Nos sociétés évoluent plus vite que les mentalités : nouvelles technologies, nouveaux moyens de communication, d’information, nouveaux rapports aux temps et à l’espace. Ces évolutions aussi bien naturelles qu’artificielles peuvent être anxiogènes, particulièrement dans le cadre professionnel. Mais elles n’en sont pas moins inéluctables et nécessitent un accompagnement sur lequel les salariés doivent pouvoir compter.
De l’individualisme revendiqué à l’isolement subi
Nous ne travaillons plus aujourd’hui comme avant. Derrière cette évidence se cachent de profondes mutations du monde du travail, dues pour partie à l’explosion des nouvelles technologies, mais aussi à l’évolution des comportements et des attentes des salariés, comme des consommateurs. Et ces changements ne connaissent pas de répit. De même que la marche du progrès semble inarrêtable, les changements sociétaux ne prennent pas de pause. Le salarié comme le consommateur demandent plus d’égalité dans l’accès à ce que notre société et nos modes de vie proposent, mais aussi plus de liberté dans ses pratiques de consommation ou dans l’exercice de sa profession. Plus individualiste qu’auparavant, le citoyen-salarié-consommateur s’arroge désormais le droit de décider en conscience des grandes orientations de sa vie personnelle et professionnelle.
Si sur le plan personnel, cette prise de conscience de l’individu ne va déjà pas sans mal, sur le plan professionnel, elle conduit bien souvent à l’isolement et à la solitude au sein d’un système reposant sur les rapports de force. Le salarié comme le consommateur peut se retrouver bien seul pour faire valoir ses droits et ses volontés auprès des autres parties prenantes au débat : gouvernements, institutions, administrations, patronats… Les associations de consommateurs n’ayant que peu de pouvoir ou de moyens de pression, hormis leur influence sur l’opinion publique et quelques actions en justice, c’est sur les organisations syndicales que reposent les espoirs d’accompagnement du changement. Mais le font elles réellement ?
Doit-on consommer le divorce entre syndicats et salariés ?
La question du travail dominicale et nocturne, et les débats houleux qui ont suivi, ont posé cette question de manière crue. Des salariés de Sephora à ceux de Leroy Merlin, Bricorama, en passant par les employés de la supérette de la gare Saint-Lazare, il est assez regrettable de constater d’une part que les salariés ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour faire avancer leurs revendications, mais aussi qu’ils sont tenus de contrer l’action de syndicats censés les représenter et les défendre. Avec un discours dogmatique, légèrement « vintage », sur la notion d’exploitation capitaliste, les syndicats se sont coupés progressivement des réalités du « terrain » et des préoccupations réelles des salariés. Le militantisme politique de ces organisations est le principal fait reproché, car cela les déconnecte des réalités quotidiennes des salariés, et de l’évolution de leurs revendications.
Les salariés des magasins concernés constatent l’inéquation d’une législation sur le travail dominical vieille de près d’un siècle avec les réalités d’un monde où la technologie numérique a tout bouleversé ; par contre ils demandent la prise en compte de leurs aspirations à plus de souplesse et de liberté de choix sur leurs horaires. Mais surtout, ils demandent à ce qu’on ne mette pas en danger leur pouvoir d’achat ou leur emploi. Si la direction de Sephora parle depuis plusieurs mois de « menace sur plus de 45 emplois », le directeur du Carrefour City de la gare Saint-Lazare est beaucoup plus affirmatif : « en cas de fermeture le dimanche, je serais obligé de licencier : les emplois de mes salariés qui ne travaillent que le week-end seraient supprimés ». En première ligne de ces destructions d’emplois, les étudiants et certains salariés qui n’ont pas le choix de leurs horaires de travail. Si les salariés deviennent les premières victimes de l’action syndicale, c’est que notre modèle est à changer.
Vers un renouveau du syndicalisme ?
La contestation de la forme prise par l’action syndicale n’est pas nouvelle. Quinze ans en arrière, un sondage mené auprès des salariés français dénonçait déjà des syndicats « insuffisamment représentatifs, trop dépendants des pouvoirs politiques, inefficaces, voire archaïques ». À l’époque, même le premier syndicat de France a songé à passer d’une « culture d’opposition à une culture de proposition ». Il faut croire que la volonté n’était pas suffisante. Il est par contre surprenant qu’une réelle remise en cause de l’action syndicale en France n’ait pas eu lieu. Car si la France est plutôt dans la moyenne haute du nombre de jours de grève par an, elle a le plus faible taux de syndicalisation de tous les pays européens : à peine 7 ou 8% de salariés syndiqués, selon des sources syndicales peu enclines à donner les véritables chiffres. Au niveau de l’OCDE, la France n’est battue que par la Turquie. Même les États-Unis comptent, en proportion, plus de salariés syndiqués que la France.
Pourtant la France a besoin de syndicats forts. Les salariés veulent être défendus. Mais ils attendent des syndicats « modernes, prestataires de services » et « coupés leurs racines militantes ». La baisse constante des effectifs syndiqués n’a rien d’une fatalité. Elle prendra fin le jour où les syndicats reprendront leur rôle initial de représentation et de défense des salariés, dans l’intérêt exclusif de ces derniers.
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