par Philippe Richard
Le bois est réputé écologique. Mais qu’en est-il de son utilisation à échelle industrielle ? Déforestation, impact sur le bilan carbone, exploitation illégale, transport et traitements chimiques : les pratiques liées à l’exploitation du bois ne sont pas toujours respectueuses de l’environnement, loin s’en faut.
La transition énergétique passe par une constante augmentation de l’utilisation des « énergies renouvelables ». La biomasse, dont le bois fait partie, est en passe de représenter la moitié des énergies renouvelables du bouquet énergétique français. C’est ainsi que l’exploitation du bois prend un tournant industriel jamais vu, et qui n’est pas sans conséquence.
Le prélèvement croissant de bois influe sur le bilan carbone
L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) alerte régulièrement sur le sujet : l’augmentation des prélèvements de bois impacte le bilan GES (Gaz à effet de serre) de la forêt (1). La biomasse constitue un réservoir forestier qui stocke du carbone : plus la biomasse est importante, plus elle permet de soustraire et séquestrer le carbone de l’atmosphère — un processus qui s’appelle « la séquestration nette ». Or, les prélèvements croissants de bois mènent à une diminution de la biomasse, et un retrait carbone de l’atmosphère moins important. L’intensification des prélèvements de bois inquiète d’ailleurs l’Ademe : « leur utilisation accrue, et l’allongement de leur durée de vie, notamment par le recyclage, permettent d’accroître le stock carbone » (1). Ce réservoir reste cependant infime par rapport à la capacité de stockage de la biomasse.
Le développement de l’exploitation illégale
Dans le contexte d’une augmentation constante des prélèvements de bois, on assiste, sans surprise, au développement de la part d’exploitation illégale. C’est l’un des volets des « crimes environnementaux » recensés par l’Unep et Interpol dans un rapport commun paru en juin 2016 : « The rise of environmental crime », juin 2016 (2). L’Unep, qui représente le Programme des Nations Unies pour l’environnement, met à jour une organisation qu’elle associe à un véritable « crime organisé » de l’exploitation des forêts : « Des sociétés-écrans, souvent de plantations agricoles, d’huile de palme ou de pâturage (qui produisent rarement des produits primaires), sont utilisées […] pour acquérir ou louer des terres à des fins agricoles, mais en réalité sans autre but que de déboiser les forêts pour l’approvisionnement en bois et en pulpe ».
Les forêts tropicales sont particulièrement touchées, mais aussi, et de plus en plus, les forêts de Sibérie, « ceci pour satisfaire la demande venant de Chine où les unités de transformation connaissent des pénuries de bois », toujours selon le rapport de l’Unep et Interpol. La très grande majorité (62 à 86 %, estime l’Unep) des produits bois illégaux qui sont importés sur le marché européen arrivent ainsi sous forme de papier, de pulpe ou de copeaux.
Le coût environnemental de l’usinage et du transport
L’exploitation à échelle industrielle et internationale des produits bois crée une situation aussi paradoxale qu’anti-écologique. Ainsi, la Fédération nationale du bois (FNB) dénonçait en février 2018 l’augmentation inquiétante de l’exportation de bois brut français vers la Chine : « Pour contrer l’avancée du désert dans ses régions du nord et stopper la surexploitation de ses forêts, la Chine a fortement réduit ses coupes de bois et cherche donc à s’approvisionner sur les marchés extérieurs » (3). Entre 2007 et 2017, on est ainsi par exemple passé de 50 000 tonnes à 500 000 tonnes de grumes (produits bois découpés et préparés par les bûcherons pour le transport) vendues par la France aux industriels chinois.
Les stocks de bois ainsi exportés sont conditionnés dans les usines chinoises, avant de revenir sous forme de mobilier ou parquet bon marché, acheminés à chaque fois par paquebot, camions et trains sur des milliers de kilomètres. La facture énergétique d’un tel transport, à laquelle il faut ajouter celle de l’usinage en Chine, apparaît en fin de compte bien loin des préoccupations écologiques des utilisateurs de bois. Sans compter le gaspillage et la déperdition induits par l’utilisation, sur les chantiers et par les consommateurs, d’un matériel déconsidéré, car moins coûteux, et présent en quantité industrielle.
Des traitements chimiques indispensables
Ce n’est qu’au début des années 2000, que le traitement à l’ACC (Arséniate de Cuivre Chromaté) a été pointé du doigt et éliminé avant que le scandale n’éclate. Inventé en 1930 pour quintupler la durée de vie du bois extérieur, l’ACC est devenu très populaire dans le secteur résidentiel au cours des années 70 comme agent de conservation. Le hic : c’est un traitement qui comprend deux produits hautement toxiques, à savoir l’arsenic et le chrome, libérés en cas de sciage, combustion, et sous forme de poussière, qui plus est en cas de moisissures. En effet, si l’image naturellement associée au bois est celle d’un produit à la fois chaleureux, esthétique et sain, c’est aussi un matériau fragile, qui craint l’humidité, les incendies, les champignons, et toutes sortes d’insectes xylophages. Son utilisation dans le domaine de la construction nécessite donc, pour être pérenne, des traitements importants, avec des substances classées cancérigènes parfois contenues dans les peintures, les vernis et les produits de protection contre le feu.
Les pesticides ne sont pas en reste ; ils sont utilisés sur le bois d’œuvre pour leurs qualités antifongiques. Quant aux placages et bois agglomérés, ils contiennent – sauf étiquetage mentionnant de faibles émissions en la matière – de grandes quantités de colles et de résines chimiques. De quoi revoir ses idées reçues, et considérer tout autrement l’arbre (écologique) qui cache la forêt (industrielle).
Apostilles :
(1) https://www.actu-environnement.com/ae/news/ademe-impact-biomasse-bois-energie-bilan-ges-foret-24819.php4
(2) https://www.forestopic.com/fr/foret/economie/367-les-forets-tropicales-et-de-siberie-en-proie-au-crime-organise-onu-interpol?showall=1&limitstart=
(3) https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/plantes-et-vegetaux/les-scieries-denoncent-les-exportations-de-bois-des-forets-francaises-vers-la-chine_120579
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