Tribune libre de Grégory Morin-Martin*
Il nous avait pourtant prévenu. En cas de défaite, il “retirerait l’aiguille”, progressivement. Il arrêterait “complètement”, on ne le “verrait plus”, “ce sera la dolce vita”. Et pas question de se mêler des querelles de chiffonniers d’une UMP divisée et sans leader naturel : “Je préfère encore le Carmel. Au Carmel au moins, il y a de l’espérance” (1).
Et pourtant. Il y a une semaine à peine, écharpe en cachemire et barbe de trois jours, il affichait dans les tribunes du Parc des princes le sourire satisfait de celui qui compte encore. La remise en cause de son bilan et l’appel de Roselyne Bachelot au “droit d’inventaire” ont suffi à déchaîner le courou des grands barons de l’ancienne majorité. Le simple rajout de la mention “génération Sarkozy” dans la déclaration de principe de la toute jeune Droite Forte a permis de propulser le mouvement de Guillaume Peltier au statut de favori des sondages. L’ancien président est encore adulé par les militants et sympathisants. Il le sait. Alors il reçoit, il discute, il réfléchit. Brice Hortefeux, Alain Minc, Henri Guaino, tous se succèdent dans son bureau de la rue de Miromesnil. Jusqu’à ce que, au détour d’une conversation avec Bruno Le Maire, il annonce ce que tous pressentaient : “Vu l’état désastreux dans lequel la France risque de se trouver dans cinq ans, je n’aurai pas le choix en 2017 ”. Et au Canard Enchaîné d’en faire ses choux gras.
Cette réticence à quitter la scène, à sortir définitivement du jeu politique est extrêmement révélatrice. Car depuis la fin de l’ère gaullienne, aucun phénomène politique n’a autant fasciné à droite que l’épopée sarkozyste. Fils d’immigré, maire de banlieue bourgeoise, ministre au style singulier, cette étoile filante est venue se perdre un soir de mai dans le ciel du Ve arrondissement, lorsque le président défait déclarait à la Maison de la Mutualité : “Ma place ne pourra plus être la même”. Le sarkozysme, c’est avant tout cet esprit de conquête qui a permis à un jeune militant UDR, étudiant en droit à Nanterre, de se tisser un destin à la mesure de ses ambitions. C’est cette capacité à établir une véritable synthèse idéologique des droites françaises qui a fait de l’UMP une formidable machine de guerre électorale. C’est enfin l’ardeur d’un homme qui a voulu “désacraliser” sa fonction, parfois en allant trop loin, mais a finalement réussi à se glisser dans le costume d’un président de la Ve République, établissant un savant mélange de tradition et de modernité.
“Le sarkozysme est avant tout un pragmatisme.”
Cependant, il serait hasardeux de faire du sarkozysme une idéologie à part entière. Il est avant tout un pragmatisme : le bilan économique du quinquennat est par exemple teinté de mesures à la fois libérales (auto-entreprenariat, loi LRU) et étatistes (défense de la taxe Tobin, RSA). Quant à ses défauts, nul besoin d’être adhérent au Parti socialiste pour reconnaître qu’ils furent prégnants lors du début de mandat de l’ancien chef de l’État : mise en avant de la vie privée ou goût exacerbé pour la communication politique, le président assagi de 2012 a payé les erreurs du Sarkozy sulfureux de 2007.
Alors, qu’elle le veuille ou non, la droite républicaine devra faire le tri dans ce qui fut l’histoire du sarkozysme, en s’interdisant de verrouiller le débat interne au nom de cette figure tutélaire qu’est l’exilé de Miromesnil. Au moment où la plupart des parlementaires de l’opposition s’apprêtent à voter en faveur du traité budgétaire européen mardi prochain, le député Lionnel Luca appelle ainsi à ne pas faire du TSCG “un texte sacré” au prétexte que “c’est Nicolas Sarkozy qui l’a négocié” (2). Cette liberté de débat sera essentielle, en attendant un éventuel retour de l’enfant terrible. Pour quand ? Il serait dangereux de se laisser prendre au jeu des suppositions. Mais lorsqu’en 2007, la dramaturge Yasmina Reza avait interrogé le candidat de l’UMP sur la perspective d’un exil à Maubeuge, la réponse fut troublante : “Je deviendrais le roi de Maubeuge en deux ans ” (3).
*Grégory Morin-Martin est étudiant à l’Institut d’études politiques de Paris.
1. http://www.liberation.fr/politiques/01012385625-sarkozy-defaitiste-un-truc-de-off
2. http://www.20minutes.fr/politique/1014261-traite-budgetaire-europeen-droite-aussi-nonistes
3. Yasmina Reza, L’aube le soir ou la nuit, Flammarion, 2007
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