Tribune libre de Jean-Louis Caccomo*
La fièvre sociale est devenue un rituel inquiétant, subi par l’ensemble des Français contraints de prendre leur mal en patience dans l’attente de jours plus sombres. Et à chaque élection, rien n’y fait. Les gouvernements en place sont sortis faute de s’être attaqués au cœur des problèmes (retraite, université, fuite des talents et du capital humain à l’étranger, échec scolaire…). Alors, on met en place une nouvelle équipe qui nous promet une rupture ou un changement de cap, et en quelques mois, les déceptions s’amoncellent et les illusions tombent. Pourtant, depuis trente ans, alors que les rapports officiels du FMI, les partenaires européens ou la Cour des comptes nous avertissent régulièrement, on ne change pas de cap. Ils ont tous forcément tort, agent machiavélique de la pensée unique.
Alors, on accumule une dette publique devenue insoutenable et la croissance économique s’effondre à 0 %.
Durant ces dernières années, la multiplication des actes de « contestation sociale » – pudiquement appelés « mouvements sociaux » – ne fut cependant nullement à l’honneur d’un pays si prompt à donner des leçons de vertus, de dialogue et de morale sociale. Hier, les actions des agents de l’entreprise EDF, qui se mobilisaient contre les projets de privatisation du groupe, ont montré le vrai visage de ces mouvements. Plus près de nous, le détournement de la SNCM, la destruction des champs d’OGM ou les actions « coup de poing » des viticulteurs ont donné le ton. La jeunesse embrigadée ne demandait qu’à suivre l’exemple. Et cela n’a pas traîné, le blocage des campus et la destruction de biens publics, orchestrés par des syndicats qui ne voulaient pas entendre parler de l’autonomie des universités – alors que nos universités sont de fait en concurrence avec les universités du monde entier qui se battent pour attirer les meilleurs étudiants, les meilleurs chercheurs et les meilleurs professeurs -, achevaient de compléter ce sombre tableau.
Ces méthodes, qui s’apparentent plus à du vandalisme qu’à l’expression citoyenne pacifique et respectueuse de l’État de droit, montrent que la France est depuis longtemps malade d’elle-même, victime de son modèle agonisant dont elle ne parvient même pas à envisager de sortir. Mais quand un souffrant refuse d’écouter les nombreux médecins qui tentent de le sauver, ce n’est pas le médecin qui est fautif des complications à venir.
Dans un contexte de profonde évolution des rapports de force économiques et géopolitiques mondiaux, la France perd nombre de ses repères en voulant se raccrocher à ses vieilles chimères. Comme si les lois de l’économie s’étaient arrêtées à ses frontières, à l’instar du nuage de Tchernobyl, la France se veut le pays non seulement de l’exception culturelle mais aussi d’une improbable « troisième voie ». Après l’effondrement des régimes totalitaires qui avaient la prétention d’échapper aux lois de l’économie mondiale, nous assistons à présent à l’agonie des États-providence, écrasés par les dettes, qui eux avaient la prétention de corriger les imperfections du marché.
Ce mirage aboutit à une réelle bérézina politique : l’échec de la droite est incontestable puisqu’elle n’est pas parvenue à stopper cette dérive qui est plus liée à nos caractéristiques structurelles internes qu’à des facteurs externes. Mais le succès de la gauche « plurielle », version socialiste-écologiste-Front de gauche en embuscade, n’est que façade. Et déjà, les masques tombent vite.
“La première expression de la solidarité consiste à faire de son mieux, et tout son possible, pour ne pas être à la charge des autres.”
Cette situation critique n’est pas un phénomène conjoncturel. Elle est le résultat d’une attitude persistante de la part des responsables politiques qui consiste à corriger des erreurs en en commettant de plus grandes.
Nous avons récemment connu des mouvements de contestations contre la réforme de la retraite, la réforme de l’assurance-maladie ou encore celle des universités et de l’Éducation nationale. Après avoir dit « non » à un projet de constitution européenne dont la France fut grandement l’inspiratrice, c’est le CPE qui met la rue en colère. Aujourd’hui, on s’étripe à propos du traité européen qui ne fait que nous rappeler que nous devons maîtriser nos finances publiques. Traité ou pas : c’est une contrainte objective. La nier, c’est compromettre tout notre avenir.
Le pire est que nous n’avons pas vraiment vu la mise en œuvre de ces prétendues réformes : tous les ministres concernés ont reculé ou furent remerciés. La question des retraites est loin d’être réglée. « L’autonomie » de nos universités nous met à des années-lumière de la réalité du fonctionnement des universités espagnoles, anglaises, allemandes, américaines, chinoises ou même thaïlandaises. Par contre, les conflits, eux, furent bien réels. Le seul mot d’ordre et de rassemblement consiste, en ces occasions bruyantes de manifestation du mécontentement, à faire le procès de la « mondialisation » et du libre-échange.
Mais on ne convoque pas des abstractions au banc des accusés. Cautionner un tel discours, c’est tout au plus un moyen commode pour les politiques de ne pas assumer les conséquences de leurs propres égarements.
Un pays aussi fragilisé, aussi peu confiant en lui-même qu’il en vient à se fourvoyer dans un processus de « guerre civile permanente », peut-il tenir le cap dans les tourments de la compétition internationale ? La classe politique a une part de responsabilité en contribuant à infantiliser le corps électoral. En laissant croire aux Français que l’État allait prendre en charge tous les aspects de notre vie quotidienne, les politiques ont fini par fabriquer un « citoyen » à la fois passif et de plus en plus exigeant : moins j’offre aux autres, mais plus j’en demande… le tout en invoquant le mot sacré de « solidarité ». C’est oublier que la première expression de la solidarité consiste à faire de son mieux, et tout son possible, pour ne pas être à la charge des autres.
Dans le même temps, les recettes politiques échouaient à apporter des solutions viables aux problèmes de société dont les ministres veulent pourtant conserver le monopole de la gestion. Il est facile d’attendre tout de l’Etat, d’accorder son bulletin de vote en fonction d’avantages à préserver ou à conquérir, puis déclarer ne pas se reconnaître dans les hommes politiques.
La démocratie a besoin du personnel politique ; mais la démocratie a aussi besoin d’individus responsables, innovants et entreprenants. Et ceux-là, ils nous quittent déjà depuis de nombreuses années…
*Jean-Louis Caccomo est Maître de conférences en sciences économiques et Directeur du master professionnalisé « Economiste Financier » à l’Université de Perpignan – Via Domitia.
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