Un lecteur nous adresse ce texte:
François Hollande président, ce devait être la fin des divisions ; François Hollande président, ce devait être le temps du rassemblement ; François Hollande président, ce devait être le terme de procédés visant à « monter les Français les uns contre les autres ».
On notera avec soin l’emploi répété et un brin ironique du conditionnel dans mon paragraphe introductif. En effet, on ne peut pas dire que ces six derniers mois de pratique aient accrédités les dires du président élu. Entre la question du droit de vote aux étrangers et celle du mariage entre gens du même sexe, le chef de l’État a imposé au débat public deux thèmes extrêmement clivants. Il est vrai que le processus d’adoption d’un Pacte budgétaire resté identique à la version Merkozy constitue une pierre dans le jardin présidentiel, d’autant qu’un vent d’opposition commençait à se faire sentir, y compris dans le camp de la majorité.
Dès lors, quoi de mieux qu’un enjeu sociétal pour détourner l’attention médiatique vers des sujets qui enflamment les débats ? La tactique est éprouvée, et le 17 octobre dernier a fourni une nouvelle occasion d’exacerber les passions.
En effet, la date du 17 octobre 1961 correspond à la répression d’une manifestation pro-FLN menée par des Algériens, ou citoyens français d’origine algérienne, à Paris. La clandestinité de la manifestation et sa répression brutale sont les seules données sur lesquelles les historiens concordent, tout le reste est sujet à débat, et les conjectures diverses favorisant une interprétation spécifique de l’affaire seront probablement de mise tant que les archives du FLN et de l’État français n’auront pas rendu leur verdict.
Ce qui paraît gênant dans l’action de François Hollande ce n’est pas tant la quête du savoir qui se trouve réactivée par sa déclaration ; non, ce qui paraît gênant c’est que cette déclaration-là émane du président de la République. De la reconnaissance à la repentance il n’y a qu’un pas ; or, s’il est une personne illégitime à reconnaître et à se repentir, c’est bien le chef de l’État.
Politisation du débat historique
Dans sa fonction, l’historien est perpétuellement confronté à deux écueils bien précis qu’il se doit d’éviter : l’anachronisme, et le parti pris. En l’occurrence, cette reconnaissance prononcée par François Hollande tend à accréditer une interprétation bien précise des évènements de 1961 sur lesquels la lumière n’a pourtant pas été faite. Elle révèle ainsi le sentiment personnel du président français, son rejet de l’action policière et sa compassion envers les manifestants, ce qui constitue donc un parti pris.
Ceci étant, François Hollande n’est pas historien nous dira-t-on. Eh bien oui, et c’est précisément là où se situe le problème.
Depuis quelques années nous avons pris l’habitude d’insérer le débat historique au cœur du débat politique, et l’électoralisme sous-jacent à cette pratique fait désormais partie de la panoplie intégrale du politicien cauteleux qui fait de l’Histoire un instrument de sa communication personnelle.
Loin d’apporter un éclairage intellectuel de premier plan sur des questions délicates, le politicien extrait du roman national une fraction minime qu’il réemploie dans un contexte d’émotion et de subjectivité absolue qui a pour seul objet de servir ses intérêts.
C’est notamment ce à quoi l’on a assisté avec la loi Taubira de 2001. Cette loi mémorielle représente la quintessence de l’expropriation historique à visée politique. Loin de commémorer l’esclavage en tant que concept, la loi s’attache simplement à en évoquer une frange, à savoir la traite négrière à laquelle on a adossé le génocide des populations amérindiennes qui, soit dit en passant, est totalement étranger à l’œuvre française.
La reconnaissance de l’esclavage – sous entendue la traite négrière – comme crime contre l’humanité, notion inventée à Nuremberg au moment de juger les criminels nazis, constitue donc un anachronisme dont se garderait bien tout historien, même amateur.
Outre la malhonnêteté intellectuelle du procédé, les aspirations communautaristes de la loi Taubira sont évidentes et même revendiquées, car on estimait alors que cette reconnaissance apaiserait la société, et donnerait aux jeunes issus de l’immigration africaine un regard neuf sur le pays au sein duquel ils résident. Onze années plus tard, on cherche encore les effets thaumaturgiques d’une mesure intrinsèquement sectaire et hypocrite. Je parle effectivement d’hypocrisie, car il faudrait une naïveté incompatible avec la chose politique pour croire que l’on apaise quoique ce soit en désignant des exploiteurs et des exploités.
Qu’on ne s’y trompe pas, le but ici n’est pas d’éluder les pages les moins flatteuses de l’Histoire de France, il est simplement de rappeler qu’on ne peut regarder les actes passés d’un point de vue contemporain. La chose n’a aucun sens et nous obligerait à nous excuser de tout ce qui précède nos actes présents. D’ailleurs, en allant jusqu’au bout du concept, on devra admettre que nous-mêmes sommes les barbares de demain.
On comprend dès lors l’inanité du procédé, et fort heureusement la réalité est loin d’être aussi binaire que la communication politique tend à le faire croire. L’histoire du monde n’est pas assimilable à un manichéisme quelconque qui d’un côté placerait les bons et de l’autre les mauvais. La France a conquis, pillé, tué, massacré, en Europe, en Afrique, dans les Caraïbes, en Asie ; elle-même a subi sur son sol les affres d’invasions multiples, de dévastations, d’exactions, de meurtres. C’est le propre de toutes les nations en quelque endroit du monde. Tous les peuples ont été vainqueurs et vaincus ; tous ont soumis et ont été soumis eux-mêmes à un moment de leur histoire. La condamnation perpétuelle de la période d’expansion européenne équivaut à regarder la grande Histoire par le trou d’une serrure, et à terme le risque est de valider le mythe de l’homme blanc cruel et cupide persécutant des populations pures et innocentes.
On sait pourtant que la cruauté, le vice, et la violence n’ont pas d’ethnie spécifique, qu’elles sont des attributs du genre humain auquel tous les peuples appartiennent, sans distinction aucune.
Le président, garant de l’abaissement
Mais qu’importe la complexité historique, qu’importe la probité intellectuelle, la vie politique exige des paroles qui ont vocation à être des messages et des actes qui ont pour but d’être des symboles.
Qu’importe donc si François Hollande paraît se soumettre aux attentes d’un président algérien issu d’une dictature militaire ; à des représentants qui, cinquante-ans après l’indépendance, règnent encore sur l’Algérie de manière quasi-dictatoriale ; qu’importe si pour les barons d’Alger qui résistent difficilement aux islamistes, seule alternative politique réelle, la resucée d’une rhétorique de guerre coloniale anti-française est l’arbre démagogique qui cache une forêt de corruption, de népotisme, et de mauvaise gestion.
Ainsi donc après le Vel d’Hiv’ il y eut le 17 octobre 1961, repentance modérée pour le président socialiste. Pour flatter un électorat ciblé, pour faire patte blanche avant sa visite de décembre, pour combler les aspirations d’un courant de pensée iréniste et culpabilisateur, pour raison stratégique enfin, le garant de la grandeur de la France trouve dans l’abaissement national le pivot de sa politique personnelle.
Cette reconnaissance de faits non élucidés -et dans tous les cas liés à une situation de guerre- est comme une pression supplémentaire sur la nuque d’un peuple qui a déjà la tête dans le sable. Il est peu évident aujourd’hui d’affirmer son amour de la patrie, il n’est guère bien vu d’agiter un drapeau tricolore dans un contexte autre que celui d’un match de football, chose unique en Occident. La France a mauvaise conscience, et cette mauvaise conscience est le facteur principal de sa division.
Loin d’être cette gageure contre laquelle les gouvernements successifs prétendent lutter, la division est un atout politique formidable pour occulter le débat, nous l’avons dit, mais aussi pour neutraliser le parti adverse, lequel n’a pas manqué de manifester son indignation, tombant inévitablement dans ce piège tendu par leurs adversaires qui vise à ancrer les Justes d’un côté, et les affreux réactionnaires de l’autre.
Cette stratégie n’est pas nouvelle, en témoigne la sortie de Lionel Jospin en 1998. En délicatesse sur la question du chômage, le premier ministre de l’époque se fend d’un discours extrêmement offensif à l’Assemblée nationale au moment de commémorer le cent-cinquantième anniversaire de l’abolition de l’esclavage. Il ira ainsi jusqu’à affirmer que la droite était « esclavagiste et antidreyfusarde », assimilant de fait les élus de 1998 à ceux du siècle précédent. Ces déclarations provoquèrent le tollé que l’on imagine, et elles permirent d’obtenir les bénéfices escomptés : détournement de l’attention médiatique, dénonciation d’une opposition associée aux tares du passé, solidarité renforcée de la majorité.
La réitération du procédé apparaît évidente à ce moment précis où se jouent les décisions économiques cruciales du quinquennat, je pense notamment au fameux pacte compétitif élaboré par le gouvernement, et pour lequel il aura besoin de serrer ses rangs face à une opposition qui sera bientôt soudée autour d’un chef élu. L’enchevêtrement successif de débats nationaux a également permis aux dirigeants de respirer, éloignant ainsi les unes médiatiques qui se plaisaient à consacrer leur nullité.
Mais les calculs politiciens sont évidemment nocifs à l’intérêt général. Une nation se doit d’être fière d’elle, fière de son héritage, car c’est le seul moyen d’envisager sereinement l’avenir. Le dégoût de soi et l’esprit de repentance -qu’ils incombent à un individu ou à une nation- relèvent d’une pathologie, car la finalité de ces sentiments est clairement mortifère.
Le passé ne peut être réécrit, et il est légitime que chaque nation garde en mémoire les souffrances qu’ont été les siennes. Néanmoins, l’Histoire n’est en rien un exutoire par lequel on se flagelle l’esprit ; de leur côté, les Allemands ont le mérite de l’avoir compris. La fixation sur les actes du passé n’apaise en rien, elle entretient les tensions entre les individus et les États.
Détourner l’attention médiatique pour contrer les critiques, décrédibiliser l’opposition, mobiliser son camp pour des batailles politiques à venir ; tout cela fait partie d’un jeu qui, à défaut d’être noble, est propre aux joutes républicaines. Néanmoins, faut-il vraiment embrigader la mémoire collective, contorsionner l’Histoire et à travers elle l’héritage de la France pour l’ajuster aux intérêts privés et aux luttes claniques ? Poser cette question suffit déjà à anticiper sa réponse.
Du même auteur :
> Ce que le pain au chocolat ne dit pas
36 Comments
Comments are closed.