Beaucoup de militants et de sympathisants de l’UMP espèrent le retour de Nicolas Sarkozy. Après la défaite de 2012, injuste à leurs yeux, l’effondrement d’un parti auquel ils réservent néanmoins pour la plupart leurs voix, et devant la déconfiture de l’exécutif socialiste qui, pour la première fois, révèle dans toute sa profondeur le déclin de notre pays, ils attendent de son retour la relance du grand parti de centre-droit, sans doute ravalé et avec une nouvelle enseigne, puis un redressement du pays au lendemain d’une victoire présidentielle. Sarkozyste de la première heure, je les comprends. Comme eux, j’ai été séduit par son énergie, ses discours volontaristes pointant les problèmes essentiels et annonçant les réformes nécessaires. Malheureusement, je l’ai trop bien connu et suivi, pour ne pas les mettre en garde contre un triple danger.
Le premier risque est de succomber à une double illusion, d’abord celle de l’homme providentiel, en réserve de la République et qu’on appelle en des temps difficiles. Si le retour de l’Île d’Elbe a conduit à l’un des plus grands désastres de notre histoire, celui du général de Gaulle a permis à la France de se relever. La comparaison est évidemment ironique. Nicolas Sarkozy n’a ni Austerlitz ni 18 Juin derrière lui, seulement un quinquennat dont les résultats n’ont guère été brillants, même si la confrontation avec celui en cours, ne peut lui être que très favorable. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. La seconde illusion est celle que produit la communication. Les formules fortes, pétries de bon sens, appelant à la restauration de la sécurité, à la revalorisation du travail, à la récompense du mérite ont séduit beaucoup de Français. Les orientations législatives souvent innovantes et contestées par la gauche ont stimulé le sentiment qu’avec lui, ça bougeait. Le bilan objectif fait toutefois apparaître que le mouvement était davantage une gesticulation qu’un progrès. Des lois inappliquées, des chiffres trafiqués, des annonces non suivies d’effets ont laissé en 2012 un pays toujours lourdement déficitaire, de plus en plus endetté, dont la croissance stagnait, dont le chômage augmentait, dont la situation économique internationale se dégradait, et cela indépendamment de la crise que d’autres pays ont su surmonter. Ni les questions du logement, de l’immigration, de la sécurité n’ont été réellement maîtrisées. Du temps a été perdu pour satisfaire l’ego présidentiel. Avait-on besoin de réformer la Constitution pour que le Président puisse s’exprimer devant le Parlement au complet, ce que tout le monde a oublié depuis ? Aujourd’hui encore, la détérioration de la situation au Nord-Mali souligne à quel point l’intervention en Libye pour faire tomber Kadhafi a été une décision irréfléchie.
Le second danger se situe dans l’avenir. Le nom de Nicolas Sarkozy est apparu dans neuf affaires judiciaires. Ses partisans, voulant transformer le coupable éventuel en victime d’un acharnement politique et judiciaire, soulignent la coïncidence de l’accélération et de la multiplication des procédures avec son retour médiatique. A l’occasion de la sortie de son livre, le juge anti-terroriste Marc Trevidic, a fourni une autre explication. Les magistrats se dépêchent non sous la pression politique, mais parce qu’ils jouent contre la montre. Le retour à l’Elysée garantirait l’immunité pendant le mandat. Or, si l’on peut soupçonner tel ou tel juge « rouge » d’être de parti pris, si l’on peut même suspecter le Parquet d’être aux ordres, le nombre des affaires et leur diversité, ne vont pas dans ce sens. Pour la première fois un ancien Président a été en garde à vue à la suite de quoi il a été mis en examen. Des comptes de campagne et de leur financement jusqu’aux sondages de l’Elysée en passant par des contrats d’armement avec l’Etranger, ces dossiers ont des origines diverses qui impliquent un grand nombre d’institutions en principe impartiales et qu’on ne peut sans sombrer dans la paranoïa imaginer dans le même complot. C’est Tracfin qui a soulevé la question de la fourniture d’hélicoptères au Kazakhstan, la Cour des Comptes qui a pointé le financement sans appel d’offres des sondages de l’Elysée, la Commission Nationale des Comptes de Campagne et des financements Politiques qui a pénalisé les dépassements des dépenses pour la campagne présidentielle de 2012 et l’Office Central de Lutte contre la Corruption et les Infractions Financières et Fiscales qui enquête sur « Bygmalion ». La prudence devrait amener les Français et les militants de l’UMP en particulier à ne pas se précipiter. Soit toutes ces affaires sont closes, soit elles sont suspendues, en cas de réélection, pendant un mandat où les rumeurs seront de plus en plus fortes voire de plus en plus crédibles, et le Président d’un pays dont l’image est singulièrement ternie vivra, pendant cinq ans, dans une ambiance de Watergate à la française. De ce point de vue, il ne manque pas d’hommes ou de femmes à l’UMP ou ailleurs qui pourraient incarner un nouveau départ sur des bases saines pour une France qui en a le plus grand besoin.
Le plus grand péril pour le pays consiste à ne pas sortir de la spirale du déclin où il s’est enfermé. Dans aucun autre Etat démocratique on ne pratique ce genre de retour. Un homme ou une femme ont occupé le pouvoir suprême et lorsqu’ils le quittent, battus ou non, ils deviennent éventuellement des références, non des recours. Que Nicolas Sarkozy siège au Conseil Constitutionnel, qu’il éclaire les Français sur leurs choix, qu’il écrive ses Mémoires de Président, tout ceci témoignerait du bon fonctionnement de nos institutions. Que le Président de la République, qui se dit parfois et sans vergogne, gaulliste, cherche à devenir le chef d’un parti politique pour qu’un autre ne le soit pas, n’est pas à la hauteur des fonctions qu’il a occupées, ni à la hauteur de la France, pour tout dire.
16 Comments
Comments are closed.