Comment j’ai déprogrammé l’obsolescence

C’est arrivé ce matin. Notre lave-vaisselle familial, que nous avions programmé pour tourner la nuit dernière, n’avait pas fonctionné. Mon épouse, étonnée par cette inhabituelle défaillance, a essayé de le relancer : rien à faire, le bestiau ne marchait plus. Dépités, nous convînmes donc, ma dulcinée et moi-même, qu’il était temps de lui trouver un remplaçant. Cette fois ci, nous disions-nous pas plus tard que ce matin, nous n’achèterons pas la première camelote venue à 300 euros : rendez-vous fut pris en début de soirée pour faire l’acquisition d’une bête de course qui, nous l’espérions, durerait vingt ans, comme celle de belle-maman.

Dans les entrailles de la bête

Mais la journée avançant, cette histoire ne sortait pas de ma tête. Le lave-vaisselle en question, nous l’avions tout de même acheté il y a à peine plus de trois ans : ce n’est pas possible que ce machin, même s’il ne nous avait objectivement pas coûté grand-chose, nous lâche aussi vite. Si ça se trouve, me disais-je, ce n’est qu’une petite panne. Il faut préciser ici que je suis à peu près aussi compétent en électronique qu’Arnaud Montebourg l’est en stratégie industrielle. C’est dire. Alors j’ai fait comme d’habitude : quand je suis confronté à un problème que je ne sais pas résoudre par mes propres moyens, je consulte les forums spécialisés de l’internet sauvage et dérégulé.

Après quelques minutes de recherche, je tombe sur l’appel à l’aide paniqué d’une ménagère dont la machine – même marque, même modèle – présente des symptômes tout à fait similaires à la mienne. Je parcours le fil de discussion et y découvre, d’une part, que mon problème vient certainement de l’évacuation des eaux usées, un tuyau bouché ou une pompe qui ne fonctionne plus et, d’autre part, que ces engins-là se démontent aisément ; il arrive même, lis-je avec incrédulité, qu’avec deux sous de jugeote et un peu de patience, des utilisateurs aussi peu avertis que moi parviennent à les remettre en marche. Eh quoi ? Quitte à en racheter une neuve, autant tenter le tout pour le tout !

Ainsi donc, alimentation électrique dûment débranchée et sortie d’eau soigneusement vidée, me voilà qui couche la bête sur son flanc pour en démonter le capot. Je trifouille un peu, me familiarise avec les entrailles de l’animal, débranche quelques tuyaux et fini par repérer ce qui semble être une pompe. Après quelques vaines tentatives et, avouons-le, quelques jurons, je fini par démonter l’appareil et là, à ma plus grande surprise, je constate qu’un bout de verre est parvenu, on ne sait comment, à se frayer un passage jusque-là. Celui-là, me dis-je en mon for intérieur, il a une tête de coupable idéal. J’extirpe l’intrus, remonte la bête, lance un cycle rapide et – Ô miracle – l’animal ronronne comme au premier jour !

Une légende urbaine

Si je vous raconte cette histoire, c’est parce que, rétrospectivement, je me demande ce qu’aurait fait Jean-Vincent Placé s’il s’était trouvé dans la même situation. Le sénateur Placé, vous le savez sans doute, c’est ce parlementaire biocompatible qui s’est donné pour mission de venir à bout de l’obsolescence programmée, l’idée selon laquelle les industriels raccourcissent volontairement la durée de vie de leurs produits pour nous obliger à en acheter plus. Ça ne fait aucun doute dans mon esprit : Jean-Vincent Placé, pestant et fulminant, persuadé d’être victime de l’odieux complot capitaliste, aurait condamné sa machine à la casse.

C’est qu’une des grandes différences entre l’écolo-sénateur et moi, c’est que quand lui croit monter à l’assaut d’un géant envoyé par quelques méchant magicien, je sais, moi, que c’est un moulin à vent qu’il charge. Disons-le tout net : à quelques rares exceptions près – et encore, ça reste à prouver –, l’obsolescence programmée est un mythe, c’est une légende urbaine qui, parce qu’elle confirme les aprioris anticapitalistes de certains de nos contemporains, est parvenue à se frayer un chemin jusque dans l’esprit encombré du législateur.

À vrai dire, l’hypothèse n’est même pas crédible. Il suffit, pour s’en convaincre, de considérer ceci : pour qu’une stratégie d’obsolescence programmée fonctionne – c’est-à-dire pour qu’elle se traduise effectivement par une augmentation des ventes de l’entreprise qui s’y adonne – il faut non seulement que les consommateurs remplacent effectivement le produit périmé mais aussi et surtout, qu’ils le remplacent par un produit de la même marque. Dans le cas contraire, une stratégie d’obsolescence programmée revient purement et simplement à nourrir les ventes de vos concurrents.

Or, les constructeurs automobile américains m’en sont témoins, les consommateurs sont loin d’être stupides : quand la qualité de vos produits se dégrade, ils changent de crèmerie et en profitent même souvent pour vous tailler un costard dans les enquêtes de satisfaction ou sur les forums d’internet. C’est-à-dire que, pour qu’une telle stratégie ne se traduise pas par un effondrement de vos ventes, il faut que vous disposiez d’un monopole ou que vous fassiez au moins partie d’un solide cartel ; choses qui, hors intervention de l’État, sont extrêmement rares. Très clairement, si j’avais du racheter un lave-vaisselle, je n’aurais certainement pas racheté un lave-vaisselle de la même marque.

Le biais du survivant

Et pourtant, la légende urbaine fait florès et je ne compte plus, autour de moi, les témoignages d’appareils qui tombent en panne juste après l’échéance de la garantie du constructeur (« comme par hasard… ») tandis qu’un vénérable lave-vaisselle d’autrefois, celui de belle-maman, continue vaillamment à remplir son office quotidien après trente ans de bons et loyaux services. C’est l’occasion pour votre serviteur d’aborder un biais cognitif bien connu des économistes, j’ai nommé : le biais du survivant.

En effet, l’antique engin de votre belle-mère est un survivant. C’est-à-dire que, pour cet appareil qui continue à fonctionner, il a existé un certain nombre de lave-vaisselles de la même génération – de la même marque, du même modèle – qui ont, depuis, terminé à la casse. Le biais du survivant consiste à croire que, parce que la machine de belle-maman fonctionne toujours, les machines de cette lointaine époque avaient toutes une durée de vie supérieure aux machines actuelles. De la même manière, même si votre lave-vaisselle a rendu l’âme après trois ans, il est tout à fait possible qu’un de ses petits frères dure vingt ou trente ans : il faudra attendre quelques décennies pour le savoir.

Entendons-nous bien : qu’un lave-vaisselle acheté ces dernières années pour moins de 300 euros soit – a priori – moins robuste que la vénérable machine pour laquelle vos beaux-parents se sont saignés à blanc il y a trente ans (1), c’est tout ce qu’il y a de plus probable. Cela n’a rien à voir avec une stratégie d’obsolescence programmée et tout à voir avec le fait que, pour vous proposer une machine bourrée d’électronique (2) à un prix aussi dérisoire, le constructeur a naturellement rogné sur tout un tas de choses et notamment la qualité des matériaux utilisés. Il est, aujourd’hui encore, possible de transmettre un lave-vaisselle à ses enfants mais l’appareil en question vaut sans doute un bon millier d’euros.

Autres temps, autres mœurs

Et c’est justement cette chute vertigineuse des prix qui vient renforcer notre biais du survivant. La ménagère des années 1980 qui avait la chance de posséder un lave-vaisselle en prenait le plus grand soin : lorsqu’on lui suggérait de nettoyer le filtre une fois par semaine, elle le faisait et si son appareil tombait en panne, elle appelait un réparateur. Or voilà : à une époque où l’on trouve des lave-vaisselles pour un quart de Smic net mensuel, il va de soi que cette discipline tend à se relâcher et que le métier de réparateur d’appareil électroménager a presque complètement disparu (3). Le problème, somme toute, c’est que nous vivons dans un monde où remplacer ce genre d’appareils ne coûte pas grand-chose.

On peut le regretter, bien sûr, mais c’est aussi ce qui explique la longévité de la machine de belle-maman. Là où mon épouse et moi-même étions à deux doigts d’en racheter une neuve, beau-papa n’aurait pas hésité une seconde : il aurait immédiatement démonté l’engin pour le réparer lui-même et ce n’est qu’en désespoir de cause qu’il aurait fait appel aux services d’un réparateur professionnel. L’obsolescence programmée de Jean-Vincent Placé c’est souvent ça : un bête morceau de verre coincé dans une pompe, un fil débranché, un joint usé… Bref, tout un tas de petites pannes dues à l’usure du temps, à une utilisation un brin désinvolte ou au fait que nous ne prenons plus la peine de réparer.

Finalement, vouloir combattre l’obsolescence programmée par voie législative, c’est contraindre les industriels à monter en gamme et donc en prix de vente. C’est aussi simple que ça. Jean-Vincent Placé peut sans doute s’offrir un lave-vaisselle capable de tenir 2 500 ou même jusqu’à 5 000 cycles (4) mais je crains que pour nombre d’entre nous, une éventuelle action du législateur se traduise par le retour en grâce du liquide-vaisselle et des gants en latex rose.

> le blog de Georges Kaplan (Guillaume Nicoulaud)

1. En 1980, seuls 17% des foyers français étaient équipés d’un lave-vaisselle.
2. Électronique qui, rappelons-le à nos amis écolos, a permis de réduire la consommation moyenne d’eau et d’électricité de nos appareils de 56 et 36% respectivement en une décennie à peine.
3. À côté de chez moi, comptez 55 euros plus 25 euros de main d’œuvre par demi-heure ; soit, au bas mot, la moitié du prix d’un appareil neuf. Si ça vous semble cher, demandez-vous ce qu’il reste à l’entrepreneur une fois ses charges et impôts payés.
4. Je vous laisse deviner la marque.

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48 Comments

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  • sergeG , 7 septembre 2013 @ 17 h 52 min

    Il ne me semble pas avoir écrit, même pensé, qu’il fallait augmenter les taxes. Je suis favorable à la TVA sociale pour les différents produits soient soumis aux mêmes charges pour que la concurrence soit loyale. Il faut par ailleurs diminuer les dépenses publiques d’où mes critiques acides sur la “création d’emplois” par la délinquance.

  • goturgot , 7 septembre 2013 @ 18 h 08 min

    “TVA sociale pour les différents produits soient soumis aux mêmes charges”
    Ce n’est pas à proprement parler du protectionnisme si cela consiste à répartir l’impôt de façon équitable, sans que le niveau d’impôt global n’augmente. Il est vrai que, quitte à avoir un système social publique et obligatoire (et par conséquent mauvais), autant qu’il soit financé par la TVA. Le mieux étant bien entendu un système social concurrentiel, privé et facultatif.

  • Frédérique , 7 septembre 2013 @ 18 h 19 min

    “En revanche, espérer augmenter les recettes fiscales en augmentant le niveau de taxe général est une erreur (cf courbe de Laffer). ”
    Où ai-je écrit cela?
    “Par ailleurs, je n’ai jamais affirmé que limiter les importations ne favoriserait pas l’industrie, au contraire; j’ai seulement écrit que cela n’avait pas d’impact positif sur le niveau d’emploi global”
    Là, je ne suis pas d’accord, je pense que cela créera des emplois, même si les produits fabriqués sont plus chers, ils pourront se prendre une part de marché en tablant sur la qualité.
    “vous pensez qu’il vaut mieux développer l’industrie que d’autre secteurs”
    Je pense qu’il faut arrêter de détruire les emplois industriels et même les relancer dans une certaine mesure, et qu’au lieu de filer des diplômes à de jeunes illettrés qui se retrouveront fatalement au chômage avec un sentiment d’injustice, il faut réhabiliter le travail manuel pour eux et couper court à l’excuse inébranlable que l’on a besoin de centaines de milliers d’immigrés pour faire le travail que les Français ne veulent pas faire.
    “Je ne comprends pas pourquoi vous prenez systématiquement mes commentaires, que je veux courtois, pour des agressions.”
    C’est instinctif, rien de grave.

  • goturgot , 7 septembre 2013 @ 19 h 55 min

    ” je pense que cela (taxer les importations) créera des emplois” c’est notre seul point de divergence (pour le reste, je suis entièrement d’accord avec vous). C’est un sophisme qui ne résiste ni à l’épreuve des faits ni à celle de l’analyse économique. Taxer les importations crée des emplois et en détruit d’autres. Si la France vivait en totale autarcie, avec la même fiscalité, le même code du travail et le même système social, il y aurait probablement le même taux de chômage mais avec un pouvoir d’achat beaucoup faible. Si une mesure poussée à l’extrême n’a pas d’effet sur l’emploi, il n’y a aucune chance que, utilisée avec nuance elle en ait plus.
    Il est pourtant facile de comprendre que les euros cédés aux chinois contre leurs produits, sont dépensés d’une façon ou d’une autre (pour des produits de luxe, des plans, des brevets, du tourisme, de l’investissement dans le système financier et les entreprises, abaissant ainsi les taux d’intérêts, etc…) En effet la balance des paiements est toujours équilibrée, n’oubliez pas la balance des invisibles. Supprimez cet apport d’argent et vous détruisez autant d’emplois que vous en avec créé par vos mesures protectionnistes. Donc, vous pouvez défendre le protectionnisme pour des motifs politiques (indépendance industrielle, par exemple) mais pas pour des motifs économiques de réduction du chômage ni hausse du pouvoir d’achat.

    Enfin, une chose me frappe, vous acceptez volontiers une baisse du pouvoir d’achat (résultant du protectionnisme) du consommateur en contrepartie de la diminution du chômage. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas simplement, baisser dans cette proportion le smic et des minimas sociaux, ce qui aurait immédiatement pour effet une baisse important du chômage (par l’amélioration de la compétitivité induite)? Cela revient au même, du moins pour les classes populaires.

  • Frédérique , 7 septembre 2013 @ 20 h 58 min

    @goturgot

    ” Avec la Chine, nous avons un déficit commercial de 15 à 20 milliards d’euros depuis des années, limiter le montant des produits chinois importés au montant de celui qu’on exporte ou taxer le surplus permettrait de maintenir beaucoup d’activités industrielles en France”.
    Taxer le surplus d’importations, soit sur 15 à 20 milliards seulement, on est bien d’accord, j’espère.

    J’ai de sérieux doutes sur le fait que tous les euros payés à la Chine reviennent systématiquement dans l’escarcelle de la France, la Chine a des intérêts, heureusement pour elle, dans bien d’autres pays. L’argent dépensait par les chinois, c’est surtout des produits de luxe et le tourisme, soit un commerce pour des chinois aisés, une petite baisse de leur pouvoir d’achat ne devrait pas trop les déranger. Des brevets et des plans, s’ils les achètent c’est qu’ils en ont besoin, s’en priveront-ils? Et puis, le commerce, c’est aussi savoir ajuster ses prix, que Christian Dior ou Chanel ou Dassault perdent un peu de pognon, si ça permet de créer des milliers d’emplois…..
    Les chinois investissent dans la finance, certes, mais eux savent où investir et avec qui, un pays qui est capable de perdre 20 milliards à leur profit ne leur inspire pas confiance, on les comprend, et eux nous l’on bien signifiaient en refusant de prêter de l’argent à l’U.E à cause du manque de sérieux dans l’économie des pays européens du Sud, dont la France.
    Une baisse de pouvoir d’achat dans les produits manufacturés n’est pas tout à fait la même chose qu’une baisse de revenus. Si beaucoup d’entre nous peuvent avoir les moyens de changer de télé, il y a aussi des familles dont les revenus ne leur permettent que de survivre.

  • charles-de , 8 septembre 2013 @ 0 h 07 min

    Comme quoi il y a emploi et emploi, et mettre tout dans le même sac comme le fait le calcul du PIB est TOTALEMENT DéBILE.
    Il y a bien des activités qui COûTENT et des activités qui RAPPORTENT. Tout le problème est d’équilibrer les deux, pour un état comme pour un individu ou un ménage.
    Un travailleur passe du temps à gagner SA vie et celle de ses enfants, puis il peut dépenser pour se loger, manger, s’habiller, aller au restaurant, au cinéma, partir en voyage, mettre un peu d’argent de côté etc.
    Avoir fait croire qu’on allait bénéficier plus vite du “progrès” en empruntant est une illusion : il faut payer les intérêts (à quel taux !), et donc nourrir les banques.
    Avoir fait croire aussi que moins on allait travailler, moins il y aurait de chômeurs est aussi une énormité.
    Bref, si j’en crois les résultats pourtant VISIBLES par tous de la politique menée depuis 20, 30, 40 ans ou même plus, il est difficile de dire que c’est très brillant !
    On ne m’enlèvera pas de l’idée que CERTAINS en profitent plus que d’autres et les “gouvernants”, de “gauche” comme de “droite” sont là, et se paient bien, pour NOUS FAIRE CROIRE que tout va bien et va aller encore mieux si nous les choisissons.

  • charles-de , 8 septembre 2013 @ 0 h 21 min

    Mais voilà, la TVA sociale frappant les produits importés à bas prix n’aurait-elle pas été interprétée comme un “OBSTACLE NON TARIFAIRE”, interdit au même titre que les droits de douane par l’OMC.
    Je constate que la France s’est enfermée dans une nasse avec une corde au cou : d’abord la CEE, puis l’UE, l’euro et enfin l’OMC. Et elle ne peut plus rien DéCIDER elle-même.
    Politique menée alternativement par la “gauche” et par la “droite” avec le même “succès” : déficit commercial permanent, dette croissante de l’Etat et des collectivités locales, chômage en augmentation constante et impôts, taxes, prélèvements, cotisations qui enflent sans arrêt.
    Bien sûr, “ça va aller mieux avec nos solutions”, disent-ils tous !

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