Pour le politologue et chercheur à l’IRIS, qui a assisté à la manifestation, les organisateurs ont réussi leur pari : faire redémarrer, dans un esprit plus apaisé, la mobilisation initiée en 2013, en s’emparant cette fois d’une inquiétude anthropologique plus vaste. Propos recueillis par Le Figaro de lundi :
Comment jugez-vous l’ampleur de la manifestation du collectif « Marchons Enfants » ?
Pour un mouvement qui redémarre après une longue interruption, le nombre de personnes présentes est très significatif. Les organisateurs ont déjà annoncé 600 000 manifestants : à l’heure où je vous parle, le chiffre officiel de 100 000 ne me parait pas insensé. Ceux qui ont appelé à manifester peuvent se targuer d’un succès. Indéniablement, la mobilisation de la province lors de ce défilé national a joué : le maillage territorial des Associations Familiales Catholiques a permis d’affréter de nombreux cars venus de toute la France. Les diocèses ont aussi joué leur rôle. Je crois savoir que Mgr Rey était présent, et qu’un autre évêque, Mgr Aillet, a encouragé sur Twitter les manifestants.
Quel était l’état d’esprit des manifestants ?
Par rapport aux rassemblements de 2012-2013 contre le mariage pour tous, j’ai trouvé que l’esprit général était plus apaisé, réellement bon enfant. Les slogans étaient mesurés, et les organisateurs ont plusieurs fois rappelé leur attachement aux valeurs et aux symboles de la République – par exemple, Ludovine de la Rochère a conclu son intervention à la tribune en rappelant la devise républicaine et en insistant sur la « fraternité ». Chacun était conscient qu’il fallait éviter à tout prix les slogans et les discours outranciers. La manifestation s’est déroulée dans un climat très calme et jusqu’à maintenant aucun débordement n’est à déplorer. Les effectifs de police étaient présents mais en retrait et ne semblaient pas redouter d’affrontements avec les participants. Certaines organisations d’extrême droite ont certes appelé à participer mais elles étaient à peine visibles au milieu du cortège.
En discutant avec de nombreux manifestants, j’ai perçu une inquiétude persistante : celle d’un engrenage, qui conduirait inévitablement de la PMA vers la GPA. Les personnes qui ont défilé sont sensibles au risque d’une marchandisation du corps humain et souhaitent faire entendre une crainte d’ordre anthropologique, sur des questions qui sont en effet préoccupantes : ils redoutent l’eugénisme, et un travestissement du sens de la médecine. Beaucoup m’ont dit : « on ne joue pas avec l’Homme ». Et cette inquiétude va au-delà des seuls cercles de la droite conservatrice. J’ai entendu José Bové ou encore Sylviane Agacinski tenir des propos similaires.Cette manifestation témoigne-t-elle selon vous d’un intérêt persistant d’une partie de l’opinion pour ces questions sociétales ?
De toute évidence, oui. La mobilisation de ce dimanche a montré que le projet de loi bioéthique préoccupe une partie non-négligeable de l’opinion. Pour ces personnes, il en va de l’avenir de la science. Ils ont su également s’emparer de sujets relativement complexes, pour lesquels des slogans simplistes ne sauraient suffire. Bien-sûr, l’impact politique de ce défilé sera sans doute limité car la majorité parlementaire à l’Assemblée est écrasante. Mais, quelques mois après la défaite de la liste LR emmenée par François-Xavier Bellamy aux élections européennes, son électorat semble s’être remobilisé. La présence de deux des trois candidats à la présidence du parti Les Républicains laisse penser que les thèmes défendus par les manifestants de dimanche auront un rôle important pour l’avenir de la droite.
2 Comments
Comments are closed.