La visite à Taïwan, ce 2 août, de la présidente de la chambre des représentants américaine a entraîné, sans surprise, une réaction furieuse de la Chine communiste. Celle-ci a entrepris des manœuvres aériennes et navales, particulièrement menaçantes, simulant une attaque de l’île, autour et dans le détroit de Formose. Or, cette séquence était supposée se terminait le 7 août.
Elle n’a donné lieu, à l’heure où ces lignes sont écrites, à aucun incident, sinon une contre-démonstration de la part de forces taïwanaises préparées et réactives.
Le porte-parole de la Maison Blanche, de son côté a déclaré que de telles actions de la Chine dans et autour du détroit de Taïwan étaient “provocatrices et irresponsables, augmentant le risque accidentel, allant également à l’encontre de notre objectif à long terme de préserver la paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan, souhait du monde s’attend”.
Pas encore de développement sanglant de type russo-ukrainien, du moins pour le moment. Le supplice chinois reste plus subtil.
Car, dès le 7 août à 22 h 46 heure de Paris, soit le 8 août à 4 h 46 heure de Pékin, un communiqué du Commandement du Théâtre d’opération Est de l’armée chinoise annonçait la poursuite des exercices militaires qui devaient s’achever ce jour-là : “L’Armée populaire de libération […] continue de mener des exercices pratiques interarmées dans l’espace maritime et aérien autour de Taïwan, en se concentrant sur des opérations conjointes anti-sous-marins et d’assaut en mer”.
Du 8 au 15 août, l’armée dite “populaire de libération” doit se livrer en principe à des exercices de tirs réels. Mais elle transporte ses démonstrations beaucoup plus au nord : en mer Jaune, face à la Corée du Sud et au Japon, il s’agit d’intimider ces nations alliées des États-Unis, associées à la stratégie de Washington dans l’Indo-Pacifique.
Il semble donc urgent de prendre acte de l’existence d’une nouvelle guerre froide. Elle n’oppose plus le défunt bloc soviétique et les alliés des États-Unis, mais ceux-ci et l’Empire du milieu. Et l’évidence s’en inscrit de plus en plus à l’ordre du jour. Cette hypothèse, devenue depuis réalité, a commencé à préoccuper les réflexions stratégiques des experts occidentaux, notamment américains, il y a bientôt 20 ans. À cette époque, les milieux d’affaires se félicitaient au contraire de la coopération économique avec le régime de Pékin, permettant de fructueuses délocalisations industrielles.
Ayant personnellement acquis, depuis 2004, la conviction que cette contradiction supposerait des choix de la part des Européens, votre chroniqueur se propose de publier dans cette optique un petit feuilleton de l’été d’observations de la réalité chinoise.
Quelle est la véritable nature de cet État et de son système ?
Quel est le degré d’hostilité et de dangerosité de son gouvernement à la veille du XXe Congrès de son parti unique, la plus grosse organisation politique du monde, forte de 95 millions de membres ?
Et, bien entendu, puisqu’il se réclame toujours de Staline, puisque l’effigie de ce monstre figure toujours aux côtés de celles Marx, Engels, Lénine et Mao Tsé-toung, quelle part de continuité avec le stalinisme et le maoïsme ?
Cette nouvelle guerre froide ne saurait, en effet, ni se caractériser, ni se limiter à des ronds dans l’eau ou des gesticulations, car elle correspond à l’émergence, en Extrême Orient, d’une puissance considérable, à la fois industrielle, financière, diplomatique, psychologique et enfin militaire.
Dans cette guerre de positions, la confrontation s’inscrit adonc d’abord dans une perspective virtuelle, comme une partie de poker.
Dès le 4 août C. Coughlin, éditorialiste du Daily Telegraphmettait en lumière le bluff de Pékin.
Certes, il serait difficile de considérer un tel spécialiste des questions internationales comme un observateur “objectif”. Adversaire résolu du système communiste chinois, Coughlin caractérisait en mars 2020 le Parti unique régnant sur le continent pays comme “une élite corrompue, indifférente aux intérêts de ses concitoyens et du monde extérieur, seulement attachée à ne pas être tenue pour responsable de la catastrophe du Covid”. Dès avril 2020, il appelle à voir dans la Chine “un État hostile manquant délibérément de transparence et de coopération et pratiquant une désinformation victimaire, alors que tout semble l’accuser comme l’instigateur d’une crise sanitaire mondiale”etc.
Il se trouve que, pilier depuis plus de 40 ans de ce journal proche du parti conservateur qu’est le Daily Telegraph, ses thèses reflètent en général les conclusions du renseignement britannique, ce qui les rend au moins aussi sérieuses que ce que raconte la presse parisienne.
Coughlin osait donc, dès le 4 août, cette affirmation singulière : la Chine lui paraissait un “tigre de papier du point de vue militaire. Ses menaces ne sont que des diversions destinées à faire oublier ses problèmes intérieurs”.
Au surlendemain de la visite de Mme Pelosi, les bons esprits du monde entier s’alarmaient au contraire des conséquences illimitées de la colère du gouvernement de Pékin. Mais Coughlin écrivait quant à lui, de façon péremptoire, que “la Chine est trop faible pour envahir Taïwan”.
Il faisait ainsi remarquer, d’abord, qu’envahir une île comme Taïwan relève un projet très différent de l’attaque terrestre de la Russie contre l’Ukraine. “L’opération militaire spéciale”russe consistait principalement à envoyer des colonnes de chars et de troupes chez son voisin, appuyées par une forte supériorité de l’artillerie, des missiles et des avions de chasse. Or, cette “opération” s’est trouvée enrayée et le même Coughlin l’a rapidement analysée comme un échec.
D’autre part, considérait-il, l’armée ukrainienne ne bénéficiait, au départ, que d’un armement relativement modeste et vieillot. En témoignent les appels constants de Kiev aux pays de l’OTAN pour qu’ils fournissent des armes et des fournitures plus sophistiquées.
En revanche, Taïwan possède sa propre armée de l’air bien entraînée, ainsi qu’un personnel hautement motivé. L’île dispose de batteries de systèmes de défense antiaérienne “Patriot”, à la pointe de la technologie face à la nouvelle génération d’avions de combat J-20 de la Chine.
L’île de Taïwan n’étant pas l’Ukraine, l’armée du continent paraît ainsi loin d’être en mesure de monter aisément une opération amphibie complexe de débarquement à grande échelle, qui serait nécessaire pour en prendre le contrôle.
En l’absence d’une opposition légale et d’une presse libre, le Parti communiste chinois a pu imposer des investissements militaires considérables permettant de développer ses forces armées. Cependant le pays ne semble pas, pour le moment, en état de défier la suprématie militaire américaine. Certains spécialistes ne situent qu’autour de 2027 le danger prévisible d’une remise en cause du statut de Taïwan.
Le développement des deux nouveaux porte-avions chinois peut être cité en exemple. Des puissances navales comme les États-Unis et la Grande-Bretagne ont construit leur capacité aéronavale depuis des lustres. En comparaison, la Chine n’a acquis son premier porte-avions qu’en 2012, en est encore d’apprentissage abrupt lorsqu’il s’agit d’en faire une utilisation optimale. Face au Liaoning, construit par l’ex-URSS et racheté à l’Ukraine, et au Shandong, de conception chinoise, tous deux à propulsion classique, la flotte des États-Unis dispose de la bagatelle de 11 bâtiments à propulsion nucléaires. Dans l’espace indo-pacifique, ils peuvent aussi compter sur le soutien de plusieurs pays, comme le Japon et l’Australie. Lors d’une table ronde à Washington le 17 mai, leurs responsables militaires ont explicitement souhaité, une coopération plus approfondie pour leur défense, mais aussi pour celle de Taïwan.
Une autre considération importante est que l’armée chinoise n’a pas été directement impliquée dans un conflit majeur depuis la fin de la guerre de Corée, remontant à 1953 dans le texte (1)⇓ (*). Manque donc à cette armée en développement l’expérience du combat.
Pour toutes ces raisons, sa capacité à lancer un assaut direct contre Taïwan reste problématique.
La vraie menace la plus probable pour la liberté de l’île résulterait d’une instabilité du type des troubles intérieurs qui ont précipité la main mise du régime de Pékin sur Hong Kong, au mépris des promesses de 1997. C’est pourquoi les responsables taïwanais se montrent préoccupés par les efforts constants de déstabilisation téléguidés par les services de Pékin et les cyber attaques plus encore que par l’hypothèse d’une invasion à grande échelle.
Cette menace se double de l’intoxication entreprise dans les pays occidentaux, y compris en Europe où les intérêts affairistes à courte vue et les vieilles complicités marxistes paralysent l’esprit et l’effort de défense.
> Jean-Gilles Malliarakis anime le blog LInsolent.fr
Apostilles :
1. (*) Quoique décisive son intervention était demeurée plus discrète, dans la guerre française d’Indochine. Ainsi, lorsqu’André Bettencourt vint rendre visite à Mao Tsé-toung en 1970, le ministre français crut de bonne diplomatie de lever son verre “au rôle de la France en Asie”. Le Grand Timonier lui rappela qu’en 1954 :”Dien Bien Phu avait été une victoire chinoise, remportée par des soldats chinois avec des armes chinoises et que depuis cette date la France n’a aucun rôle à jouer en Asie”. En bientôt 70 ans l’armée de Pékin n’est guère intervenue depuis, qu’entre le 17 février et le 16 mars 1979, pour infliger une “correction”aux Vietnamiens qui avaient osé liquider l’année précédente le régime des Khmers rouges au Cambodge.