François Hollande a beau côtoyer le gaz de schiste dans les profondeurs de son impopularité, il n’en a pas moins décidé de relancer le débat sur le droit de vote des étrangers ; cinquième promesse du programme socialiste lors de la campagne présidentielle de 2012. En marge des interrogations suscitées jusque dans son propre camp, le président avait déclaré début mai : « Je n’ai pas voulu introduire ce texte avant les élections municipales, parce qu’on nous en aurait fait le reproche. Ce texte sera de nouveau proposé après les scrutins pour que, dans la préparation (des élections) qui viendront dans six ans, il puisse y avoir cette réforme. » De même, Jean-Christophe Cambadélis, secrétaire général du PS, a récemment affirmé la volonté du parti à « se battre sur ce sujet ». Est-ce raisonnable ? Notre président est, politiquement parlant, un cadavre auquel il manque seulement les dernières pelletées de terre. Avec l’espoir d’attraper en vol un électorat qui, à l’évidence, est aussi réel que l’inversement de la courbe du chômage, on s’en remet donc à cette irrésistible démagogie du pauvre, annonçant la fin d’un règne qui n’a jamais véritablement commencé. Enfin… à défaut de le toucher, parlons donc du fond.
L’égalité telle qu’elle existe, dans son essence, est politique, et n’a pas vocation à embrasser les contours d’un paradigme humanitaire et sans frontières qui dépouillerait l’Etat de sa substance. Le peuple, présupposé comme unité politique, et la nation culturelle ne font qu’un. Par voie de conséquence l’assimilation, consacrée par le Code civil, est caractéristique d’une homogénéisation à l’intérieur de laquelle nationalité et citoyenneté se confondent. La distinction – ou la frontière, c’est selon – ne contredit donc pas le postulat démocratique. Au contraire, elle le rejoint. Au nom d’une certaine cohésion sociale, elle rend égales des puissances inégales et ce, tant que celles-ci ne se trouvent pas en dehors de son champ d’application. Mais au demeurant, n’en déplaise aux pastèques de la rue Chaudron, il existe bien une corrélation entre cette égalité politique et une inégalité possible. En d’autres termes, les étrangers sont exclus de ce système. L’unité de la nation repose sur différentes fondations : la langue commune, la culture, l’Histoire et, surtout, le sentiment, la volonté consciente d’appartenir à une communauté. Donner le droit de vote aux étrangers contrevient alors gravement au contrat originel qui façonne la citoyenneté française.
Exception faite des visées électoralistes, ce geste répondrait aux yeux des plus fanatiques du « parti antinational socialiste » à une forme de nécessité qui, n’est-ce pas, présiderait au sens de l’histoire. On retrouve cette éternelle conjugaison au présent d’un futur fantasmé, où l’on projette le surmoi d’une France idéale. Un véritable terrain vague où ne règnerait aucune forme tutélaire et transcendante. La raison de cette fuite en avant radicale, qui côtoie dangereusement les frontières de l’absurdité communautaire version Plus belle la vie, répond à un contexte particulier : le peuple a déçu la gauche ! Trop franchouillard, suintant la réaction, guidé par l’intolérance. Du moins aux yeux des caciques rosâtres à la fibre démocratique sans doute peu évoluée, et désireux d’atteindre la personnification ultime du régime « thèse-antithèse-foutaise ! ». Mérite-t-il pour autant cette considération rétrograde dont l’histoire a justement prouvé qu’elle constituait un point de germe à toutes les révolutions ?
On achève déjà suffisamment les Français avec cette prédisposition à l’autoflagellation généreuse. Il n’est guère le moment de détruire la seule manière de pérenniser durablement le sentiment d’appartenance commune à une République qui, jusqu’à preuve du contraire, est d’abord et avant tout nationale. Ce n’est pas la diversité qui fait la richesse de la France. C’est la France qui fait la richesse de la diversité. L’exaltation des origines donne certes sa substance à l’identité humaine. Mais le sentiment d’appartenance à une idée située au-dessus des particularismes, donnant lieu à la projection dans une réalité concrète, prévaut sur la démarcation due aux provenances. Le positif est subsumé sous l’idéel. Par conséquent, comme l’a admirablement rappelé Camel Bechikh, « on doit savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va. Mais d’où l’on vient n’est pas une destination. D’où l’on vient, c’est un point de départ. » Le point d’arrivée reste la France et les valeurs qui la portent. Et il n’est point de citoyenneté plus inacceptable, plus inconcevable, que celle qui comporte une surcharge de droits mais s’avère totalement exempte de devoirs. Le rapport honteux sur l’intégration récemment rédigé par monsieur Tuot, non dénué d’intentions politiques, essaie pourtant de rendre les Français responsables de la mauvaise intégration des immigrés. Vrai ou pas, la dépréciation progressive des exigences en la matière engage largement la responsabilité de nos élites. Celles-ci ne cachant pas leur volonté de changer en profondeur le référentiel culturel auquel une majorité des citoyens de ce pays demeure attachée. On se garde bien d’ailleurs d’évoquer le cas de ces Italiens et Polonais qui ont réalisé avec courage et respect cet effort d’assimilation ; de ces personnes, à l’instar de Malika Sorel, devenues plus françaises que les nouvelles générations de souche préférant cultiver la haine du quant à soi. De plus, à part vouloir faire délibérément monter le Front national, la volonté du président de la République ne semble liée à aucune autre forme de pensée rationnelle. Son charisme de granit breton n’aidera pas non plus à faire infléchir l’opinion des Français à son endroit. Sur le papier, cette réforme ne concernerait que les élections locales. Mais comme l’avait parfaitement compris Machiavel en son temps: « Une mutation laisse toujours une pierre d’avance pour l’édification de la suivante. » Une nouvelle pierre à l’édifice France, vraiment ? Au vu de la rénovation sur laquelle Hollande s’est engagé, celui-ci aura davantage besoin d’un marteau-piqueur…
62 Comments
Comments are closed.