La surdité semble avoir frappé le Président de la République, le Gouvernement et les députés de la majorité. « Il n’y a de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre », dit la sagesse populaire. Du déclenchement de l’affaire Benalla au rejet prévisible des motions de censure, le pouvoir sous ces trois formes a fait semblant de ne pas entendre l’exigence de clarté qui montait non seulement dans l’opposition, mais dans la population. Il a fait semblant de croire que le sujet en était le comportement de M. Benalla le 1er Mai, place de la Contrescarpe. C’est ainsi que la présidente de la Commission des Lois a limité l’enquête de l’Assemblée Nationale à la dimension policière des événements de ce jour et à cet endroit. Le 1er Ministre a cru devoir expliquer que la Commission d’enquête devait d’ailleurs cesser ses travaux lors de l’ouverture de l’information judiciaire en vertu de la séparation des pouvoirs. Pourquoi le Sénat continue-t-il alors les siens ? Tout simplement parce que la question ne vise pas les agissements du nervi élyséen place de la Contrescarpe, et comme on l’a appris après son intervention mensongère sur TF1, au jardin des Plantes, auparavant. Non, l’interrogation légitime du Parlement porte sur le fonctionnement des pouvoirs, et singulièrement sur l’abus commis par la Présidence de la République qui a consisté à recruter un homme de main, à lui confier une autorité illégitime, exorbitante du seul fait du mode de fonctionnement de l’Elysée. Le « Missi dominici » avait manifestement tous les droits parce qu’il se réclamait d’un maître qui n’hésite pas à faire tomber les têtes qui lui résistent. Le Général de Villiers en a fait l’amère expérience. La hiérarchie courbait donc l’échine devant cet usurpateur, en dehors de toute conception républicaine du fonctionnement des institutions. La protection a été maintenue après la faute, qui devait être transmise au Parquet, et ne l’a pas été, sans qu’une véritable sanction soit d’ailleurs mise en oeuvre. Ce n’est que la révélation des faits par Le Monde, et par la suite, les rebondissements dus à la mise en lumière des mensonges répétés du pouvoir, qui ont obligé la Présidence à prendre tardivement des mesures, tandis que M. Macron minimisait l’affaire et qu’une majorité parlementaire indigne l’aidait à l’étouffer. Ce sont ces faits qui témoignent d’une dérive contraire à la démocratie qui devaient faire l’objet d’un débat essentiel ! Le 1er Ministre a ramené l’affaire à l’instrumentalisation politique d’une faute individuelle, et le Président de la République à une tempête dans un verre d’eau.
Les motions de censure ont poursuivi ce dialogue de sourds. L’opposition n’avait pas d’autre moyen de sortir « le carton rouge » contre un pouvoir qui démentait sa promesse d’une République irréprochable, et le Chef du Gouvernement a défendu sa politique générale, qui n’était pas le sujet. Applaudi par une majorité arrogante de parvenus de la politique qui n’entendent rien, pour le coup, à la nécessaire séparation des pouvoirs et se trouvent incapables de défendre la dignité d’une Assemblée dont ils sont membres, Edouard Philippe a dressé un catalogue enthousiaste des actions du gouvernement, en critiquant particulièrement la famille politique dont il est issu. C’était d’autant moins convenable qu’en s’en prenant à l’alliance de circonstance des oppositions de gauche et de droite, il oubliait que lui-même avait trahi son camp pour rejoindre le bateau de sauvetage socialiste de Macron, Collomb et Castaner. L’expression « de circonstance » pourrait beaucoup mieux caractériser la majorité actuelle, élue, non pour effectuer des réformes, comme elle le prétend, mais uniquement parce que les Français n’avaient pas permis à François Fillon d’accéder au second tour de l’élection présidentielle, après le coup de Jarnac médiatico-judiciaire qui lui avait été porté, sans doute grâce aux relais influents du futur élu. Ils ont préféré Macron à Le Pen. Beaucoup se sont abstenus et plus encore pour doter le Président d’une confortable majorité selon la tradition et la logique de la Ve République. Ces « circonstances » devraient rendre l’Elysée, Matignon et LREM beaucoup plus modestes, et ses élus d’autant plus que le complice supposé de Benalla est un employé de ce parti de donneurs de leçons. Quant aux réformes qui changent la France, on n’en perçoit guère les effets, puisqu’elles sont toujours en retrait par rapport à ce qui était annoncé et à ce qui serait efficace. Plutôt que de construire 15 000 places de prison, on n’en fera que 7000, et comme d’habitude, on veillera surtout à limiter les entrées. Il est vrai que le remboursement des prothèses auditives sera un acquis social positif. On se dit d’ailleurs que la majorité en aurait le plus grand besoin.