Pendant que la foule bigarrée des paléo-communistes se rassemble à Paris pour « faire sa fête à Macron » et en profiter pour célébrer, avec entrain et toute la presse grand public frétillante à ce sujet, le deux-centième anniversaire de la naissance de Karl Marx, la première saison de gréviculture française pour l’année 2018 continue de battre son plein.
Certes, on sent comme un petit essoufflement, tant à la SNCF qu’à Air France et peut-être devra-t-on compter sur la seconde saison de gréviculture, en automne, pour obtenir une belle moisson annuelle de jours chômés et de nouveaux droits acquis de haute lutte.
En attendant ce quatrième tour social (après le troisième, encore en cours) et avant que ne soit définitivement enterrée l’idée de ne pas payer les jours de grève, quelque part au milieu d’un été qu’on espèrera chaud, calme et ensoleillé, force est de constater que ces mouvements de grève ainsi que les petits prurits syndicalo-communistes n’ont pas donné beaucoup de résultat.
Comme je le notais dans un précédent billet, on ne peut que s’en réjouir et ce ne sont pas les pitreries de Corbière, le député de Seine-Saint-Denis, qui modifieront la donne : les Français n’ont pas grand-chose à carrer des agitations post-prandiales des syndicalistes et de la France Insoumise, ce qui permet d’envisager peut-être la mise en place de réformes réellement structurelles, lorsque le Président Macron et son gouvernement auront repris possession de la paire de gonades qu’ils ont égaré en avril, quelque part à Notre-Dame-Des-Landes.
Cependant, ne vous inquiétez pas. Des recherches ont été lancées, par nul autre que Bruno Le Maire ce qui autorise à imaginer un succès flamboyant.
Il faut comprendre notre petite homme de Bercy vient de réveiller le poney lion qui sommeillait en lui, à la suite de l’évolution récente de la situation à Air France.
La grève sévit en effet depuis plusieurs mois dans la compagnie aérienne française depuis que Jean-Marc Janaillac, le PDG, s’est entêté à vouloir la remettre sur les rails de la croissance et de la profitabilité. Compte-tenu des abominables aménagements qu’il proposait au personnel navigant, des conditions de travail lamentables voire dégradantes qu’il entendait mettre en place, une minorité de pilotes n’a eu d’autre choix que de refuser courageusement de travailler à pousser les wagonnets infamants de l’aérien low-cost dans cette mine de rien sombre et dangereuse qu’est devenue Air France.
C’est donc sans surprise que le récent référendum salarial fut un échec cinglant pour le patron de la compagnie. À la question « Pour permettre une issue positive au conflit en cours, êtes-vous favorable à l’accord salarial proposé le 16 avril 2018 ? », les salariés ont répondu non à plus de 55% : une augmentation de 7% en quatre ans, c’est moins qu’une aumône et quasiment un affront pour ces Forçats du Ciel.
Et c’est aussi sans surprise que le patron a déposé sa démission selon le principe maintenant bien ancré en France qui veut que l’entreprise n’appartient en rien à ses actionnaires mais bien à ses salariés. Au moins Marx a-t-il été suivi en France au-delà de toute espérance.
Pendant que certains s’inquiètent déjà de savoir qui pourra bien prendre le relai de ce dirigeant qui tentait, sans scrupules, d’adapter l’entreprise à la donne aérienne internationale et que, déjà, des noms se bousculent à l’entrée du fromage de l’entreprise, d’autres se posent la question de l’avenir même de cette société qui, il faut bien le dire, accumule des pertes assez joufflues.
Et c’est là que Bruno et sa paire de balloches en leasing interviennent puisque ce dernier a tout dernièrement déclaré que, je cite,
« l’État n’est pas là pour éponger les dettes, venir à la rescousse d’entreprises qui ne feraient pas les efforts nécessaires de compétitivité »
Et il ne s’est pas contenté de cette affirmation particulièrement courageuse puisque, jugeant même qu’« Air France était dans la bonne direction » avant ce conflit, il a ajouté
« J’en appelle au sens des responsabilités de chacun, des personnels navigants, des personnels au sol, des pilotes qui demandent des augmentations de salaire qui sont injustifiées: prenez vos responsabilités, la survie d’Air France est en jeu. Quand on a le niveau de rémunération actuel des pilotes, que l’on sait que l’entreprise est en danger, on ne demande pas des revendications salariales aussi élevées. »
Devant la violence de ce genre de propos, on se doute que la direction, les syndicats et tout le personnel navigant ou pas d’Air France s’est dressé comme un seul bagagiste pour dire stop à cette abominable exploitation !
L’instant de stupeur passé, on devra cependant s’interroger sur la lucidité de ce brave Bruno qui, en substance, vient d’expliquer que les revendications des grévistes sont un peu n’importe quoi, que tout ceci coûte une blinde et que ce n’est pas au contribuable de payer la facture finale.
Lucidité qui pourra lui permettre de converser sereinement avec le Bruno Le Maire d’il y a quelques jours qui n’a semble-t-il rien trouvé à redire lorsque les ministres Darmanin et Philippe faisaient assaut de communication concernant la SNCF.
Il faut en effet se rappeler qu’à côté de la dette SNCF, la dette d’Air France semble presque mignonnette. Pourtant, cela n’empêche nullement nos ministres d’en discuter la reprise par l’un ou l’autre mécanisme étatique. Pour le moment, on ne peut que savourer les contorsions grotesques de nos gouvernants tentant de faire croire que cette dette colossale ne sera absorbée ni par une hausse des prix du billet ni par une hausse des impôts. Comme l’utilisation des paillettes de pet de licornes a été écartée, on se demande un peu comment ils vont procéder, mais baste, passons.
Autrement dit, tout indique que le contribuable sera bel et bien mis à taxation pour éponger les décennies d’errances syndicales de la société ferroviaire française, pendant que société aérienne devra se faire une raison.
En réalité, Le Maire compte surtout sur le fait qu’il sera délicat pour les pilotes de passer pour une classe ouvrière exploitée là où les cheminots harpent sur ce discours depuis des lustres. Ou peut-être compte-t-il sur KLM, l’entreprise partenaire d’Air-France, pour reprendre en main l’avion ivre, alors qu’il sait pertinemment qu’il n’y a absolument personne pour reprendre le train bourré (j’avais envie d’écrire « train saoul », mais avec ces grèves, il est plus souvent l’un que l’autre).
En tout cas, il compte surtout sur le fait qu’aucun journaliste n’osera lui faire la remarque que sa position est difficile à concilier avec le reste du gouvernement qui ouvre actuellement les discussions pour la gestion du passif mammouthesque de la SNCF. Il compte sur le fait que ses petites déclarations pourront le faire voir comme courageux et décidé à peu de frais. Il compte probablement sur le fait que même si internet a une excellente mémoire, les médias n’en ont pas.
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