Le titre du dernier article de Jean Dutrueil est superbe et flatte mon narcissisme incorrigible. Hélas, trois fois hélas, l’exposé qui suit le contredit radicalement. Reprenons donc point par point les divergences, au risque de lasser les lecteurs bienveillants de Nouvelles de France.
1) Le paganisme serait immunisé contre le totalitarisme. A cela, deux réponses, une historique et l’autre philosophique.
Il faut être amnésique pour soutenir que le totalitarisme n’est jamais le fait des païens. En octobre 1941, Alfred Rosenberg, idéologue en chef du nazisme, publia le projet de la religion d’Etat de la Nouvelle Allemagne, avec un programme conçu en trente points. En voici quelques-uns :
« 1° L’Eglise Nationale du Reich (Nationale Reichskirche) demande absolument d’exercer, seule, tous droits et pouvoirs sur toutes les Eglises se trouvant à l’intérieur des frontières du Reich : elle les déclare Eglises Nationales du Reich.
4° L’Eglise Nationale du Reich ne force aucun Allemand à en faire partie, mais elle est prête à faire tout ce qui est en son pouvoir pour prendre possession de toutes les âmes allemandes, jusqu’à la dernière. Par ailleurs, l’Eglise Nationale du Reich ne tolèrera aucune autre Eglise, aucune organisation, ni aucun club d’un caractère religieux quelconque, et en particulier ceux ou celles ayant une direction ou des relations Internationales.
5° L’Eglise Nationale du Reich est inébranlablement résolue à supprimer, par tous les moyens possibles, la foi chrétienne qui, quoique étrangère à notre nature et à notre caractère, a été importée en Allemagne en l’an 800, qui est une date tragique.
13° L’Eglise Nationale du Reich demande l’arrêt immédiat de l’impression et de la diffusion de la Bible en Allemagne, ainsi que l’interdiction de la publication de journaux religieux, et de tous livres, écrits et conférences ayant un caractère ecclésiastique.
19° Sur les autels de l’Eglise Nationale du Reich, on placera notre livre le plus sacré, Mein Kampf, et à sa gauche, une épée qui consacrera le peuple allemand à ce même symbole de Dieu.”
30° Dès le jour de sa fondation, l’Eglise Nationale du Reich fera enlever de toutes les églises, cathédrales et chapelles, se trouvant à l’intérieur des frontières du Reich et de ses colonies, la Croix du Christ qui sera remplacée par la Croix gammée, seul symbole invincible de l’Allemagne. »
Sur le plan philosophique ou théologique, le refus du paganisme de considérer une dualité entre le ciel et le monde, entre le biologique et le sociétal, entre la foi et la raison, ce que j’ai appelé le monisme et le holisme des conceptions païennes, induisent inévitablement un totalitarisme de la part non pas forcément de l’Etat, mais de la pression de la société (dans l’Antiquité).
2) S’agissant des races, je ne vais pas me répéter encore une fois. Simplement, je remarque l’absence dans l’argumentation de Jean Dutrueil de concepts de base de la génétique: dérive génétique, haplogroupes, ascendance, phénotypes versus génotypes. Or tous ces concepts élaborés depuis 20 ans montrent l’inanité de la notion de race chez l’Homo sapiens sapiens, nous quoi. Le mieux est de renvoyer les lecteurs de Nouvelles de France à ces sites :
http://www.futura-sciences.com/magazines/sante/infos/dossiers/d/genetique-diversite-genetique-questions-races-786/
http://www.eupedia.com/europe/projet_adn_benelux_france.shtml
http://www.scs.illinois.edu/~mcdonald/WorldHaplogroupsMaps.pdf
Bien sûr, je n’interdis à personne de croire au créationnisme, à l’astrologie ou à la raciologie.
En fait, la conception raciologique des populations humaines fonctionne comme le cache-sexe d’une définition essentialiste et figée des ethnies. Or les ethnies sont le produit d’une histoire. Elles naissent, elles meurent et elles changent. Et surtout, elles sont inégales car différentes. Comme les individus humains, n’en déplaise à l’idéologie égalitariste à la Rousseau et à ses innombrables épigones. Qui dit différence, dit inégalité.
Dans certains cas (rares) les inégalités diverses se compensent, comme entre les hommes et les femmes. Les mâles sont supérieurs physiquement (en sport par exemple) mais les femmes sont supérieures en minutie (pour le montage des mécanismes des montres), les hommes sont systémiques et les femmes empathiques, etc…Mais in fine, les deux sexes sont globalement égaux.
Quand on sait que les néo-païens sont issus d’un courant politique pro-hiérarchie et pour l’inégalité des individus, il est cocasse de les voir s’accrocher (pas tous) à l’égalité des ethnies. Ne voulant pas tomber sous le coup de la loi, je ne donnerai pas d’exemple d’infériorité ou de supériorité de telle ou telle ethnie, mais tout le monde ici aura compris.
3) La conception du temps païenne que j’ai appelé « palingénésie » implique l’éternel retour d’un temps cyclique. Seuls le christianisme et le judaïsme échappent à cette notion. Même l’athéisme marxiste-léniniste (matérialisme historique) développe cette conception avec le retour annoncé du communisme des sociétés primitives (Pol Pot est allé jusqu’au bout de cette idée). Il est inutile de discuter sans fin: « l’éternel retour » est incompatible avec l’idée d’effort personnel et collectif en vue de rendre la vie plus agréable. Le travail est dévalorisé car ne servant en rien au bout du compte et si la civilisation dont je fais partie est mortelle, à quoi bon ! Le paganisme induit le sous-développement humain, matériel et intellectuel.
4) L’anti-technicisme à la mode depuis Heidegger et le succès irrépressible des conceptions écologistes visant à dévaloriser la technique (et donc la science qu’on le veuille ou non), est un lieu commun de l’idéologie dominante aujourd’hui. Les mêmes qui veulent la décroissance, la frugalité, vivent confortablement des fruits du décollage technico-scientifique des deux derniers siècles. A l’image de l’anti-américanisme (auquel il est souvent associé) de gens qui sont complètement américanisés dans leur vie quotidienne (Internet, Facebook, portable, musique rock, fast food, sport, etc). L’hypocrisie et l’ingratitude sont une donnée permanente de l’aventure humaine.
5) Le dernier point, peut-être le plus important, est ce que j’ai nommé la « préfiguration ». Notre société dite « post-moderne », par le recours au naturalisme (écologisme notamment) conduit à une humanité « maternalisée » ou les valeurs féminines prennent le dessus et rompent l’équilibre existant depuis 17 siècles entre valeurs masculines et paternelles et valeurs féminines et maternelles. Le retour au tribalisme, la théorie du genre, la valorisation de la compassion au détriment de l’analyse (voir Gaza), de l’hédonisme et non de l’effort, du pacifisme plutôt que de l’honneur militaire, etc… sont plus que des symptômes. Or le paganisme par son immanentisme naturaliste s’inscrit parfaitement dans cette évolution. Le rejet d’un Dieu unique personnalisé (si l’homme est créé à l’image de Dieu, Dieu incréé est à l’image de l’homme créé) conduit à l’idolâtrie de la Nature. C’est pour cela que l’Islam, par son refus du « tadjsim » (anthropomorphisme) et d’un Dieu personnalisé, n’est que le faux né du paganisme (Allah n’étant autre que le Cosmos) et cela explique la fascination pour l’Islam de beaucoup de néo-païens. Ecoutons René Girard :
« En réalité, c’est un retour très effectif à toutes sortes d’habitudes païennes : l’avortement, l’euthanasie, l’indifférenciation sexuelle… Le néo-paganisme veut faire du Décalogue et de toute la morale judéo-chrétienne une violence intolérable, et leur abolition complète est le premier de ses objectifs. Ce néo-paganisme situe le bonheur dans l’assouvissement illimité des désirs et, par conséquent, dans la suppression de tous les interdits. »
(René Girard, interview dans Famille chrétienne n°1142, 1999)
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