Un enseignant catholique peut-il enseigner ailleurs que dans une école catholique ?

(En classe, le travail des petits, Henri Geoffroy, 1889)

La question posée en titre de cette réflexion a de quoi surprendre, car après tout, chacun est libre de choisir son métier comme bon lui semble, tant qu’il ne contrevient ni aux lois, ni à la morale. L’enseignement catholique, même s’il dépend, en France, de l’Eglise, n’est pas l’Eglise elle-même, et il n’y a aucune obligation de l’intégrer, pour un catholique souhaitant devenir professeur.

Un catholique peut enseigner dans l’enseignement public laïc, dans l’enseignement privé catholique, protestant, orthodoxe, juif, musulman ou laïc, et pourquoi pas ailleurs encore, du moment que les valeurs prônées par cet enseignement ne sont pas en contradiction majeure avec ce que lui commande sa foi.

Pour l’heure, enseigner le français, l’histoire-géographie ou les mathématiques dans un des types d’établissements scolaires mentionnés plus haut n’implique pas de renier sa foi. Cependant, chacun de ces établissements a un projet, qui porte sur l’élève dans son intégralité, et en rejoignant un genre d’enseignement plutôt qu’un autre, le futur professeur choisit d’adhérer, à tout le moins de respecter comme valide et positif, ce projet d’éducation.

Lorsque le projet d’éducation en question vise essentiellement à seconder les parents en instruisant les enfants qu’ils ont confié à l’école, là encore, il n’y a aucune objection morale pour un catholique à participer à la vie de tel ou tel type d’établissement.

Mais lorsque le projet d’éducation se propose de former intégralement la personne, avec les parents ou sans eux, parfois contre la volonté des parents, le choix devient plus délicat.

Or, justement, en France, aujourd’hui, les écoles sont toutes porteuses de projets éducatifs complets. Certains intègrent pleinement les parents, ou du moins le prétendent, notamment dans l’enseignement privé, d’autres se méfient des parents et les écartent, du moins le prétendent, notamment dans l’enseignement public. L’emploi du terme prétention est important, car en réalité, bien des établissements privés laïcs ou confessionnels prennent des décisions éducatives majeures, comme l’institution de l’instruction religieuse ou sa suppression, par exemple, ou l’emploi de telle méthode pédagogique au détriment de telle autre, sans demander leur avis aux parents, pourtant responsables des enfants confiés à l’école. De la même manière, bien des établissements publics qui pourtant affichent se moquer éperdument des parents font fréquemment appels à eux et les intègrent pleinement dans l’éducation des enfants à l’école, heureusement d’ailleurs. La réalité est donc souvent plus nuancée que la théorie, même si, dans les grandes lignes, il est vrai que les établissements privés intègrent plus souvent les parents et leurs accordent plus de confiance, jusque dans la gestion administrative de l’établissement scolaire.

Pour en revenir au choix que peut porter le futur enseignant, le projet pédagogique est donc devenu un critère essentiel. Un catholique peut-il, en conscience, adhérer au projet pédagogique d’une école réformée, orthodoxe, juive ou musulmane ? Même si dans la plus grande part des enseignements et des valeurs il retrouvera une cohérence avec les siennes propres, il y aura toujours cette adhésion de l’école elle-même à une autre foi que la sienne, avec des valeurs spécifiques que sa foi catholique condamne.
L’école publique laïque affiche une neutralité officielle qui pourrait être rassurante, si en réalité cette neutralité ne visait pas à expulser Dieu hors de l’espace des élèves en niant toute dimension spirituelle à l’homme, en rejetant tout signe visible de la foi ou de la pratique inhérente à cette foi, y compris dans ses marqueurs culturels les plus sécularisés et traditionnels. En outre, l’apparition récente des études de genre utilisées de manière idéologique et non scientifique, l’acceptation par l’école publique de l’avortement, du mariage de personnes de sexe identique, des relations sexuelles précoces, de la contraception comme unique moyen de régulation des naissances, et la promotion de ces phénomènes par la dite école pose un réel problème moral au futur enseignant catholique. En somme, il entrerait là comme en terrain ennemi. C’est une erreur, car il n’y a pas de clause de conscience possible pour un enseignant, tenu de participer à la vie de l’établissement et de diffuser les contenus qui lui ont été confiés à ses élèves. En les passant sous silence, il sera en paix avec sa conscience chrétienne, du moins le pensera-t-il, car il aura en fait trahi la confiance de celle qu’il prétendait servir, c’est à dire l’école publique. Ce sont là des situations crucifiantes, auxquelles le professeur ne peut échapper qu’en se concentrant sur ses seuls cours et ses élèves, devenant ainsi un agent inutile pour une large part des missions qui lui sont habituellement confiées et qui dépassent son enseignement strict. En outre, cette solution ne peut être que temporaire, puisque l’école publique vient toujours vous rattraper pour vous confier des missions qui dépassent votre matière d’enseignement et peuvent entrer en contradiction avec votre foi.

Il apparaît qu’en réalité il est très difficile, pour un catholique, d’intégrer l’enseignement public actuel, et d’y être un honnête et bon serviteur. Il y aura toujours, d’une manière ou d’une autre, une forme de trahison, soit envers les valeurs dont le catholique est porteur, soit envers l’Etat au service duquel il s’est directement placé et qui lui verse son salaire mensuel.

Le problème se pose d’ailleurs à l’inverse pour l’enseignant non-chrétien ayant rejoint l’enseignement catholique ou toute autre école confessionnelle et refusant de diffuser les valeurs propres de ces écoles ou de participer aux activités qui leurs sont spécifiques. Sans le dire, il fait valoir une sorte d’objection de conscience, qui est une trahison envers l’institution qui l’a recruté et à laquelle il avait promis sa loyauté en assurant qu’il participerait à ces activités ou accepterait de les surveiller à tout le moins.
Ce problème ne se pose pas, en revanche, pour l’enseignant catholique travaillant dans une école catholique, même sous contrat d’association avec l’Etat. En effet, même si l’Etat verse son salaire à l’enseignant et a signé avec lui un contrat de travail de droit privé, le premier lien quotidien de l’enseignant est avec l’école catholique dans laquelle il travaille, et celui qui l’a recruté et lui a donc fourni un emploi est le directeur de cette école catholique. C’est donc bien à l’enseignement catholique que le professeur doit d’abord sa loyauté. L’Etat, en versant un salaire, participe au fonctionnement de cet enseignement, mais il en respecte le caractère propre, ce sont les principes théoriques du contrat d’association, plus ou moins bien respectés depuis 1959.

A ces arguments éthiques s’ajoute un problème conjoncturel très actuel, mais inquiétant. Aujourd’hui, il semble que pour un enseignant catholique il y ait comme une sorte d’appel spécifique à rejoindre l’enseignement catholique car celui-ci est dans la situation où les catholiques eux-mêmes y sont devenus ultra-minoritaires, à tel point que les établissements scolaires manquent d’enseignants pour assurer les cours ou activités spécifiquement catholiques, mais aussi d’enseignants apportant un regard chrétien à leurs matières, ou posant un regard chrétien sur leurs élèves. Faute de ressources humaines suffisantes, l’enseignement catholique, alors qu’il tente, en France, depuis plusieurs années, de se ré-évangéliser lui-même, n’est plus qu’imparfaitement catholique dans bien des aspects internes. En somme, l’appareil veut se rechristianiser, mais il ordonne partiellement dans le vide, faute de trouver assez d’oreilles réceptives en son sein. A tel point même que nombre de professeurs non-chrétiens se considèrent plus liés à l’éducation nationale qu’à l’enseignement catholique alors que c’est au sein de ce dernier qu’ils travaillent.

Alors, lorsqu’un futur enseignant choisit l’école laïque au lieu de l’école catholique, il est un peu comme ce missionnaire qui choisirait de partir évangéliser les Tartares dans les steppes quand ceux-ci sont déjà à l’intérieur du palais pontifical…

Quelles raisons valables pourraient pousser malgré tout un catholique à enseigner dans l’enseignement laïc d’Etat ? Le goût de la carrière pour les professeurs agrégés au concours externe ou les futurs doctorants souhaitant se consacrer uniquement à la recherche dans l’avenir. Le désir de s’adresser aux malheureux, aux élèves socialement délaissés, dont on prétend qu’ils sont plus nombreux dans l’école d’Etat que dans l’école catholique. Le goût de la mission en terre non chrétienne, dans une école devenue athée plus que laïque.

Ces raisons doivent être examinées sérieusement :
– Le problème de la carrière est légitime car il fait appel à d’autres motivations. Il ne s’agit plus, là, d’enseigner, mais de se consacrer à la recherche, ce qui est un métier tout différent et ne provoque pas, pour l’instant, la même contradiction morale que dans le domaine de l’enseignement.
– Le problème de l’aide aux malheureux est mal posé. En effet, les candidats catholiques à l’enseignement, souvent de milieux sociaux ou géographiques favorisés, doivent se retirer du crane l’idée qu’ils se font de l’école catholique, fondée sur leur propre expérience d’élève dans les meilleurs établissements privés de Paris, Versailles, Saint-Germain, Rambouillet, Nantes, Rennes ou Lyon. L’immense majorité des établissements privés ne jouissent pas de ces situations privilégiées. Pour leur plus grande part ils recrutent les élèves du cru et ne se distinguent des établissements publics que par un plus grand respect de la discipline ou une plus grande disponibilité horaire des professeurs, mais pas par un très grand différentiel de niveau ou de rang social. En outre rappelons que 40% des établissements d’enseignement professionnel en France relèvent de l’enseignement catholique. Ce n’est faire injure à personne, de noter que bien souvent les élèves orientés vers ces filières sont socialement moins favorisés, et que celles-ci constituent, pour eux, la chance d’avoir enfin un parcours qui corresponde à leurs talents et leur permette de faire reconnaître leurs mérites…
– Le problème de la mission, lui, est mal posé, car le professeur n’est pas missionnaire, il est avant tout professeur et doit délivrer un contenu pour l’instruction de ses élèves. En outre, il dépend d’une institution que son devoir de chrétien lui ordonne de servir loyalement. On retombe alors dans les maux soulevés tout à l’heure, considérant l’évolution de l’enseignement public.

Il apparaît que si tout futur professeur est bien sûr libre de son choix, l’éthique chrétienne personnelle et les besoins immédiats et urgents de l’enseignement catholique militent pour une intégration dans celui-ci plutôt que dans l’école publique d’Etat, ou des professeurs non-chrétiens accomplissent déjà, en grand nombre, un travail remarquable au profit de leurs élèves, et où la valeur ajoutée du chrétien est faible, puisque l’on parle de vertus purement humaines, alors qu’elle est inestimable au sein même de l’enseignement catholique.

Post-Scriptum.
Cette réflexion exclut bien-sûr trois catégories de professeurs :
– Ceux qui ont fait le choix de l’enseignement public à une époque où les salaires de l’enseignement privé étaient nettement inférieurs et ne permettaient pas de nourrir une famille, en un temps où, de toute manière, l’enseignement public prenait des positions éthiques qui ne contredisaient pas la foi ou la morale naturelle.
– Ceux qui ont fait le choix de l’enseignement public à une époque où l’enseignement catholique ne manquait pas de professeurs catholiques.
– Ceux qui, quoique catholiques, sont refusés par l’enseignement catholique, pour quelque raison que ce soit, bonne ou mauvaise, et qui dès lors n’ont pas d’autre choix que de se tourner vers l’enseignement public. Nul ne saurait leur faire grief de ce non-choix, où ils porteront, d’une manière ou d’une autre, à leur façon, la lumière du christianisme.

> Gabriel Privat anime un blog.

Related Articles

11 Comments

Avarage Rating:
  • 0 / 10
  • eric-p , 8 août 2015 @ 17 h 09 min

    Je suis en total désaccord avec votre article.

    Selon moi un enseignant catholique ne peut enseigner ni dans un établissement publique ni dans une école privée sous contrat.
    La raison en est simple: Le projet éducatif est exactement le même !
    Le mathématicien catholique Laurent Lafforgue ne s’est d’ailleurs pas privé de le dénoncer.

    Par ailleurs, les établissements catholiques enseignent des matières en totale contradiction
    avec la foi chrétienne:

    *Enseignement de la sexualité à l’école et de la contraception.
    À ma connaissance, AUCUN PRELAT ne l’a dénoncé et encore moins proposé une alternative.C’était pourtant possible puisque le pape Paul VI avait publié une encyclique à cet effet.

    *Enseignement scandaleux de la théorie du genre.
    Là encore, l’église de france s’est particulièrement distinguée par son silence.

    *Enseignement de l’histoire largement révisé et silencieux sur les aspects les moins avouables de la révolution française et des conflits avec l’église catholique.
    Pourquoi l’église catholique devrait-elle collaborer avec un Etat dont l’anticléricalisme latent
    n’est plus à démontrer ?

    *Enseignement libre de la littérature qui contient les auteurs les plus sulfureux.
    Dans une des écoles catholiques que je fréquentais, un des professeurs de Français y faisait l’éloge du… Marquis de Sade !!!

    *Absence TOTALE d’un véritable enseignement religieux (1 h par semaine sans contrôle
    de mon temps) et absence totale de cohérence dans cet enseignement…ce qui fait que la plupart des “confirmés” n’ont reçu en réalité qu’un enseignement basique et incomplet.
    Il ne faut donc pas s’étonner que le nombre de baptême diminue progressivement dans ce pays.L’école catholique sous-contrat y tient une large responsabilité.

    Pour proposer une véritable alternative catholique à l’enseignement laïque, l’église doit nécessairement se libérer de la tutelle de l’Etat et les professeurs catholiques faire des sacrifices financiers pour limiter le risque d’entrisme.

  • nauticat , 9 août 2015 @ 10 h 21 min

    bonjour éric-p ,il s’agit là d’une affaire de conscience personnelle de la part de l’enseignant . Autrement comme vous dites ,cet enseignant doit suivre le programme de l’Education Nationale ;

  • montecristo , 9 août 2015 @ 10 h 37 min

    Le problème réside dans le fait qu’il y a un examen commun au bout …
    Il faudrait des diplômes différents reconnus dans le monde du travail !

  • Charles , 9 août 2015 @ 10 h 44 min

    Les Brigandes: Histoire de maintenir le moral en ce dimanche 9 Août,
    prenez donc une petite dose des brigandes.

    Leur dernier opus, de belles voix, un bon texte, un scénario visuel bien vu
    pour exprimer l’urgence d’être vigilant.

    Vêtues à la romaine, armées de lances,elles courent au milieu
    des rochers pour rejoindre une forteresse déserte. 4 mn de détente intelligente.
    Cela vient de sortir et juste 3800 vues sur Youtube: il faut faire monter le compteur.

    https://www.youtube.com/watch?v=5WmVEoqontY

  • Boutté , 9 août 2015 @ 11 h 36 min

    C’est l’église conciliaire qui couvre l’enseignement dit catholique . Pas étonnant que l’éducation qui y est donnée soit aussi peu moral et si proche de celle qui sévit dans les écoles de la République . La contraception chimique, à ce sujet , tend à son remplacement par les avortements de confort par exemple .

  • Charles , 9 août 2015 @ 15 h 56 min

    3.907 vues au compteur, ce 9 Août à 15.56

  • scaletrans , 9 août 2015 @ 19 h 28 min

    Des élèves d’écoles hors contrat réussissent brillamment aux examens d’état… avec, quelquefois, une note basse en philo en récompense d’un travail trop brillant, donc trop aristotélicien.

Comments are closed.