Il y a 100 ans, le 7 mai 1915, le Lusitania était torpillé au large de l’Irlande. Ce n’était pas le premier navire torpillé, ce n’est pas non plus ce torpillage qui fit changer le cours de la guerre, mais c’est pourtant celui que l’Histoire a retenu, étape symbolique de la guerre sous-marine que l’Allemagne inaugure en riposte au blocus continental. Il faut pourtant attendre 1917 pour que les U-Bootes menacent très sérieusement les approvisionnements maritimes alliés, avant qu’une parade efficace ne soit trouvée, avec l’escorte des convois.
Si on veut appliquer les leçons de l’Histoire à la guerre contre l’Etat islamique, ce n’est bien sûr pas aux sous-marins qu’il faut s’intéresser, mais à deux concepts stratégiques que la bataille de l’Atlantique révéla : l’extension de la guerre à un nouveau milieu d’affrontement et l’exploitation possible des inévitables dissymétries des situations.
Nous avons tous été choqués par les vidéos de l’Etat islamique, depuis celle de l’exécution du journaliste américain James Foley par ‘Djihadi John’ jusqu’au martyre des chrétiens coptes, en passant par le supplice du lieutenant Moaz al Kassasbeh, brulé vif dans une cage… L’Histoire retiendra-t-elle une de ces vidéos comme le Lusitania de la guerre cyber-médiatique ?
La bataille médiatique n’est pas nouvelle, dira-t-on, comme la « guerre au commerce » existait déjà avant 1915… Ce qui est nouveau, c’est la propagation de la bataille médiatique aux réseaux sociaux. La diffusion des images et des idées par les médias traditionnels, qui conservent la préférence des Etats, est en effet prise à revers par Twitter, YouTube et consorts. Dans ce milieu cyber-médiatique, l’Etat islamique reste invincible. La qualité des vidéos, tant sur le plan technique que de la mise en scène, et la robustesse des plateformes de téléchargement témoignent qu’il maîtrise le sujet. Il domine numériquement parce que les productions signées Al-Hayat Media Center s’enchaînent et sont relayées. Il a enfin la supériorité tactique : les références religieuses, irréprochables, associées à l’utilisation de supports symboliques (drapeaux, costumes, chants et slogans) font immédiatement basculer le cyber-consommateur dans l’émotif. Le message pénètre alors jusqu’au fond de l’âme. L’indifférence n’est pas possible, l’épouvante s’impose. Ou la fascination…
Comme toutes les guerres, cette bataille cyber-médiatique cherche un changement de paradigme politico-stratégique. Lorsque la fascination l’emporte, les effets de cette propagande sont une plus grande motivation pour le djihad ou la hijra (émigration vers une terre d’Islam), un sentiment décomplexé d’appartenance à l’Oumma, la conviction intime que la radicalité est légitime. Lorsque c’est la peur qui surgit à la vue de ces vidéos aussi odieuses que terrifiantes, les effets, bien réels, sont tout aussi favorables à l’Etat islamique. La peur qui paralyse les combattants irakiens ou syriens est le plus évident. La peur qui frappe les pays occidentaux les conduit à relativiser toutes les exigences d’un Islam « modéré », substrat nécessaire au développement sur le long terme de l’Islam radical. La peur enfin qui s’empare des pays sunnites met en évidence leurs fragilités politiques.
Mais cette bataille peut aussi permettre de générer les anticorps dont nos sociétés ont besoin pour ne pas se laisser déstabiliser par des vidéos aussi géniales que barbares. Celles-ci tirent parti du vide mystico-social de la vieille Europe en proposant un message d’adhésion, auquel les gouvernements occidentaux ne répondent que par une communication de condamnation. Or l’appel incantatoire aux valeurs de la République ne suffit pas à donner du sens à nos existences : il est donc temps de réinventer la mystique patriotique et de redonner sa place à la mystique religieuse, celle de nos racines chrétiennes.
4 Comments
Comments are closed.