Le charcutage des régions : un ersatz de réforme !

Les politiciens professionnels qui encombrent la conduite des affaires de notre pays sont, comme tous les « professionnels », des spécialistes. Mais de quoi ? Le Bien commun qui est le but de la politique demande des généralistes motivés, volontaires et inspirés par une vision à long terme. Un général, un agrégé de lettres classiques ou un professeur d’économie peuvent remplir ce rôle. Le politicien spécialiste, lui, gère avant tout sa carrière, essentielle, puisqu’il n’est bon à rien d’autre. Il connaît la technique de l’interview et de la petite phrase, cultive le réseau des amis qui, dans les médias notamment, assurent sa promotion, et maîtrise les jeux compliqués des partis et des pouvoirs. Son art se résume à la gestion à court terme des crises qui constituent le riche terreau de l’actualité sur lequel il prospère avec son comparse journaliste, quelquefois son conjoint.

L’absurde réforme territoriale, imposée aux Français sans les consulter, illustre la nocivité de la corporation qui monopolise le pouvoir en France. Puisque l’Allemagne fédérale l’a sans doute suscitée, c’est le mot « ersatz » qui vient à l’esprit pour la caractériser. Le redécoupage régional est une fausse réforme, fondée sur des motivations où se mêlent l’inculture, l’idéologie et le calcul politicien. Elle ne produira aucun effet d’ordre financier ou économique. Elle comble les politiques au mépris des Français, de leur passé comme de leur avenir.

Une réforme simple s’imposait : la suppression des départements, le transfert de leurs compétences sur des régions peu modifiées, si on excepte la réunion des deux « Normandie ». L’élection uninominale de conseillers régionaux aurait maintenu le lien avec le local, tout en diminuant le nombre d’élus. On a préféré l’illusion technocratique du « plus c’est gros, mieux ça marche », comme si la politique ou l’entreprise ne fournissaient pas constamment l’exemple du contraire. Mieux vaut un petit Etat bien géré, comme la Suisse ou Singapour que des ensembles disparates et impuissants, comme l’Europe nous en fournit le triste exemple. Ni les cantons suisses, ni les « länder » allemands, ni les « Etats » américains, ni les communautés espagnoles n’ont obéi à cette préoccupation abstraite. Ce sont des entités produites par l’histoire, autour d’une identité et parfois d’une volonté exprimée par les habitants. Leur taille est très variable. On n’a pas cherché à empiler le pouvoir politique et la puissance économique au même endroit. Aux Etats-Unis, c’est même souvent le contraire : la ville la plus importante de l’Etat n’est pas le siège de son administration. A l’époque des télécommunications, ces obsessions françaises de la centralité et du rayonnement par la dimension sont obsolètes. Ce qui compte, c’est l’identité et la cohésion. Que chacun ensuite utilise une autonomie plus grande pour faire valoir son histoire, son patrimoine, ses paysages, ses productions agricoles et industrielles, ses entreprises célèbres, ses pôles de compétitivité, sa formation et sa recherche afin de se développer et de se faire connaître dans le monde entier ! L’Etat peut contribuer à la réalisation de ces objectifs. Il n’a pas à les imposer. Par exemple, la Picardie et ses cathédrales, ont été au coeur de la naissance de la France. Ce n’est pas le cas de ma Flandre. L’économie ne s’y est pas développée en même temps et sur les mêmes bases. Le choix de Lille comme capitale commune est injuste pour Amiens et inutile pour Lille. Il aurait été plus pertinent de réaliser l’autoroute A 24 pour désenclaver la capitale picarde et fluidifier le flux de l’A22…

La réforme actuelle est dans la lignée de l’idéologie révolutionnaire et technocratique qui gomme les identités enracinées au profit des constructions abstraites et arbitraires. Si Nantes est bien une ville bretonne maintenue en dehors de la région dont elle est la capitale historique, comment comprendre que l’avenir de Reims se décide à Strasbourg et ceux d’Annecy comme de Clermond-Ferrand à Lyon ? Ces « métropoles d’équilibre », pour employer le langage désuet d’il y a 50 ans, vont accentuer les déséquilibres. La Champagne n’a pas besoin de l’Alsace pour être connue. Des identités dynamiques existent même en deçà des régions d’avant le redécoupage : la Savoie, ou Nice et la Côte d’Azur, par exemple. Il n’aurait pas été idiot de les libérer à l’occasion de la suppression des départements. De même, la notion de « pays » introduite par Charles Pasqua aurait sans doute permis la fédération des communes rurales. On a préféré empiler les réformes et les structures créées. La préoccupation à court terme a toujours été de multiplier les pouvoirs, et au moins de maintenir leurs bénéficiaires : la corporation s’entretient. Demain, les Français pourront s’adresser à leurs élus communaux, intercommunaux, départementaux, régionaux, nationaux, et même européens. Ils auront le choix d’écrire à leur Maire, à leurs deux conseillers départementaux, à leurs conseillers régionaux, à leur député, à leurs sénateurs, à leurs députés européens. Ouf ! Il y aura un peu moins de préfets… et on voudrait nous faire croire que cela entraînera des économies substantielles. La réduction des strates administratives et l’allègement drastique des dépenses publiques auraient permis de donner en les concentrant plus de moyens aux régions telles qu’elles existaient ou à peu près. Si on a pu juger les dépenses de Frèche excessives à Montpellier, est-ce intelligent de les rendre inutiles ? Il est toujours possible, quelque soit la taille des collectivités de pénaliser les élus dépensiers en réduisant les dotations de l’Etat en fonction de critères de gestion. Il est en revanche absurde d’abandonner sèchement les aspects positifs d’une politique trop ambitieuse.

Maintenir à tout prix le nombre excessif des élus, le niveau départemental si favorable aux « républicains » de gauche comme de droite, équilibrer politiquement les régions pour éviter les risques électoraux, habiller cet objectif sous l’apparence de l’efficacité technocratique, négliger enfin l’avis des populations concernées dont l’identité est totalement ignorée : cette réforme est un réquisitoire contre ceux qui prétendent nous gouverner !

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19 Comments

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  • jsg , 6 août 2015 @ 6 h 58 min

    Une réforme qui ne sert strictement à rien ! ou si, elle va faire augmenter encore le nombre de fonctionnaires qui chacun le sait, sont le principal pourvoyeur de voix pour cet espèce de parti qu’est le socialisme !
    des parasites en plus, des 200 000 déjà embauchés depuis l’avènement de M. le Président !
    Il faut quand-même savoir, que ces gens-là -honorables au demeurant-, sont une charge pour le pays, car ils ne sont qu’un service rémunéré sur la plus-value réalisée par les entreprises productrices de biens.
    Des spécialistes de tous horizons ont eus de nombreux débats sur l’utilité de cette refonte qui est inutile et en nombre et en comparaison avec les autres pays de l’Europe. Elle ne fait qu’éloigner l’histoire du pays de l’esprit de ses cons citoyens (comme les prennent ceux qui leur imposent cette réforme).
    Enfin, si les Le Pen arrêtent de se chamailler et deviennent un parti mature, ils pourront ou pourraient stopper ces escalades de bêtises toutes aussi stupides les unes que les autres.

  • Boutté , 6 août 2015 @ 7 h 58 min

    C’est amusant de voir un gouvernement de la République entériner la décision du Maréchal Pétain , lors des “heures les plus sombres” ,de séparer la Loire Atlantique du reste de la Bretagne , ce qui fait que la capitale de cette Province n’est plus dans celle-ci .
    Notez à ce propos que les régions allemandes sont les Etats d’autrefois, avant que Napoléon ne suggère de réunir pour nôtre plus grand malheur ces nations dispersées .

  • jsg , 6 août 2015 @ 8 h 28 min

    Ah, excellent !
    et pendant ce temps, Marine Le Pen fait passer son père au tourniquet pour avoir parlé du maréchal Pétain !
    hi,hi,hi…

  • franck , 6 août 2015 @ 9 h 13 min

    Supprimer les 96 départements et services adjoints et conserver des régions a 4 ou 5 départements maximum aurait maintenu la proximité (services, intervention…), une taille critique significative sur le plan économique tout en diminuant massivement les coûts de fonctionnement. Mais pour faire cela il faut réellement être “audacieux” et savoir déplaire en réduisant les “fromages” (postes fonctionnels sympathiques). En lieu et place d’une telle réforme on modifie le territoire sans le simplifier et sans économies. Un exemple, les préfets cumulant les fonctions départementales, voire régionales ou zonales ne diminueront pas en nombre, pas plus que les préfectures les abritant. Tout au plus un service régional (SGAR) sera allégé car des “antennes” subsisteront pour ne pas déplaire , faire bonne mesure et… faire passer une réforme qui n’en est pas une.

  • nauticat , 6 août 2015 @ 9 h 21 min

    bonjour jsg, bonne analyse ,reste que même avant le tripatouillage annoncé le nombre de fonctionnaires est pléthorique ; 3 à 5 fois superflu dans les conseils généraux et régionaux ,farcis de sous secrétaires ,de sous directeurs ,d’adjoints à quelque chose …et autres inutilités flagrantes !
    Vous me direz ; “tant mieux pour eux ,pendant ce temps ils ne sont pas au chômage et paient des cotisations qui paient ma retraite * ”
    * Retraite que j’ai déjà payée ,que je continue de payer de par la CSG et mes impôts & taxes

  • Pascal , 6 août 2015 @ 10 h 26 min

    Ce démantèlement de la République et de la France, la droite l’avait toujours rêvé, mais c’est la «gauche» qui l’a réalisé. Cette saloperie a été initiée par la phase I de la décentralisation au tout début du règne de François Mitterrand.

    http://blog.pascalolivier.fr/post/2013/04/02/Il-y-a-presque-dix-ans-les-glorieux-Corses-sauvaient-la-République%2C-à-vous-l’honneur-amis-alsaciens-%214

  • Nicolas , 6 août 2015 @ 10 h 49 min

    http://www.lepoint.fr/politique/regionales-un-accord-ps-prg-pourrait-couter-tres-cher-aux-contribuables-05-08-2015-1955042_20.php

    A la demande du PRG, hollande crée un poste de président- délégué : coût : 114 millions.
    La suppression des départements reportée à la demande du PRG, Mr Baylet ne voulant pas abandonner son fromage.
    Un nouveau pouvoir en 2017 devrait rendre la parole au peuple par référendums locaux imposés aux Régions : maintien ou suppression du poste inutile sachant que son coût sera couvert exclusivement par la pression fiscale locale. Pour les capitales régionales , même principe : nouveaux bâtiments et fonctionnaires couverts exclusivement par la pression fiscale locale, les administrés seraient libres de leur choix.et péréquation interdite.
    Vœu pieux car Les Républicains vont nager dans le fromage fondu. On peut décliner beaucoup de référendums locaux imposés à sujet imposé. Après tout, s’ils veulent payer des taxes locales exhorbitantes, les administrés sont libres.

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