Depuis deux jours, la paroisse Saint-Eugène Sainte-Cécile est sous le feu des critiques. Son curé a été accusé par de courageux anonymes d’avoir transformé la vigile pascale en « covid-party ». Résultat : on annonce une procédure judiciaire à l’encontre de l’abbé Guelfucci pour mise en danger de la vie d’autrui. Et pourquoi aussi complicité d’assassinat ou cannibalisme aggravé, pendant qu’on y est ?
Il faut savoir raison garder. Non, ce n’est pas une mauvaise nouvelle qu’une église soit pleine pour Pâques ! Et non, je ne crois pas non plus que la principale responsabilité d’un curé soit de s’assurer que ses paroissiens aient bien leur masque sur le nez. Si des fidèles en ont par-dessus la tête des consignes idiotes, contradictoires et souvent liberticides, ce n’est pas la faute du curé. Et je doute que ce dernier soit monté en chaire pour demander aux paroissiens de se démasquer.
On comprend bien le jeu des médias anti-catholiques. Comme, voici quelques mois, avec la « fake news » sur le « cluster » évangélique en Alsace, ils s’en donnent à cœur joie sur « l’irresponsabilité » des chrétiens – sans, naturellement, prendre la peine de vérifier que ces rassemblements ont quoi que ce soit à voir avec la dissémination du virus, ni surtout avec ses éventuelles conséquences mortelles.
On comprend aussi le jeu des pouvoirs publics. En pleine discussion du projet de loi liberticide sur « le respect des principes républicains », le gouvernement a tout intérêt à « montrer » que les catholiques « radicaux » sont aussi dangereux que les islamistes de la même eau. Et quoi de mieux qu’une « messe en latin » pour cela ?
Mais j’avoue que je ne comprends pas du tout l’intérêt pour les autorités ecclésiastiques ou les médias catholiques de charger la barque du malheureux curé.
Que l’archevêque de Paris sermonne le curé qui lui a valu une journée de “bronca” médiatique, je peux bien sûr le comprendre. Mais une procédure canonique ? On laisse en paix des théologiens qui professent des hérésies manifestes et on en intenterait un procès canonique pour un prêtre qui aurait jugé plus important de rendre au Saint-Sacrement la révérence qui lui est due que de s’assurer que ses ouailles se frottent les mains au gel hydro-alcoolique ? Mais c’est tout simplement absurde ! Veut-on laisser croire, non seulement aux fidèles, mais au monde entier, que l’Eglise catholique se préoccupe davantage des injonctions préfectorales que de Dieu ? Au fait, je précise que, quand je parle de ces théologiens hérétiques qu’on laisse en paix, je parle en connaissance de cause : voici un quart de siècle, j’ai été séminariste à l’Institut catholique de Paris et j’y ai eu comme professeur un des rarissimes théologiens à avoir été… interdit d’enseignement par Jean-Paul II (il faut dire que cet homme, par ailleurs charmant, avait l’idée assez farfelue de « justifier » philosophiquement et moralement l’avortement !). Eh bien, il enseignait tranquillement dans ce temple de l’enseignement théologique français, sans que cela perturbe le moins du monde, ni les autorités académiques, ni les autorités ecclésiastiques. Le pape pouvait bien dire ce qu’il voulait, cela n’avait guère d’importance à Paris. Alors comment ne pas songer à un scandaleux deux poids, deux mesures en comparant avec cette mini-crisette médiatique ?
Cependant, le pire, pour moi, est ailleurs. J’ignore tout des relations entre l’abbé Guelfucci et ses supérieurs et cela ne me regarde pas. En revanche, il y a une chose qui me regarde de près, car elle est précisément de ma responsabilité de fidèle catholique (et de catholique engagé dans le combat médiatique et politique) : ce sont les conséquences politiques et médiatiques de cette affaire.
Le B-A BA de l’action politique tient en quelques principes simples : ne jamais obéir aux diktats des médias ennemis ; ne jamais renchérir ; ne jamais se désolidariser des amis. On peut bien sûr – dans l’Eglise comme ailleurs – avoir des analyses différentes. On peut en débattre publiquement et même rudement. Les controverses théologiques au Moyen Âge (qui était un peu plus catholique que notre Occident postmoderne) étaient d’ailleurs d’une autre trempe que les nôtres. Mais il faut toujours garder en tête que, depuis 1789, la gauche anti-catholique s’est attribuée le monopole de la légitimité morale. C’est elle qui nous définit comme « de droite » (ou réactionnaires, ou intégristes, ou fanatiques, ou obscurantistes, ou Dieu sait quoi encore). Et elle ne tolère la droite « modérée » que dans la mesure où, telle Salomé, celle-ci apporte sur un plateau la tête de son voisin moins « modéré ». Or, n’oublions jamais que nous sommes toujours le « modéré » de quelqu’un et le « fanatique » de quelqu’un d’autre. C’est ainsi que les prêtres jureurs durent, pour montrer qu’ils étaient de bons citoyens, se désolidariser des prêtres réfractaires, avant d’être à leur tour proscrits comme suppôts de la superstition. Hodie mihi, cras tibi…
L’Eglise de France étant engagée dans un combat d’une importance capitale pour la défense de la dignité humaine (contre l’euthanasie, contre la marchandisation du corps, pour la liberté éducative des familles, pour ne parler que des lois actuellement en discussion au parlement), il est évident que nos adversaires ont tout intérêt à nous diviser. Mais rien ne nous oblige à leur obéir. Rien ne nous oblige à renchérir.
C’est toujours un mauvais calcul. Et on le voit déjà dans cette « affaire Saint-Eugène » : les médias ayant flairé l’odeur du sang commencent à évoquer d’autres églises qui n’auraient pas respecté à la lettre des mesures sanitaires que personne ne comprend plus. Ce sera sans fin : ces nouveaux curés vont se faire lyncher par d’autres confrères qui, eux-mêmes, seront victimes du même processus quelques jours plus tard. Et, en l’occurrence, il me semble évident que Mgr Aupetit, opposant courageux à l’euthanasie et à la loi ni bio ni éthique, figurera dans les prochaines « victimes collatérales » puisque l’on pourrait dire de la vigile pascale qu’il a célébrée à Saint-Germain l’Auxerrois pratiquement tout ce qui a été dit de celle de Saint-Eugène.
J’ai toujours été frappé par une supériorité écrasante des militants pro-vie américains par rapport à nous, vieux Gaulois aimant nous déchirer, même devant l’ennemi: c’est leur capacité à ne jamais critiquer l’action d’un autre pro-vie, y compris quand celle-ci est plus que contestable. Je me souviens ainsi d’une conversation à la fin des années 1990 avec un sénateur conservateur, au cours de laquelle un jeune Français l’avait interrogé sur les assassinats de médecins avorteurs qui se répandaient alors. Naturellement, nous pensions tous que le sénateur allait condamner ces assassinats (qui sont bel et bien la pire façon de défendre la cause de la vie!). Eh bien, il avait été beaucoup plus intelligent que cela. Il nous avait répondu en substance: “Ce n’est pas mon mode d’action, mais le vrai problème, c’est l’avortement…” Avant d’enchaîner sur 5 mn de dénonciation de l’avortement. J’avais été très impressionné. Et je crois toujours que nous avons parfaitement le droit de ne répondre que ce que nous voulons aux médias (songez aussi à Georges Marchais, qui s’y connaissait en politique, et répondait au journaliste qui lui disait qu’il n’avait pas répondu à ses questions: Mais ce sont mes réponses). Ce n’est pas aux médias, ce n’est pas aux adversaires de nous dicter notre agenda!
Alors, oui, le bon sens exige de dire : Halte au feu ! Non, l’abbé Guelfucci n’est pas un assassin. Non, ce n’est pas une tragédie que son église ait été pleine pour la vigile pascale. Et oui, le Saint-Sacrement est plus important qu’un morceau de tissu sur le museau !
Guillaume de Thieulloy
Directeur du Salon beige et de Nouvelles de France
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