L’aveu de Hollande.
Tribune libre de Philippe Simonnot*
C’est une petite phrase. À la fin d’un long entretien. Prononcée à regret. Comme pour dire qu’il avait tout prévu, même cela.
François Hollande passe pour un optimiste invétéré. Le plus souvent possible, il arbore un sourire en V, sur des dents bien blanches, le V d’une victoire inattendue des caciques de son propre parti. Certes, il a reconnu la « gravité exceptionnelle » de la crise que nous traversons – un peu tardivement sans doute – mais pour justifier les mesures drastiques annoncées début septembre 2012 après la somnolence nonchalante des vacances, et pour montrer qu’il reste maître de la situation. Mais le ton n’y était pas. On attendait Churchill. On a eu droit à une sorte de « Ballamou » de gauche. Impavide. Il a reçu tellement de coups, même de ses proches qu’il est blindé.
Le fond de sa pensée, il la livre aux journalistes du Monde venus tâter son pouls en cette fin du mois d’octobre 2012 alors que sa cote de popularité est en chute libre : « Nous en sommes à la troisième année de crise. La reprise va arriver. C’est une question de cycle ». Alors, pourquoi parler de crise exceptionnelle ? Des cycles, le capitalisme en connaît régulièrement. Et les rebonds suivent les rechutes indéfiniment. C’est ce que disaient déjà les optimistes en 1929. Ne vous inquiétez pas. La prospérité va revenir. Elle est au coin de la rue. Ils n’avaient pas compris la gravité exceptionnelle du krach exceptionnel de la Bourse de New York.
Une question de cycle ? Non, Monsieur le Président. Et vous avez entrevu la réalité pendant quelques secondes devant Le Monde. « Il peut aussi y avoir un scénario noir, celui de la récession. Le rôle du chef de l’État, c’est de préparer toutes les hypothèses ». La forme est maladroite – on ne prépare pas des hypothèses, on les envisage. Éventuellement, on prépare des ripostes. L’aveu n’en est pas moins troublant. Prononcé mezza voce, il en dit long sur le doute qui s’est emparé du sommet de l’État.
De fait, la crise d’aujourd’hui est aussi profonde que celle de 1929. Vous avez été mal conseillé si on vous a parlé d’une crise seulement cyclique. Et vous êtes malavisé d’en faire l’hypothèse centrale de votre action. Ce n’est pas une crise cyclique. C’est une crise du système. Dommage que le Parti socialiste ait abandonné le marxisme, car il y aurait vu peut-être plus clair qu’une social-démocratie à la française, économiquement inculte, qui croit déceler dans le cataclysme actuel une crise du marché, une crise de la dérégulation. C’est en tout cas ce que répètent jour et nuit les experts français patentés, payés soit par l’État soit par les banques.
Après cet aveu au Monde, Hollande est vite revenu à sa marotte des cycles. Dans Le Nouvel Observateur du 8 novembre, le Président « espère un effet de cycle à la mi-2013 ». « Alors, confie-t-il à Laurent Joffrin qui veut encore croire dans la bonne étoile hollandaise, comme je l’ai dit, la courbe du chômage devrait s’inverser. »
En fait, la récession est pour l’an prochain, Monsieur le Président. Le scénario noir va s’imposer.
Le calcul qui permet cette prévision est simple.
L’ajustement budgétaire annoncé par François Hollande avec beaucoup de solennité est de 30 milliards d’euros : 10 milliards de moindres dépenses et 20 milliards de recettes fiscales supplémentaires. Cet ajustement équivaut à 1,5% du PIB.
L’incidence négative sur le PIB sera au minimum une décroissance de 1,5 %. Si vous retirez ce pourcentage des 0,8% de croissance prévus par le gouvernement, vous arrivez à une récession de 0,7%. C.Q.F.D.
Et encore ne prend-on en considération ni l’effet récessif sur la France de la conjoncture européenne, fortement déprimée, ni une éventuelle tension sur les taux d’intérêt français du fait de la perspective des mauvais résultats français, ni les anticipations négatives en France tant des consommateurs que des investisseurs suite aux annonces gouvernementales en matière budgétaire et à l’augmentation actuelle du chômage.
Bien sûr, à de tels pronostics les « Hollandais » répondent qu’il faut tenir compte aussi des effets positifs à attendre de l’embauche de quelque 6 000 enseignants, du démarrage des « emplois-jeunes », de la création de la Banque publique d’investissement, et du « pacte de croissance » arraché par notre président à Angela Merkel en juin dernier. Mais toutes ces mesures, dont l’efficacité économique n’est pas démontrée, ne sont évidemment pas à la mesure du désastre qui s’annonce.
La récession de 2013 sera une catastrophe non seulement pour le gouvernement Ayrault, s’il est encore en place à la fin de l’an prochain, mais aussi pour l’ensemble du quinquennat de Hollande.
Pour deux raisons.
1) Les dépenses de l’État vont s’accroître plus que prévu à cause de la forte augmentation du chômage, inéluctable du fait de la récession, et des allocations qui lui sont attachées.
2) Les recettes de l’État vont diminuer du fait de cette même récession.
Autrement dit, sera manqué l’objectif de réduction du déficit budgétaire à 3% du PIB au nom duquel a été lancé à grand fracas tout ce dispositif de réduction des dépenses publiques et d’augmentation des impôts – « sans précédent », dixit Hollande. On comprend mieux, à la lumière de ce sombre pronostic, les embarras du gouvernement à propos du rapport Gallois. Il devait en ressortir un « choc de compétitivité », entendez un transfert massif des charges sociales vers la TVA et/ou la CSG, c’est-à-dire un choc fiscal supplémentaire. Il ne pouvait plus en être question. Hollande avait trouvé par avance une position de repli dans ce qu’il a appelé un « pacte de compétitivité » – encore un pacte ! -, une manière bien à lui de reporter les échéances.
L’objectif du déficit à 3% du PIB, il faut le rappeler, n’était que la première marche d’un escalier « vertueux » qui devait conduire à l’équilibre les comptes de l’Etat français en 1917. Cette première marche étant ratée, les suivantes seront d’autant plus hautes, et il sera d’autant plus pénible de les monter.
“La croissance du PIB n’étant pas au rendez-vous, les 10 milliards de dépenses publiques s’évanouissent en fumée.”
Par la méthode employée – 2/3 d’augmentation d’impôt, 1/3 de réduction des dépenses (1) – le gouvernement Ayrault s’est engagé dans une spirale déficitaire qui va joindre ses effets délétères à ceux de la spirale de la dette publique. Implacable : la récession à venir réduira automatiquement les recettes fiscales.
Quant à la baisse des dépenses publiques annoncées de 10 milliards, elle sera tout simplement annulée. Cette baisse, toute théorique, était calculée par rapport à une croissance du PIB de 0,8% en 2013. Disons que c’était une moindre augmentation par rapport à ce qu’aurait été la dépense publique sans action gouvernementale de ralentissement. Un calcul d’apothicaire. La croissance du PIB n’étant pas au rendez-vous, les 10 milliards s’évanouissent en fumée.
La France risque donc de suivre la Grèce, le Portugal ou l’Espagne sur le chemin glissant d’un déficit croissant alors même qu’on cherche à le réduire.
Pourquoi avoir fait ce choix des 2/3 d’augmentation d’impôt, 1/3 de réduction des dépenses ? Tout simplement pour des raisons idéologiques. La clientèle de la gauche, c’est d’abord la sphère publique. Impossible de réduire sa voilure en respectant les promesses qui ont permis au candidat socialiste d’emporter l’élection présidentielle. Ce qui manque du côté de la réduction des dépenses, il faut donc le trouver dans une augmentation de la recette fiscale – avec en plus la satisfaction de sur- taxer les fortunes (« Je n’aime pas les riches » a été une des paroles emblématiques du candidat Hollande). Résultat : ce qui restait de croissance a été tué. Et en plus tout le monde, en fait, crache au bassinet fiscal.
Autrement dit le chômage va atteindre des niveaux jamais vus dans notre pays qui est pourtant un champion du sous-emploi de masse. En outre, le gouvernement sera incapable de tenir ses engagements vis-à-vis de la commission de Bruxelles, pour ne rien dire des réactions de Berlin à cette nouvelle défaillance française.
Au même moment, l’Allemagne prévoit de rétablir l’équilibre des comptes publics dès 2014. Par conséquent, la dette publique allemande sera ramenée à 71% du PIB en 2015, alors qu’en France elle restera supérieure à 90% du PIB. Selon les derniers calculs de la Commission de Bruxelles (6 novembre 2012), le poids de la dette publique française va passer de 90% du PIB en 2012 à 92,7% en 2013 et à 93,8% en 2014. Encore ce calcul ignore-t-il le « hors bilan » de l’État, notamment les retraites des fonctionnaires. En tout état de cause, les marchés de capitaux ne pourront pas ne pas ressentir l’écart croissant de performance financière entre les deux pays, pour ne pas parler des autres écarts eux aussi grandissants. La sanction prévisible est une hausse des taux d’intérêt sur la dette française. Dans ses confidences au Nouvel Observateur, le Président de la République a lui-même anticipé cette calamité qui littéralement le hante : « Mon premier objectif, c’est de rétablir la souveraineté française. Elle passe par le désendettement. La dette nous met dans la dépendance des marchés. On le voit bien aujourd’hui : si la France abandonne l’objectif de 3% de déficit, elle est immédiatement sanctionnée. Elle risque le sort de l’Espagne ou de l’Italie, qui doivent obéir à des injonctions extérieures. Je dois tenir de cet engagement qui est celui de la France » (2).
Qui gouverne la France ?
Comme nous venons de le montrer, cet objectif n’est pas tenable. D’où le trouble au sommet de l’État. On peut du reste se demander qui gouverne vraiment la France dans cette panique inavouée : Hollande ou Ayrault. Le Président donne l’impression de dominer le Premier ministre. Et si c’était le contraire ?
Dans l’entretien au Nouvel Obs déjà cité, le Président proclame : « Nous appliquerons les propositions de Louis Gallois. Il s’agit de jouer sur tous les éléments qui commandent la compétitivité, ce qui veut dire que nous prendrons en compte la question du coût du travail. » Parmi les allégements de charges, précise L’Obs, “Hollande prévoit une baisse de cotisations pour les salariés, qui […] préservera le pouvoir d’achat ».
Le Plan annoncé par Ayrault est tout autre, on le sait.
On a cru un moment lors de la publication du rapport Gallois le 5 novembre 2012 qu’on débarrasserait les travailleurs du fardeau des charges sociales qui nuit évidemment à la compétitivité française. Ce rêve n’a duré que 24 heures. Le 6 novembre le gouvernement Ayrault annonçait 20 milliards d’euros – non pas d’allégement de charges – mais de crédits d’impôt avec, comme on pouvait le craindre, tout un système politico-syndicale de contrôle de la manière dont les bénéficiaires utiliseraient des fonds ainsi dégagés (3). Lesquels ne sont pas des cadeaux de l’État mais des gains moindres du fisc. Il est supposé que, non surveillés, les capitalistes français et autres exploiteurs ne peuvent qu’en faire mauvais usage. On n’allait pas leur lâcher la bride sur le col. Ayrault l’a donc emporté sur Hollande, la doctrine du Parti socialiste sur les nécessités les plus évidentes du moment. Hélas !
*Philippe Simonnot a publié en collaboration avec Charles Le Lien La monnaie, Histoire d’une imposture, chez Perrin
1. L’histoire économique multiséculaire montre que le bon choix eût été 0 augmentation d’impôts et 3/3 de réduction des dépenses publiques.
2. Le Nouvel Observateur, 8 novembre 2012
3. Affolement à Matignon le 6 novembre 2012, quelques minutes avant l’annonce par Jean-Marc Ayrault du pacte de compétitivité : le dossier de presse annonçait un crédit d’impôts de 20 milliards d’euros « par an » pour les entreprises, soit 60 milliards d’euros sur trois ans, au lieu de 20 milliards d’euros « étalés sur trois ans ». Plus qu’un choc, un séisme de compétitivité! Il a fallu, in extremis, tout réimprimer… Ayrault, l’artiste du bricolage permanent.
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