« Donner un sens plus pur aux mots de la tribu ». Dans ce vers, Mallarmé donnait sa vision de la mission du poète. Je n’ai jamais été convaincu par l’idée que le poète dût purifier la langue. S’il le fait, c’est à la manière de celui qui polit un diamant. Le mot brut de la prose acquiert alors un brillant qui lui donne une valeur unique que son emploi courant ne possédait nullement. Pour autant, le mot n’est pas plus vrai. Bien au contraire. Le vers de Mallarmé peut revêtir une signification très différente en politique. Les vieilles tribus utilisent des langues dont les mots sont des cailloux qui ont beaucoup roulé et sont tellement usés qu’ils ne veulent plus dire grand chose. Lorsque ces tribus sont devenues des nations démocratiques, alors les politiciens qui les emploient leur donnent des sens différents et les peuples qui les écoutent ne savent plus très bien ce qu’ils veulent dire. Chargés d’affects accumulés par l’histoire, brandis comme des fanions ou stigmatisés à cause de ceux qui les emploient volontiers, les mots ne sont plus des repères de la pensée mais des moyens de la troubler davantage. C’est pourquoi il est utile d’écrire des dictionnaires qui redonnent aux mots un sens plus authentique ou qui dénoncent leur emploi fallacieux. C’est ce que vient de faire Robert Ménard dans un petit livre d’une ironie grinçante et presque désespérée : « Abécédaire de la France qui ne veut pas mourir ». Pour tous ceux qui ne parviennent pas à comprendre ce que la France devient et encore moins la langue que désormais on y parle, le Maire de Béziers fournit le lexique qui permet de retrouver dans le bruit ambiant le sens des mots perdus. « L’avortement est un sujet interdit »… « Pourtant, il y a une chose qui, de mon point de vue, est évidente. Ce sont des vies que l’on tue dans le ventre de leurs mères. Pas des concepts philosophiques ». L’avortement, ce n’est pas une IVG, c’est l’exécution d’un être issu de deux parents et qui était la plupart du temps destiné à vivre. Peut-être que le dire ainsi ne changera rien à la loi, mais au moins il redonnera une conscience claire de l’acte. Il appellera chat un chat, comme dirait un populiste. Justement, « Populiste. Gros mot ! .. Le populisme, c’est l’irruption des gueux sur les beaux tapis des beaux salons des beaux esprits »… « Avant tout un qualificatif méprisant, destiné à disqualifier, à tracer une frontière entre « ceux-d’en-haut et les autres ». C’est une manière de protéger notre système et son oligarchie. Les populistes sont réputés islamophobes. « Islamophobe. Invention des militants islamistes afin d’enrayer toute résistance relayée servilement par les grands médias ». On a compris que Robert Ménard voulait libérer la langue de la tribu française de la gangue des mots impurs imposée par l’idéologie du politiquement correct et de la pensée unique. Cette libération, c’est tout simplement un retour à la démocratie, ce système où le peuple comprend ce qu’on lui dit, décide de ce qu’il veut, et exige comme souverain que sa volonté soit mise en oeuvre. « Démocratie, système en voie de disparition quand la communautarisation prend le pas sur la nation… Pas de démocratie sans peuple. Pas de peuple sans identité », dit encore le Maire de Béziers.
Le mot identité est sans doute l’un de ceux que l’idéologie a le plus bousculé. Le débat télévisé d’avant-hier entre les candidats à la primaire de la droite et du centre l’a évité alors qu’il est au coeur de la pensée de droite. Mais il n’est pas politiquement correct : il semble préférer le même à l’autre. Les deux candidats qui y ont fait allusion, Juppé avec son objectif d’identité heureuse, une formule creuse de communication inventée par opposition à un titre de Finkielkraut, et NKM faisant de l’accueil de l’autre une identité nationale paradoxale au point d’être vide, sont en fait les moins à droite de l’éventail. Le rejet systématique du Front National par tous les candidats avec des nuances d’intensité, minimale pour Poisson, maximale pour NKM est révélateur. Le concurrent qui chasse sur les mêmes terres est un danger plus grand que le camp d’en-face. Cette attitude politicienne rend difficile de prétendre être attaché à la nation, à sa culture, à son histoire, à ses racines chrétiennes , à tout ce qui constitue l’héritage commun que la plupart des Français sentent aujourd’hui menacé. Le sentiment est partagé par les électeurs de droite qu’ils votent pour Les Républicains ou pour le Front National. Désigner le Front National comme un ennemi et la gauche comme un adversaire avec laquelle on pourrait faire un Front Républicain, c’est nier cette communauté d’esprit, c’est refuser l’unité de la droite au profit d’une alliance contre nature avec ceux qui trahissent le pays au travers de leurs alliances douteuses, de leur appui à une immigration excessive, et de cette préférence étrangère qui se manifeste par exemple dans la proposition absurde d’accorder le droit de vote aux étrangers. La réalité est que pour la droite, la vraie, la gauche est une ennemie quand elle est le parti de l’étranger et une adversaire lorsqu’elle se contente de défendre des idées utopiques dans les domaines économique et social. Le Front National est un concurrent, ni un ennemi, ni même un adversaire puisqu’il défend avant tout ce que de Gaulle appelait l’intérêt supérieur de la Patrie. Redonner leur sens aux mots de la tribu est le plus sûr chemin pour reconstruire l’unité de la Nation. Babel, la confusion des identités et des mots est un suicide.