Les 4 et 5 Septembre, un sommet de l’OTAN s’est réuni à Newport au Pays de Galles. Cette assemblée des Etats-Unis et de leurs vassaux mérite trois réflexions. D’abord, elle peut être éclairée par un double retour historique. La France commémore la Grande Guerre commencée, il y a tout juste un siècle. Le déclin subi par l’Europe depuis est hallucinant. En 1914, l’Europe des monarchies et des républiques, c’était l’Europe des empires qui dominaient le monde. Londres était le centre du plus puissant, par son étendue, de Gibraltar à Singapour, du Caire au Cap, de l’Australie au Canada, le plus peuplé avec l’ensemble du sous-continent indien et les régions les plus denses de l’Afrique. La France, même si elle avait collectionné des déserts était implantée en Afrique du Nord et en Indochine. Elle possédait Madagascar. Les autres pays européens, les Pays-Bas, avec l’Indonésie, la Belgique, avec le Congo, le Portugal avec ses vastes domaines africains avaient leurs parts. Ces empires ont disparu après la seconde guerre, entre 1945 et 1975. Le Britannique et le Français s’étaient encore accrus entre les deux guerres des territoires perdus par l’Allemagne et l’Empire Ottoman. En 1914, la Russie s’étendait de Varsovie à Vladivistock . Elle n’a perdu depuis son emprise que sur une partie des Républiques soviétiques de l’URSS, parvenues à l’indépendance avec la chute de celle-ci. Deux puissances non-européennes apparaissaient à l’horizon : le Japon qui avait surpris le monde en battant la Russie en 1905 et les Etats-Unis qui avaient fini de liquider l’empire espagnol. Celui-ci, évincé d’Amérique venait d’y perdre sa dernière colonie, Cuba ainsi que les Philippines en Extrême-Orient. Néanmoins, ces nouvelles puissances semblaient s’intégrer à ce monde « civilisé » ou « développé » qui avait vocation à s’emparer des dernières poches de résistance, et notamment de la plus grosse, la Chine. Elles avaient d’ailleurs participé ensemble à l’expédition en vue de libérer les légations de Pékin, assiégées par les Boxers. En 1917, les Etats-Unis interviennent contre les « Empires Centraux » et apportent un soutien décisif à la victoire de la France. Ils jouent un rôle totalement néfaste dans l’établissement de la paix en favorisant l’émiettement de l’Europe au nom du principe des nationalités, qui est la cause principale de la seconde guerre. Ils reviendront un quart de siècle plus tard, mais cette fois comme les libérateurs et les protecteurs de l’Europe de l’Ouest. Celle-ci, de maîtresse du monde passait au rang de protectorat américain.
Il y avait, dans l’Antiquité, au sud du continent européen, une péninsule riche et civilisée, ouverte sur la mer, divisée en de multiples cités disposant de colonies autour de la Méditerranée. Epuisées par leurs guerres et à la merci des conquérants, elles ont fini sous l’aile protectrice de l’aigle romaine. Il y a à l’extrémité ouest du continent eurasien, une péninsule prospère et développée, ouverte sur l’Océan, qui a dominé le monde. Epuisée par ses guerres, elle aspire à l’unité, mais n’en finit pas de se blottir sous l’aile de l’aigle américaine.
C’est ce que le Général de Gaulle, qui voulait être l’allié et non le vassal des Etats-Unis refusait. Cette situation humiliante reposait sur un motif évident, la menace soviétique. Elle a disparu, mais curieusement, les Etats-Unis et certains de leurs pions européens s’acharnent depuis plusieurs années à surévaluer un prétendu danger russe qui justifierait le maintien de l’Otan, et donc le protectorat américain. Que les Russes soient nostalgiques de leurs « provinces » perdues est compréhensible, d’autant plus qu’elles sont peuplées de nombreux russophones. Comme la France conserve une influence sur un certain nombre de pays d’Afrique, il n’est pas absurde que la Russie souhaite exercer celle-ci sur les anciens pays de l’URSS. Si l’Europe jouissait d’une véritable indépendance, elle aurait dû rechercher avec la Russie un équilibre. Elle aurait dû tenir les USA à l’écart de ce qui ne les concerne pas. L’Europe n’a aucun intérêt à un conflit armé ou non avec son voisin russe. Ses intérêts économiques demandent au contraire des échanges avec la Russie. Celle-ci lui offre des ressources énergétiques indispensables et peut acheter ses produits. Les Etats-Unis sont à la fois les concurrents et les rivaux de la Russie quand celle-ci est le complément de l’Europe. Que les Etats-Unis aient une stratégie est une chose. Que l’Europe s’y associe contre ses intérêts en est une autre. La répétition des menaces et des sanctions à l’encontre de la Russie, la suspension de la livraison des Mistral par la France sous la pression américaine, par exemple, sont contraires à nos intérêts et traduisent une dépendance inacceptable. La France n’a aucune raison de rentrer dans le jeu américain et de sombrer dans les obsessions polonaise ou baltes. Sa participation à une réunion de l’OTAN principalement destinée à organiser la stratégie anti-russe est une faute.
Depuis des mois, Washington privilégie le problème ukrainien par rapport à l’irruption de « l’Etat islamique » au Moyen-Orient. On comprend l’embarras des Etats-Unis dans une crise dont ils sont les principaux responsables et à l’origine de laquelle on trouve leurs alliés si riches et si fragiles du Golfe, mais ce danger-là est infiniment plus grave pour l’Europe que ne l’est la crise ukrainienne. La présence d’un « Etat » terroriste de l’autre côté de la Méditerranée, la circulation de djihadistes entre les deux rives, combattants et tortionnaires la-bas, terroristes ici devraient représenter la priorité de tous les périls. Mehdi Nemmouche, le quadruple assassin de Bruxelles était le « français » qui torturait les Syriens selon l’un des otages libérés. Veut-on voir se multiplier ces bombes vivantes sur notre territoire ? Plus vite les zones de non-droit où ils sont formés, les groupes qui les accueillent seront anéantis, plus nous éviterons la montée en puissance du danger. Devant celui-ci, il semblerait que la Russie et ses alliés puissent être des partenaires, malgré les choix propres aux Etats-Unis sur lesquels nous n’avons aucune raison de nous aligner. Si la France n’était pas l’ombre de ce qu’elle a été, c’est le discours qu’elle devrait tenir. Cela mettrait peut-être fin à l’Otan, mais ferait naître une Europe véritable, une Europe indépendante.
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