Sur le site du Monde le 29 mai, mis à jour le 1er juillet on pouvait lire, et ce 6 juillet au soir on pouvait lire encore la description suivante : “Il n’existe que deux photos de lui, floues et au format d’identité. Sur celle diffusée par le FBI, il apparaît joufflu et mal rasé. Celle du ministère irakien de l’intérieur le montre un peu plus dégarni avec barbe naissante et moustache. En réalité, nul ne sait à quoi ressemble aujourd’hui Abou Bakr Al-Baghdadi, le chef de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL).” (1)
L’homme a pourtant été, le 29 juin, proclamé calife ou plus précisément s’est auto-désigné “calife Ibrahim”, successeur du Prophète et commandeur des Croyants, dans le cadre de ce qui s’appelait jusque-là “l’État islamique en Irak et au Levant”.
Après s’être emparé du plus important puits de pétrole de Syrie le 3 juillet, il prêchait le 4 juillet, premier vendredi de Ramadan en l’antique mosquée construite à Mossoul au XIIe siècle par l’émir Nûr ed-Dîn, “la lumière de la foi”, le redoutable Noradin des Croisés. Et il a déclaré que tous les musulmans doivent lui obéir désormais.
Si l’on s’en tient aux dépêches d’agences, coupures de presse et fiches de police, on perd un peu de vue sinon le romantisme, au moins l’efficace archaïsme de la démarche. L’envoûtement d’une Histoire mythifiée, opposé aux calculs des technocrates et des diplomates voilà qui explique l’ascension de ce personnage. On hésite à le qualifier de “barbare” par respect pour les Perses achéménides ou pour les Germains, “Barbares” respectifs des mondes grec puis romain. On ne se trouve pas en présence d’un Barbare, d’un Étranger dont on ne comprend pas la langue, mais d’un authentique sauvage. Depuis 2010, il s’est hissé à la tête du plus dur des groupes salafistes, par sa violence criminelle, ses pillages et son intolérance. En cela il eût parfaitement convenu aux appels délirants à la guerre sainte lancés en 1920, à destination des musulmans, par Zinoviev alors président de l’Internationale communiste (2).
Pour l’instant il semblerait que l’armée du “calife Ibrahim” se limite à 12 000 hommes environ. Mais il dispose des finances les plus solides de tous les groupes islamo-terroristes. Son coup d’audace risque fort de fédérer autour de lui ses anciens rivaux et de lui permettre de régner, au moins quelque temps, sur un territoire non prévu par les traités internationaux, et plus grave encore sur tous les adeptes du salafisme.
Précisément on doit se représenter que la nature a horreur du vide. Le stupide et utopique traité de Sèvres de 1920 n’a jamais été appliqué car il était inapplicable. Mais il a laissé des traces, dessinant des frontières exclusivement inspirées par le partage des deux empires français et anglais, ébauché par les accords Sykes-Picot de 1916 : aux Anglais les puits de pétrole, aux Français les minorités chrétiennes.
Dans le chaos qui en est résulté, Mustafa Kemal a sauvé le peuple turc de l’anéantissement, mais, allié de Lénine, il a balayé, – outre les élites chrétiennes d’Anatolie – l’empire ottoman et le califat. Or il s’agissait des seules institutions qui auraient pu assurer l’ordre dans le proche orient, à l’est du Bosphore.
Depuis un siècle, les puissances occidentales ont voulu, à tout prix, exorciser le spectre du califat et de l’empire ottoman. La nature ayant horreur du vide on peut présager que, sous une forme ou sous une autre, avec l’occident ou contre lui, avec les pires sauvages ou avec des éléments plus civilisés, stabilisatrices ou destructrices, tolérantes à l’endroit des chrétiens ou sanguinaires et persécutrices, ces deux institutions tendront à se reconstituer.
1. lien de l’article et lien de la photo policière
2. Cf. Le Komintern par le colonel Rezanof
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