lui-même un symptôme, celui d’une société américaine, et peut-être occidentale, bien malade qui s’éloigne à grands pas de la démocratie.
Qu’on le veuille ou non, Donald Trump est le Président des États-Unis, la première puissance mondiale. C’est un héritier qui, loin d’avoir dilapidé son héritage, l’a fait fructifier pour le métamorphoser en empire immobilier associé à son nom, devenu une marque dotée de sa propre valeur marchande. Comme tout promoteur, il a connu des succès et des échecs, mais a toujours su résoudre les difficultés et surmonter les déconvenues. Un tel parcours pendant 45 ans n’est en général pas l’indice d’un dérangement mental, ni d’une faiblesse intellectuelle. La réussite considérable de son émission de télévision, The Apprentice ne peut que confirmer ce sentiment, en permettant toutefois de noter les particularités psychologiques du personnage. Il se dit génial et très équilibré. Cette saillie en forme de tweet, comme d’habitude, révèle son goût pour la répartie immédiate et provocatrice, pour sa propre mise en scène. Il est vrai que cette manière de riposter en défiant a un côté « cour de récréation » qui peut inquiéter. Il faut toutefois se souvenir que la néoténie, la capacité typiquement humaine de garder jusqu’à un âge avancé des tendances juvéniles comme le plaisir du jeu, est plutôt considérée comme un signe de l’intelligence supérieure de l’homme. On peut penser qu’élu parce qu’il était différent, Trump cultive sa différence parce qu’elle agace les progressistes libéraux de « l’establishment », mais qu’elle plaît à plus de 80% de l’électorat républicain. Sa capacité à passer d’un registre à l’autre, par exemple, en proposant un dialogue au dictateur nord-coréen après l’avoir affublé des sobriquets les plus méprisants, peut être perçue comme incohérente ou au contraire comme l’art de souffler le chaud et le froid pour déstabiliser un adversaire. « Ces malades qui nous gouvernent », « Ces fous qui nous gouvernent », sont des ouvrages déjà anciens. Ils ont attiré l’attention sur la nécessité du contrôle médical d’un chef d’État ou de gouvernement. Il ne nous ont pas appris que l’exercice du pouvoir, et sa prise plus encore, demandent une certaine dose d’anormalité. Le pire de nos derniers présidents n’a-t-il pas été celui qui se voulait « normal » ? Trump n’a commis aucune folie politique. Il a mis en œuvre une politique à contre-courant de la pensée unique comme il l’avait promis à ses électeurs populistes : peut-on lui reprocher uniquement parce qu’il le fait avec le style qui lui est particulier ? Il défend l’industrie américaine pour protéger les emplois. Il baisse les impôts pour créer de la croissance et du pouvoir d’achat. Il est climato-sceptique et veut limiter l’immigration. S’opposer aux idées qui sont celles de la superclasse mondiale qui domine le monde occidental n’est pas de la paranoïa, mais peut-être de la lucidité.
En face, il y a un ramasseur de ragots, comme il y a des ramasseurs de mégots. Comme le dit Alisyn Camerota, de CNN, l’auteur du brûlot, Michaël Wolff, n’est pas un journaliste. Il ne vérifie pas les propos qu’il a récoltés et ne recoupe pas ses sources. Il est clair qu’il avait déjà conçu le fil rouge de l’ouvrage avant de chercher des anecdotes vraies ou fausses pour le remplir. Ce sera un grand succès de librairie dont l’exploitation politique est évidente. Wolff avait déjà exécuté le magnat de la presse Rupert Murdoch, conservateur, lui-aussi, de la même manière. Le doute sur l’équilibre mental, sur le narcissisme infantile de Donald Trump, qui est l’objectif des détails donnés sur la vie de la Maison Blanche depuis un an, n’ira pas jusqu’à justifier une destitution, politiquement irréalisable, mais elle favorisera le camp démocrate pour les prochaines échéances. Plus gênants sont les propos de Steve Bannon, le « Buisson » de Trump, désormais rejeté, au grand plaisir du Parti Républicain. Ceux-ci alimentent l’enquête du Procureur et ancien directeur du FBI, Robert Mueller, sur les contacts entre la famille Trump et la Russie, durant la campagne. Dans quelle mesure cela tend-il à compenser les soupçons dont Hillary Clinton est l’objet sur un certain nombre de dossiers, comme l’annulation du projet Cassandra contre le Hezbollah afin de permettre à Obama de trouver un accord avec l’Iran, la vente d’Uranium One à une société russe, ou encore l’utilisation d’un serveur personnel non sécurisé par la Secrétaire d’État ? Dans ce duel judiciaire et médiatique apparemment lancé au nom de l’intérêt supérieur de la Nation, on voit bien qu’il est surtout question de s’emparer du pouvoir, ou de le garder, à n’importe quel prix. Qu’importe la paralysie politique du Président, qu’importe la dégradation de l’image du pays aux yeux du monde ? La seule chose qui compte c’est de jouir de ce pouvoir si attirant ! Le déluge, pour le reste du monde ! D’ailleurs, c’est bien ce qui s’est produit avec Carter lorsque Nixon a été acculé à la démission. Ce visage de la démocratie est inquiétant. Le bilan de la politique américaine depuis 1945 avec de nombreux échecs et des succès obtenus soit par des moyens dangereux, soit par les fragilités internes des adversaires, est loin d’être positif. Tous ceux qui aiment le pays qui a fait triompher la liberté durant la seconde guerre mondiale doivent craindre la dérive actuelle.
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