La répétition de scénarios identiques ne doit pas cacher la spirale dans laquelle ils s’inscrivent, celle d’une véritable descente aux enfers pour un pays dont la mauvaise gouvernance depuis trop longtemps produit aujourd’hui tous ses effets. Les « gilets jaunes » de Grenoble seraient divisés sur le soutien à apporter à la « révolte » du quartier du Mistral. Certains y voient déjà une convergence des luttes entre la France périphérique et celle des banlieues, une union de ceux qui auraient eu à souffrir des violences policières. Cette lecture gauchiste des événements est aux antipodes de la réalité qui est en fait beaucoup plus cruelle.
A Grenoble, les faits sont simples et reproduisent un déroulement hélas bien connu : deux jeunes d’un quartier sensible fuient la police. Ils sont en situation d’infraction multiple et caractérisée puisqu’ils circulent sans casque et sans lumière sur un scooter volé dont la plaque a été enlevée. La patrouille de la BAC fait donc son travail et remplit son devoir : elle les prend en chasse, à distance, afin d’éviter l’accident. On remarquera en passant qu’elle est davantage dans son rôle à ce moment que lorsqu’on lui demande d’intervenir en maintien de l’ordre contre des gilets jaunes avec des armes et dans une situation pour lesquelles elle n’a pas été sérieusement formée. La ronde de nuit est au contraire une action habituelle et maîtrisée. J’ai eu l’occasion d’en accompagner une en tant que parlementaire, et j’en ai tiré le sentiment d’une grande motivation et d’un parfait professionnalisme de la part des policiers qui y participaient, malgré les moyens scandaleusement insuffisants dont ils « bénéficient », en l’occurrence une vieille Ford de 160 000 km au compteur. Certaines images d’acharnement sur des manifestants ou d’emploi inapproprié des armes mises à leur disposition ne donnent pas du tout la même impression. Il y a là un paradoxe que Grenoble relève avec éclat : on demande à des gens entraînés à des actions plutôt musclées de se retenir lorsqu’ils ont affaire à des actes de délinquance caractérisée, et il semblerait qu’on les « lâche » lorsqu’il s’agit de décourager des manifestations par une répression brutale. La logique très « politique » des consignes données dans l’un et l’autre cas répond certes aux intérêts du pouvoir mais inverse totalement la hiérarchie de ce fameux Etat de droit dont on vante chaque jour davantage les mérites alors qu’on a de plus en plus de peine à saisir sa cohérence. La manifestation même non déclarée, même turbulente, est une expression de la démocratie et doit être traitée avec circonspection. La délinquance est une entorse au droit et doit être combattue avec énergie. L’Etat de droit est moins en danger lorsque des citoyens protestent contre les impôts trop lourds qu’ils paient sans en avoir le retour, par exemple, pour leur sécurité, que lorsque des policiers n’osent pas interpeller directement des voleurs parce qu’ils appartiennent à un quartier sensible dans lequel la police ne s’aventure qu’avec beaucoup de précaution. Le marché de la drogue qui y prospère et permet de payer certains loyers ne doit pas être trop dérangé afin de ne pas créer le soulèvement d’un territoire qui échappe déjà peu ou prou à la République.
L’idée d’une convergence entre gilets jaunes et voyous des banlieues est donc absurde. Elle ne peut provenir que de la dérive gauchiste du mouvement contestataire qui fait de la police l’ennemie des manifestants, quand c’est le gouvernement qui devrait être l’unique cible. Cette dérive est celle des fins de cortèges, lorsque black-blocs et casseurs opportunistes prennent le relais des vrais gilets jaunes, sans qu’étrangement, on ait pu les intercepter. La manoeuvre du pouvoir est limpide, et relativement réussie : les violences, les déprédations commises par les manifestants font basculer une partie de la droite qui réclame de l’ordre. Les revendications légitimes de démocratie directe, de baisse de la fiscalité et de maintien du pouvoir d’achat des retraités sont noyées dans le flot confus des slogans, le bavardage du grand débat et…. les nuages de gaz lacrymogène. La France périphérique doit plier le genou : c’est celle des retraités, et des professions qui ne relèvent pas de la « startup nation » chère à l’occupant de l’Elysée.
Les banlieues ne participent pas, elles, à la fronde de la France périphérique. Elles sont ailleurs et affichent sans complexe leur propre loi : la police ne doit pas poursuivre des voleurs. Lorsque ceux-ci, en cherchant à s’échapper, font des bêtises et se tuent, elle en est responsable : c’est une bavure ! Il faut rendre justice aux victimes. 65 véhicules sont incendiés, un camion de pompiers attaqué, des parpaings et des cocktails molotov sont lancés depuis les immeubles sur les forces de l’ordre : une violence d’une intensité telle sur un périmètre étroit que n’en connaissent évidemment pas les cortèges du samedi sur toute la France. Une « marche blanche » sera bien sûr organisée pour dénoncer la bavure policière et célébrer la mémoire des « victimes ». C’est le monde à l’envers, celui où les voyous deviennent des saints, où un acte suicidaire commis par des délinquants est perçu comme une action criminelle de la police, où un quartier fait la guerre au pays pour faire respecter « sa » loi. Les gilets jaunes étaient et, on l’espère, sont toujours dans une logique inverse : celle de Français qui veulent « récupérer » leur pays tombé entre les mains d’une oligarchie, responsable à la fois de l’injustice qu’il subissent et du désordre des banlieues.
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