On ne répétera jamais assez les formules employées par les promoteurs de la construction européenne. Le 7 décembre 1999, Jacques Delors cita les paroles du père de l’Euro, Tommaso Padoa-Schioppa : » Entre les deux pôles du consensus populaire, et du leadership de quelques gouvernants, l’Europe s’est faite suivant une méthode que l’on pouvait définir ainsi : « le despotisme éclairé ». Delors précise même que le style en est technocratique. Maurice Couve de Murville qualifiait la « méthode Monnet » de « coup d’Etat légal. Le philosophe allemand Habermas voit dans l’Union Européenne un parangon d’autocratie post-démocratique. Cohn-Bendit vent la mèche avec sa grossièreté habituelle, en déclarant : » Il faut arrêter de dire que le peuple a toujours raison « et Juncker le dernier Président de la Commission de Bruxelles, entre deux libations, n’hésitait pas à dire péremptoirement : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». On comprend mieux les difficultés du Brexit ! Comme Philippe de Villiers le démontre magistralement dans son ouvrage, « J’ai tiré sur le fil du mensonge »… l’origine de l’Europe comme construction politique est américaine, et sa finalité est le dépassement des Etats-Nations vers un monde où l’économie l’emporte sur la politique. L’Etat profond de Washington a commencé par tirer les ficelles, puis petit-à-petit, c’est l’oligarchie mondiale qui a pris le relais. L’Europe dont on efface les frontières, dont on nie les identités, est une expérimentation qui se donne bonne conscience puisqu’elle prétend mettre fin à des siècles de guerres entre les nations européennes. On veut faire l’Europe sans les peuples, et même contre les peuples, ces « démos » qui se confondent avec les nations et sans lesquels, il n’y a pas de démocratie possible.
Ce mot à l’étymologie grecque est clair : le gouvernement du peuple. L’Union Européenne prend un autre chemin. Mais elle le fait à travers des élections, les unes bonnes lorsqu’elles vont dans le sens de l’engrenage, les autres mauvaises quand elles freinent celui-ci. Et c’est la Grèce qui en donne aujourd’hui l’exemple. Bien qu’Athènes soit la prestigieuse capitale de ce petit pays, et rappelle la « démocratie antique », celle de Périclès et des citoyens assemblés sur l’Agora pour décider de leur destin, ce qu’a vécu la Grèce depuis 2008, et en fait depuis son entrée dans la zone Euro actée avec deux ans de retard en 2001, malgré une dette très supérieure aux critères de Maastricht, est aux antipodes de la démocratie. En 2001, les socialistes sont au pouvoir et leurs amis qui sont également aux commandes dans d’autres pays, comme la France, les aident à entrer en fraude. En fait, les données économiques avaient été falsifiées, et jamais la Grèce n’aurait du accéder à l’Euro. L’alternance a ensuite joué au profit de la « droite » puis d’une coalition tandis que les mesures draconiennes imposées par troïka – Commission-BCE- FMI- s’abattaient sur le pays, qui poussé à bout, confia le pouvoir à l’extrême-gauche, pensant que celle-ci s’opposerait à la purge. Il n’en a rien été. Tsipras et Syriza ont pris goût au pouvoir, et après deux années de récession, en 2015 et 2016, ont géré le pays suivant la médecine dure de la technocratie européenne. Des résultats positifs son apparus : le chômage est descendu de 23 à 18%, mais il y a 38,4% de pauvres, car l’emploi créé est dominé par le travail temporaire ou à temps partiel. Aujourd’hui, les Grecs vont à nouveau élire une majorité « conservatrice », appartenant au Parti Populaire Européen. La révolte s’étant métamorphosée en soumission, les Grecs jugent plus prudent d’accepter la soumission avec des gens qui l’ont toujours prônée et qui seront mieux perçus à Bruxelles. La Grèce est un bon exemple de peuple à qui on a fait perdre l’habitude qu’il pouvait choisir son destin.
Pendant ce temps, les gouvernements ont décidé quelles étaient les potiches qui allaient bénéficier du jeu de chaises musicales de Bruxelles et Strasbourg. Même Juncker a critiqué l’intervention des exécutifs nationaux qui sont passés au-dessus des élections européennes. Selon lui, c’est le candidat désigné par le parti vainqueur qui aurait du être proposé à la ratification du Parlement. Or l’Allemand Manfred Weber (CDU) a été écarté. Macron voulait lui substituer le néerlandais Timmermans, dont la liste socialiste était arrivée en tête aux Pays-Bas. Ce sont, cette fois, les pays du groupe de Visegrad, et notamment la Hongrie de Viktor Orban, dont le parti conservateur a obtenu le meilleur résultat dans son pays, et comparativement dans toute l’Europe, qui s’y sont opposés avec le soutien de nombreuses voix du PPE. Orban a eu, en effet, l’intelligence de maintenir le Fidesz dans la grande formation conservatrice. Il n’aurait pas été normal que le Président de la Commission fût le représentant d’un parti en recul et en seconde position sur l’ensemble du continent. Un compromis boiteux a donc été trouvé : il paraît remettre en piste le duo franco-allemand à travers deux femmes. Ce qui est bon pour la communication n’est qu’une apparence. Mme Van der Leyen est l’objet de nombreuses critiques en Allemagne, et on se retrouve avec une Europe-refuge, comme c’était le cas pour Juncker et Tusk tous deux battus dans leurs propres pays. Ce sera le cas aussi pour le successeur de Tusk, le Belge Charles Michel, qui vient de perdre sa majorité. C’est encore un Italien qui a été élu président du parlement, mais il est un opposant dans son pays. Quant à Christine Lagarde, condamnée en France, à propos de l’affaire « Tapie », il est étonnant que cet « arrangement » n’en tienne aucun compte. Le jeu compliqué des Etats et des partis s’est donc déployé alors qu’il n’y a pas eu d’élections européennes, mais des élections nationales dites européennes. Les élus regarderont la machine continuer son oeuvre. Les gouvernants se féliciteront de cet alibi constant à leur inaction. Quant aux peuples, ils sont invités à s’asseoir sur leur identité, à accepter leur remplacement et surtout à ne pas croire que l’Europe soit un processus démocratique. Ils risqueraient d’être déçus.
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