« Il est encore en Europe un pays capable de législation ; c’est l’île de Corse. La valeur et la constance avec laquelle ce brave peuple a su recouvrer et défendre sa liberté mériteraient bien que quelque homme sage lui apprît à la conserver. J’ai quelque pressentiment qu’un jour cette île étonnera l’Europe ». C’est évidemment le curieux enthousiasme de Jean-Jacques Rousseau dans le Contrat Social qui nous étonne aujourd’hui. Mais le philosophe genevois ira plus loin : il écrira un projet de Constitution pour la Corse, cette île dont la rusticité le séduisait particulièrement. Il y écrit notamment : « Il ne faut pas conclure des autres nations à la vôtre. Les maximes tirées de votre propre expérience sont les meilleures sur lesquelles vous puissiez vous gouverner ».
Le dimanche 3 Décembre 2017, les électeurs corses ont voté pour le premier tour des élections régionales. La liste rassemblant les autonomistes de Gilles Simeoni et les indépendantistes de Jean-Guy Talamoni ont remporté 45,36% des suffrages, soit une progression de 20 points par rapport à 2015, à quoi il faut ajouter les 6, 69% de la seconde liste régionaliste de Jean-Félix Benedetti. Sans tomber dans l’exagération dont était victime Rousseau et qui a fait évoquer par certains un tsunami ou un tremblement de terre, cet événement ne doit pas être minimisé. Certes il ne concerne que les 320 000 Français qui vivent en Corse. Certes la participation n’a été que de 52,17%. Certes ce n’était pas demain la veille que la Corse exigera comme la Catalogne une indépendance dont elle n’a ni la taille ni les moyens avec son retard de 18% pour le PIB par habitant par rapport à la moyenne nationale, et les nombreux avantages fiscaux dont elle bénéficie par dérogation et à la charge des autres Français.
Mais ce scrutin est un signal dont on aurait tort de négliger l’importance. D’abord, il enclenche un processus que l’Alsace avait manqué : la fin des départements et la mise en place de véritables régions dotées d’une unité et d’une identité réelles. Entre les départements définis par une journée de cheval à la fin du XVIIIe siècle et les monstres régionaux inventés récemment par la technocratie et fondés le plus souvent sur la taille sans souci de cohérence, il s’agit du bon équilibre qui permet l’autonomie et le dynamisme, sans risquer l’éclatement dans une Europe des régions gouvernée par les technocrates. Ensuite, l’enseignement politique du vote est considérable. Il comporte quatre aspects : en premier lieu, le taux important d’abstentions confirme l’éloignement des Français par rapport à la politique ; en second lieu, le dégoût qu’inspirent beaucoup de politiciens s’est traduit par le même « dégagisme » que lors des dernières législatives, avec la particularité d’inclure les candidats de La République en Marche dont la liste arrive quatrième ; en troisième lieu, il faut noter la disparition du Front National réduit à 3,28% de voix après les 48,52% de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle pour laquelle 64 % des électeurs s’étaient mobilisés ; enfin, la gauche disparaît aussi des écrans, en partie en raison de son essoufflement général, en partie des affaires qui ont touché le PRG Paul Giacobbi, condamné en première instance à 3 ans de prison pour détournement de fonds et qui fait appel.
Enfin, il y a dans ces résultats un appel à la droite. Les deux listes qui la représentaient sont arrivées en deuxième et troisième positions. Les Républicains occupent la dernière marche du podium avec 12,77%. Ils ont été dans le passé soit la principale force politique de l’île, soit les rivaux des radicaux. Leur échec doit être une leçon pour l’ensemble du pays. Il est probable que les nouveaux électeurs régionalistes viennent en partie de gauche, mais aussi de droite. Pour ces derniers, une fois encore c’est l’unité et l’identité qui ont été les moteurs déterminants de leur basculement. Les régionalistes se sont unis. La droite, non ! Mais l’union ne doit pas être un calcul électoraliste. Elle doit s’appuyer sur une dynamique présente plus que jamais dans l’esprit des Français, la préservation et la valorisation de leur identité, l’idée que les élus doivent manifester une préférence pour la collectivité qu’ils représentent et pour ses membres. Les régionalistes corses sont parvenus à incarner cette exigence. C’est une bonne chose pour la Corse, mais c’en serait une bien meilleure pour la France si une droite unie faisait passer le même message pour la France entière.
Les leçons des expériences françaises sont les meilleures pour inspirer le gouvernement de la France aurait dit Rousseau…
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