Narcisse de moins en moins Jupiter caressait du regard et de de l’oreille les mots qu’il avait choisis : « itinérance mémorielle ». C’est beau, c’est littéraire, ça ne va pas être compris tout-de-suite ni peut-être jamais par ceux qui ne sont rien, mais ça lui plaît. Le mot rare flatte l’égotisme du lecteur de Gide, dont les « Nourritures terrestres » avaient été mises en évidence sur un bureau pour un cadrage télévisuel. Ah! la mise en scène, c’est l’essentiel. Ainsi, « itinérance » renvoie à celui qui chemine plus ou moins à la recherche de quelque chose qui reste dans un certain halo de mystère … ou de brume. C’est d’ailleurs là que les choses se compliquent, mais on sait que notre guide, suprême et non pas touristique, a un esprit complexe : il veut comme d’habitude faire deux choses à la fois, retrouver les Français et éclairer d’un jour nouveau la mémoire. Or les Français qui savent ce qu’est un itinéraire, notamment celui qu’ils empruntent pour aller au travail ou pour en trouver, pour se ravitailler, ou pour vivre tout simplement avec leur famille, celle qui aime les promenades et celle qui souffre de solitude et d’éloignement, les Français l’attendent sur le bord des routes pour lui rappeler que la vie est devenue trop chère, et que, pour ce qui est de la mémoire, il vont lui remémorer ses promesses de campagne. Patatras, Jupiter tombe à nouveau de son petit nuage. Il y a longtemps que l’Olympe, c’était fini. Il voulait faire solennel et grandiose, façon Versailles, Invalides, Louvre et Panthéon, et il se retrouve à battre en retraite sur des positions non préparées à l’avance. Pas de chance, quand on évoque une guerre longue et difficile, mais victorieuse. Il ne lâchait rien, il assumait, il martelait l’urgence climatique et les sacrifices qu’elle impose et se retrouve à concocter l’idée d’un chèque-cadeau, avec des conditions, des seuils, et des cofinancements, bref une « usine », comme celles qui ferment dans les régions qu’il visite, « à gaz », comme celui qui coûte de plus en plus cher. « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » Le Devin plombier des Shadoks n’aurait pas trouvé mieux : une nouvelle dépense qui va agrandir le trou que les taxes devaient boucher pour compenser les dites taxes qui sont maintenues.
Une autre idée ambivalente déborde de génie : l’hommage aux morts d’un côté, et l’écoute des vivants, de l’autre. La proximité, aller à la rencontre des Français ? Il va leur offrir sa présence, ils vont guérir des écrouelles comme à la sortie du Sacre de Reims, sauf que cette fois, c’est de la lèpre nationaliste qu’il faut les sauver. Le paradoxe est de taille : il s’agit de commémorer une victoire, en ne mettant pas trop en avant les Chefs victorieux, qui ne sont que des militaires, mais en privilégiant les soldats, qui étaient patriotes au point de mourir pour défendre leur frontière, pour la reconquérir, et pour la remettre sur le Rhin. Certains mauvais esprits oseraient même « nationalistes », les méchants du western macronien, pour les qualifier. Mais d’autres esprits, plus mauvais encore, n’hésiteraient pas à penser qu’un homme qui veut « reconquérir » les Français, ce qui est plus modeste, mais pas nécessairement plus facile, se soucie comme d’une guigne de ceux qui ont défendu le pré carré. Ils ne sont qu’un moyen issu d’un passé que le « Chef des Armées », n’hésite pas, quand ça lui chante à salir, lorsqu’il parle de la colonisation comme d’un crime contre l’humanité, ou quand il salue davantage un traître que les victimes du terrorisme FLN en Algérie. Le « mémoriel » est un vecteur pour communiquer au présent. Le vrai « souvenir » fait d’émotion et de communion avec ceux qui ont vécu la Grande Guerre, ceux qui ne sont pas revenus, ceux qui ont pu raconter, et la foule de ceux, des proches, qui ont connu d’autres conflits, cette mémoire là n’appartient qu’aux gens simples et authentiques.
Troisième idée lumineuse : retrouver la proximité ! Evidemment, c’est plus simple avec les morts, les élus ou les officiels. Les premiers restent silencieux, les seconds consensuels par intérêt, et les troisièmes déférents à cause de leur carrière. Tout le monde ne s’appelle pas de Villiers… Pour le reste, en même temps, la proximité sera pratiquée de loin, à l’abri des barrières, à défaut de frontières. Il y a des pays où celles-ci et celles-là empêchent les étrangers indésirables d’entrer. La France paradoxale ouvre les frontières mais laisse les Français derrière des barrières, car ils font peur… Les desseins d’un génie sont impénétrables…