Notre premier ministre a déclaré mercredi 4 septembre lors du séminaire de rentrée du gouvernement que l’écologie était la priorité du gouvernement. On n’a pas fini d’en parler. L’académicien Alain Finkielkraut, critique une écologie qui, laissant carte blanche aux techniciens, aggraverait la dévastation dans sa façon même d’y porter remède. Il plaide pour que l’on donne une dimension esthétique à l’écologie. Que l’on nous rende la beauté du monde !
Aujourd’hui, la terre crie grâce et le ciel fait n’importe quoi. Plus les machines sont performantes, plus l’avenir s’assombrit. De conquérant, le progrès devient incontrôlable. Tout fonctionne, et en même temps tout se dérègle, tout dépend de l’homme, même la météo, et rien ne va comme il veut. (…)
Avec leur volonté d’approprier la Création à l’humanité, les Temps modernes s’étaient placés sous le signe de Prométhée, mais maintenant qu’ils créent des monstres, c’est la figure du docteur Frankenstein qui vient à l’esprit. Et, sous l’éclairage de la menace, l’écologie, qui a été longtemps une affaire d’hurluberlus, s’invite dans l’agenda politique de la gauche, de la droite et du «en même temps». Même les progressistes se demandent comment maîtriser notre maîtrise et s’attachent à réparer les dégâts du progrès. Ils cherchent des alternatives aux énergies polluantes. D’où leur enthousiasme pour les éoliennes. C’est le moyen, disent-ils, de ralentir le réchauffement climatique, en limitant l’émission de gaz à effet de serre. Et les chiffres leur donnent raison.
Seulement voilà: les chiffres ne sont pas tout, il y a aussi l’inquantifiable: le visage des choses, les apparences avant leur traduction mathématique, la réalité telle qu’elle s’offre au regard. Convertie à l’écologie, la science sera d’un grand secours, mais pour que la Terre demeure habitable, il ne faut pas lui concéder le monopole du vrai. «Les éoliennes poussent partout comme des champignons, écrit Renaud Camus. Rien n’est plus désespérant pour l’homme que ces pales tueuses d’oiseaux. Elles lui disent qu’il est cerné, qu’il n’y a plus pour lui d’échappatoires, plus d’absence, plus de transcendance, plus de hauteurs où plus présents sont les dieux. Et c’est sa propre espèce qui lui impose cette incarcération. (…) Les agenceurs de cette épouvante prétendent qu’ils ne dressent ces barreaux de prison que pour le bien de l’humanité et pour sauver la planète, mais à quoi bon sauver la planète, si c’est pour en faire une geôle sinistre ?»
Tel est le terrible paradoxe de notre temps: ceux qui veulent préserver la vie sur Terre militent pour la prolifération des éoliennes, alors qu’une vie à l’ombre de ces mastodontes vrombissants ne vaut d’être vécue ni pour les hommes ni pour les vaches. Dans cette guerre contre les nouveaux moulins à vent, la lucidité est du côté de Don Quichotte, et les écologistes sont les premiers à se moquer de lui. On se trompe donc en dénonçant leur catastrophisme. À l’heure de l’artificialisation accélérée des sols, de la démographie démente, de l’extension indéfinie de la banlieue, de la violence de l’agro-industrie, de l’agonie de la forêt amazonienne, de la montée des eaux et de la sécheresse qui fait croître le désert, on ne peut pas considérer l’effroi comme une pathologie. Quand tout disparaît, les sarcasmes contre la hantise de la chute finale témoignent d’un panglossisme stupéfiant. Ce qu’on peut, en revanche, reprocher à la politique écologique, c’est d’aggraver la dévastation dans sa façon même d’y porter remède.(…)
Il y a quelques mois paraissait un manifeste écrit par Fabrice Nicolino, journaliste à Charlie Hebdo: «Nous ne reconnaissons plus notre pays. La nature y est souillée. Le tiers des oiseaux ont disparu en 15 ans ; la moitié des papillons en 20 ans, les abeilles et les pollinisateurs meurent par milliards ; les grenouilles et les sauterelles semblent évanouies, les fleurs sauvages deviennent rares. Ce monde qui s’efface est le nôtre, et chaque couleur qui succombe, chaque lumière qui s’éteint est une douleur définitive. Rendez-nous nos coquelicots! Rendez-nous la beauté du monde!» Ce texte magnifique est deux fois désespérant: dans ce qu’il énonce et dans sa manière de l’énoncer, car celle-ci aussi est en voie de disparition. L’écologie officielle ne connaît plus la nature, ni le nom de ses habitants, mais seulement la «biodiversité» ou les «écosystèmes», ce qui veut dire que le souci de l’être s’exprime désormais dans la langue de l’oubli de l’être. On délaisse l’amour des paysages pour les problèmes de l’environnement. Et on n’a pas de temps à perdre avec la beauté du monde quand la planète est en péril.(…)
La nature a besoin de poètes pour que nous y soyons sensibles. Mais, tragédie invisible, (…) les «ambassadeurs du monde muet» ont disparu. Adieu, Virgile, Ronsard, Wordsworth, Hölderlin, Ponge ou Bonnefoy! Les poètes ne sont plus là pour nous ouvrir les yeux et façonner notre âme. Et c’est Greta Thunberg qui occupe la place laissée vacante.
Cette adolescente suédoise a eu l’idée géniale d’une grève hebdomadaire des cours, car, dit-elle: «Nous ferons nos devoirs quand vous ferez les vôtres.» De l’Assemblée nationale française à l’assemblée générale de Nations unies, les adultes médusés lui font un triomphe. Au lieu d’assumer par l’autorité la responsabilité du monde, ils présentent leurs excuses pour avoir tout salopé. Au lieu d’œuvrer à élargir le vocabulaire des enfants afin d’affiner leur vision, ils écoutent religieusement les abstraites sommations de la parole puérile. Ils ne se préoccupent pas de donner, par la connaissance de l’art, une dimension esthétique à l’écologie. L’urgence met la culture en vacances, et remplace par le tri sélectif l’éducation de la sensibilité. L’écologie méritait mieux.
(extraits de la tribune publiée dans Le Figaro du 29 août 2019, merci à EVR)
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