L’Elysée a sorti la roue de secours, celle de la victimisation. Pauvre Président. Rien ne lui est épargné. Cet argument ultime de la défense se situe la où l’attaque a porté. Dans la situation normale d’un pays normal, le public aurait traité avec mépris un bouquin qui portant atteinte à la dignité du Chef de l’Etat, et à travers lui au respect dû aux Institutions, abîme l’image du pays. Malheureusement, à 13% de confiance pour le Président d’après Le Figaro Magazine, et cela avant la parution du livre, nous n’en sommes plus là. Les promesses non tenues, les résultats misérables avaient déjà entamé le crédit du locataire de l’Elysée que beaucoup de Français jugent incompétent. Le changement de cap politique accentué récemment par la nomination de Macron à Bercy a suscité sur la sincérité de François Hollande un doute ravageur qui cette fois mine en profondeur son électorat lui-même. Il restait au-delà de l’homme politique, peu capable et peu fiable, ce qui n’est pas original, l’homme lui-même, sympathique, volontiers enjoué et blagueur. Or c’est ce môle de résistance qui vient de tomber. Non seulement, il avait menti aux Français sur son programme. Non seulement, il avait menti à sa « compagne » et l’avait publiquement traitée avec goujaterie, ce qui pouvait encore passer pour un incident de parcours dans une vie où se mêlent des sentiments exacerbés et la tension de la vie publique à son plus haut niveau. Mais, il mentait sur ce qu’il est. Sa concubine remerciée le révèle sous le jour d’un imposteur qui, enfant de la bourgeoisie, est demeuré un bourgeois qui méprise les pauvres, s’en amuse et n’a probablement affiché des idées de gauche que pour dessiner un profil de carrière qui lui garantirait le niveau de vie dont il ne peut se passer. Bref, l’élu de la gauche sociale et obsédée par l’égalité, serait un cynique qui cache le goût des privilèges sous des discours qui les attaquent. Incompétence, indécence, cynisme, cela fait beaucoup. Mais Hollande ne coule pas seul. Le livre se vend très bien même si on l’achète avec des pincettes, parce que beaucoup de lecteurs veulent y trouver la vérification du mépris que suscitent chez eux la politique et les politiciens.
Qui est la victime ? Certainement pas Hollande, qui en introduisant cette situation bancale à l’Elysée n’en a pas volé la conséquence. Comment ? On promeut le mariage pour tous, et on ne se marie pas soi-même ? On paraît limiter de façon moderne le couple au sentiment et on donne à ce lien une allure officielle en surexploitant le titre fictif de première dame. Mais dans le même temps, on n’hésite pas à vivre un autre sentiment et à former un autre couple. Non, la victime devrait plutôt être la femme humiliée, la seconde en peu de temps. Mais n’a-t-elle pas agacé les Français par la morgue et l’outrecuidance avec lesquelles elle a occupé cette place qu’aucun droit ne lui attribuait et dont elle entendait faire un pouvoir. Il y a des gens qui ne détestent les privilèges que quand ils les perdent. Non les victimes sont plurielles. Au premier rang figurent ceux que Mitterrand appelait le « Peuple de Gauche », ceux que le premier François, habile manoeuvrier politique issu de l’extrême-droite avait déjà bernés, et qui aujourd’hui sont une fois encore dans la situation peu enviable de l’amoureux déçu et trompé. Les cabrioles de DSK dans un hôtel de luxe de New-York, les comptes suisse ou singapourien de Cahuzac, aujourd’hui même la démission de Thévenoud, ce Tartuffe qui avait plaidé pour l’exemplarité fiscale et qui ne déclarait pas ses impôts, et enfin, les « sans-dent » de Hollande affichent une certaine cohérence qui n’est pas particulièrement de gauche. Les mauvaises langues laissent d’ailleurs entendre que le Président semble plus doué pour sa fiscalité personnelle que pour celle des Français. En second lieu, ce sont tous les Français qui sont victimes de ce sordide déballage. Ils sont aujourd’hui gouvernés par la caste politique la plus inefficace de toutes les grandes démocraties. Comme si ce n’était pas suffisant, il faut que les déboires de la vie intime de l’ex-couple présidentiel se répandent sur la place publique internationale pour bien rappeler à la terre entière que décidément les Gaulois ne savent pas se conduire. Un Anglais dit « Mon pays a peut-être tort, mais c’est mon pays ». Un Française serait capable au contraire de brailler : « Mon amant m’a fait tort. Puisse mon pays payer pour ça ! » Car enfin, la vraie victime, c’est la France qui se traîne derrière l’Allemagne en Europe et dernière les Etats-Unis dans le monde, quémandeur de temps ou d’argent, et dont l’indépendance a fondu comme neige au soleil, parce que l’impéritie et l’indignité de ses dirigeants lui ont fait perdre une voix qu’on écoutait encore naguère.
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