En un geste le Président Macron a signé sa politique. « Les Français détestent les réformes… C’est un peuple qui déteste ça ». C’est sur le mot peuple que le geste a pesé avec le rejet méprisant de la main. En quelques secondes, un message politique d’une incroyable intensité s’est révélé. Derrière les sourires, les « selfies » et les images « sympa » du Touquet, le technocrate et banquier qui a satisfait son ambition au pas de course, dans la facilité des circonstances et des connivences, a dit qui il était et ce qu’il voulait. Manifestement, Macron s’estime plus intelligent que la plupart des gens, sinon tous. Son narcissisme exige une tenue impeccable et un langage précis et soigné. On ne lui reprochera pas sur ce point de nous délivrer de l’humiliation constante qu’imposait aux Français son prédécesseur. On se contentera de relever que le petit monde d’Emmanuel n’est pas, n’a jamais été celui du peuple, auquel il voue un mépris, tantôt paternel et compatissant, tantôt hautain, lorsqu’il se lâche. Le peuple, c’est la foule de ses spectateurs à laquelle il va jeter les réformes salutaires comme les princes jetaient le pain sinon les brioches au temps jadis.
Les technocrates branchés, les énarques de sa génération, les penseurs de terra nova, les disciples et héritiers de Jacques Attali considèrent que leur vision de l’avenir du monde et leur connaissance des mécanismes économiques et politiques, leur confèrent la légitimité de conduire les autres vers un futur incontournable que les peuples ne pourront ni éviter, ni maîtriser. Macron condense en lui cette dynamique. La mondialisation est un fait. C’est même un courant irréversible. Les marchandises, les services, les capitaux et les individus vont circuler de plus en plus. Les frontières vont s’effacer, les nations perdre leur identité, les Etats se fondre dans des structures de gouvernance et sans doute un jour, dans un gouvernement mondial. Pendant ce temps, le tissu social archaïque va lui aussi se décomposer pour laisser place à des individus mobiles dans un espace sans racines, délivrés des pesanteurs locales et familiales. Le rêve macronien c’est le cauchemar de Tocqueville, une humanité d’atomes non crochus guidés par des « sachants ». On évitera le côté sombre en laissant les individus les plus talentueux libres de créer des richesses : technocrate, progressiste, mais philosophiquement non socialiste, au sens de ce mot qui confère à l’Etat le rôle principal par rapport à la société civile.
Transformer le pouvoir en spectacle permanent, gouverner sans trop se soucier d’une Assemblée de hasard élue à la va-vite, dont les membres seront tellement heureux et surpris d’être là qu’ils seront dociles, mettre en oeuvre quelques mesures techniquement efficaces qui, bénéficiant d’une conjoncture mondiale favorable, feront croire à la réussite du gouvernement : telle est la recette qui tourne le dos à la démocratie, c’est-à-dire au peuple, cet empêcheur de tourner-en-rond. En l’occurrence, le mépris de la main qui le rejette est très injuste, et montre une part d’aveuglement. Même si M. Macron a été élu par défaut, parce que le Centre-droit avait perdu son candidat, et que le rejet de Mme Le Pen était plus puissant que le désir de Macron, les élections législatives, en permettant à un grand nombre d’inconnus, de battre non seulement des socialistes, mais des élus républicains à qui on ne pouvait reprocher le mandat calamiteux précédent, ont donné au candidat élu les moyens de sa politique. Le succès d’En Marche dans des circonscriptions réputées de droite est significatif. Une majorité de Français s’est prononcée en faveur des réformes. En cela, le « peuple » a montré qu’il existait bel et bien, était conscient de la pente sur laquelle il était engagé depuis longtemps, et souhaitait qu’on la lui fît remonter. Le débordement d’images cherchant à compenser les incertitudes du pouvoir l’a très vite déçu. Là encore, la réponse, avec la forte baisse sondagière, est celle d’une âme collective, non l’addition de mécontentements individuels.
C’est pourquoi il faut aujourd’hui souligner à quel point M. Macron se trompe de cible, à quel point il loupe le coche. Le peuple qui n’aime pas les réformes ne correspond pas aux Français qui demeurent globalement attachés à l’intérêt supérieur de leur pays, parce qu’ils savent au fond d’eux-mêmes que le bien commun est la condition de leur satisfaction propre, celle de leur famille, de leurs enfants. Mais entre le pouvoir central et le peuple, il y a une quantité de pouvoirs et de privilèges qui bénéficient de l’immobilisme et ont même parfois profité de réformes passées, présentées comme des progrès. Ainsi en est-il par exemple de la décentralisation manquée qui a multiplié les pouvoirs et les élus locaux, les dépenses et les impôts, sans apporter au pays plus de souplesse ni de démocratie. Le peuple qui refuse les réformes, c’est aujourd’hui la caste syndicale, divisée et non-représentative. La réforme du code du travail était indispensable. Mais elle n’est qu’un élément nécessaire et insuffisant pour que la France mette sa compétitivité économique au bon niveau. L’idée que la peur d’embaucher, en raison du risque d’un licenciement trop coûteux, freine l’emploi dépasse l’entendement des responsables de la CGT. Elle fournit surtout le prétexte à manifester et à persévérer dans son existence à un syndicat dont il faudra un jour mesurer la nocivité dans l’histoire économique de notre pays.
La démagogie de l’extrême-gauche se porte bien. Elle devient l’opposition de sa majesté, tellement absurde et obsolète, mais soutenue dans ce rôle par les médias, qu’elle fera réagir une partie de la droite en faveur du gouvernement. L’autre visage du peuple, c’est le populisme de droite, la réaction d’une nation qui ne veut pas mourir, qui veut se redresser économiquement, mais aussi préserver son identité, et pour cela sauvegarder sa souveraineté. C’est l’ennemi déclaré du pouvoir actuel, le peuple que, lui, déteste. Le gouvernement par ordonnances, le lancement de réformes économiques incomplètes pour diviser les syndicats, témoignent de la volonté de manquer la grande occasion qu’offre une élection présidentielle au suffrage universel direct, celle de conduire la révolution nécessaire, au besoin en l’appuyant sur des référendums, sur l’énergie d’un peuple qui n’est pas mort, bref, de pratiquer la démocratie !
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