On l’a vu sur tous les fronts, de l’Inde au Qatar en passant par les salons dédiés à l’armement. Le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian assure dans son rôle de VRP. Ce dernier apparaît néanmoins un peu seul dans la promotion de l’armement tricolore. Car si la France se place dans le Top 5 des pays exportateurs d’armements, un peu de renfort de la part de l’ensemble de la classe politique serait bienvenu. Les récents succès restent à consolider et l’exportation d’armements s’affiche comme un enjeu de taille pour l’économie française.
La force de frappe française
La Rand Corporation (1) l’un des plus influents à Washington, a salué l’opération française Serval au Mali, estimant qu’elle est « un modèle de guerre expéditionnaire » pour « les armées technologiquement sophistiquées ». « Les Français ont aussi investi dans des technologies et des véhicules qui élargissent les capacités de chaque unité », poursuite le rapport. Un compliment du camp américain qui est suffisamment rare pour être souligné et encourager les efforts des Français en matière d’armement, à l’instar du programme Scorpion, qui vise à moderniser massivement les matériels et équipements.
Dévoilés l’an passé, le Griffon (ex-VBMR, véhicule blindé multi-rôles) et le Jaguar (ex-EBRC, Engin blindé de reconnaissance et de combat) servent de vitrine à l’expertise française. « Ces véhicules seront compétitifs à l’export : ils ont été pensés dans cette perspective » précise Jean-Yves Le Drian (2) qui fait alors référence aux perspectives du trio de constructeurs Thales, Renault Trucks Défense et Nexter dans la bataille internationale. D’ailleurs, lors du dernier défilé du 14 juillet, une bonne partie des matériels militaires n’auraient vu le jour sans d’importants débouchés à l’international. Pragmatique, le ministre sait bien que les finances de l’Etat ne permettront pas d’alimenter (du moins en totalité) les carnets de commandes des experts de l’armement français. Et face à la chute des crédits d’équipements de la défense française, l’export permet de redynamiser une industrie dynamique mais fragile face aux géants américains. Il s’agit donc de mettre toutes les chances du côté français lors des appels d’offre à l’international. Et les occasions ne manquent pas.
Le Golfe dans le viseur
En effet, le marché de l’export apparaît comme vital afin de combler le vide sur la chaine de production et les industriels de l’armement misent de plus en plus sur les appels d’offre internationaux. La demande est notamment forte au proche et Moyen Orient qui représente près de 40% des exportations françaises sur la période 2010-2014 (3) La France n’a pas hésité à produire le Mirage 2000-9, une version exportable du modèle 2000-5, à la demande des Emirats arabes unis. Dans le même esprit, Nexter Systems a investi dix millions d’euros sur fonds propres pour produire une version « export » spécifique (4) de son VBCI. L’engin combat proven a déjà fait ses preuves sur le théâtre afghan de 2010 à 2012 et plus récemment au Mali et en Centrafrique. Il a été salué pour ses performances et sa maitrise des coûts de maintien au combat opérationnel (MCO), ce qui lui a permis d’accéder aux sélections finales lors de récents d’appels d’offre. La Rand Corporation conseille même (5) à l’armée américaine d’envisager « l’introduction de véhicules avec la charge utile, la protection et la puissance de feu du VBCI ». Avec cet investissement, Nexter Systems se donne une chance supplémentaire de séduire le Qatar qui s’apprête à acquérir une flotte de 200 à 600 unités de véhicule blindé de combat et infanterie. Le constructeur espère que ses efforts seront récompensés, notamment face à la concurrence américaine.
Si les enjeux sont de taille pour Nexter Systems, ils pèsent également dans la balance du commerce extérieur français. A la clef, des emplois et des perspectives de croissance économique opportuns en temps de crise. De quoi motiver les politiques tous bords confondus, de faire front commun afin de soutenir leurs champions, quitte à faire évoluer les traditions. Car la France a longtemps choisi de laisser son industrie de défense gérer de manière autonome ses exportations. Cette mise en retrait du politique parait pourtant paradoxale dans un pays où la centralisation joue encore un rôle prégnant et où l’industrie est marquée par sa filiation publique. Force est de constater que la France s’est privé d’un poids irremplaçable, celui des moyens gouvernementaux dont les américains et les britanniques usent plus volontiers. Or le Golfe est une région dont les aspirations géopolitiques sont changeantes et la conjoncture actuelle pourrait jouer en notre faveur.
Sous l’effet conjugué de la montée de l’anti-américanisme, de la transformation des menaces et de l’arrivée au pouvoir de nouvelles élites, les Français gagnent du terrain dans la région depuis 2013. La conjoncture est donc propice à de nouvelles percées en matière de contrats d’armement, encore faut-il que les politiques donnent un coup de pouce pour valoriser cette offre française. La France semble vouloir redonner une couverture politique à ses ventes d’armes dans le Golfe. Cette stratégie pourrait également porter ses fruits sur d’autres appels d’offre, dont un des plus prometteurs concerne la compétition « Sea100 ».
Agir en sous-marin
Cet appel d’offre est considéré comme l’une des compétitions les plus attendues, sinon la compétition du siècle pour DCNS (6) qui a déposé récemment une première offre afin d’équiper la marine australienne de 6 à 12 sous-marins océaniques. Le contrat est évalué entre 30 et 35 milliards d’euros et les sous-marins, prévus pour 2027, pourraient restructurer l’industrie navale mondiale. L’avantage commercial serait donc crucial.
L’Australie a ouvert la compétition dans le cadre d’un processus d’évaluation compétitif (Competitive Evaluation Process-CEP) et a déjà reçu les offres du consortium japonais formé de Mitsubishi Heavy Industries (MHI) et de Kawasaki Heavy Industries (KHI) ainsi que de l’allemand ThyssenKrupp Marine Systems (TKMS) qui fait office de grand rival de DCNS. Le Français s’est dit prêt à produire aussi bien à Cherbourg qu’en Australie afin de marquer des points auprès de la classe politique australienne. Parmi les priorités de la Royal Australian Navy, la performance des bâtiments et leur MCO jusqu’en 2040, mais également la signature d’un accord de gouvernement à gouvernement. Dans ce contexte, un appui politique du gouvernement français pourrait faire pencher la balance. A bon entendeur !
(1) http://www.lepoint.fr/monde/la-guerre-francaise-au-mali-est-exemplaire-selon-des-experts-americains-24-10-2014-1875177_24.php#xtor=CS2-238http://www.lepoint.fr/tags/ayn-rand
(2) http://supersonique.blogs.challenges.fr/archive/2014/12/08/griffon-et-jaguar-voici-les-futurs-blindes-de-l-armee-de-ter-108822.html
(3) http://www.entreprises.ouest-france.fr/article/14-juillet-lindustrie-francaise-larmement-se-porte-mieux-14-07-2015-219311
(4) http://www.defensenews.com/story/defense/show-daily/dsei/2015/09/15/nexter-reveals-upgraded-vbci/72320466/
(5) http://www.rand.org/pubs/research_reports/RR770.html
(6) http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/sous-marins-dcns-se-lance-dans-la-competition-du-siecle-en-australie-506399.html
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