par William Kergroach
Le Moyen-Orient est un monde politique complexe, fait d’intrigues et de trahisons. Les dirigeants saoudiens le savent bien, qui ont su si bien déjouer toutes les tentatives de déstabilisation de leur opulente monarchie, de la part de leurs ennemis comme de leurs « amis »… Ils viennent pourtant de tomber dans un piège, au Yémen. Il sera passionnant de voir s’ils vont survivre à cet ultime coup : un nouvel État Islamique est en train de naître en Péninsule arabique.
La République réunifiée du Yémen, en soutenant l’Irak pendant la première guerre du Golfe, en 1990, a joué le mauvais cheval. Les États-Unis et l’Arabie Saoudite cherchent, depuis, le moyen de la châtier. Peut-être Washington et Riyad ne sont-ils pas étrangers aux nombreux drames qui éclatent dans ce pays que l’on appelait, autrefois, « l’Arabie Heureuse ». Depuis les années 2000, les révoltes ont éclaté un peu partout contre le gouvernement de l’ex président Ali Abdallah Saleh autant que le gouvernement de l’actuel président, le maréchal Abd Rabbo Mansour Hadi, soutenu par les Saoudiens. Les chiites Houthis tiennent Aden, et une grande partie de l’ouest du pays, avec le soutien de Téhéran ; le sud du Yémen voudrait reprendre son indépendance ; surtout, Al Qaïda et l’État Islamique montent en puissance et contrôlent déjà plusieurs points du territoire.
En novembre 2009, l’Arabie Saoudite est obligée d’intervenir militairement, sur sa frontière, contre la rébellion chiite au Yémen. Bizarrement, un « printemps arabe » est opportunément déclenché, en 2011, à Aden et dans les principales villes du pays. C’est le même genre de contestation « spontanée » qui renverse les gouvernements en Tunisie et en Egypte à la même période… Le président Ali Abdallah Saleh, le même qui avait osé soutenir Saddam Hussein lors de la première guerre du Golfe, résiste autant qu’il peut, fait des concessions. Rien ne marche. Quand il échappe, de peu, à une tentative d’assassinat, il se résout à signer sa feuille de démission, obligeamment présentée par les Saoudiens. Il part se faire soigner à Riyad, est exilé aux États-Unis.
Fin de l’histoire ? Non, l’homme comprend qu’il a été joué. Il ordonne aux éléments de l’armée qui lui sont restés fidèles de favoriser la rébellion Houthiste, venue du nord du pays. Il a également des contacts avec les islamistes d’Al Qaïda, et les combattants yéménites de Daech. C’est aujourd’hui une guerre des Yéménites, de tous bords, contre la déstabilisation occidentale du pays.
Aussi, en appuyant l’arrogante campagne militaire saoudienne contre les chiites Houthi et les djihadistes d’Al Qaïda au Yémen, Washington ne se doute-t-il pas qu’il renforce, chaque jour un peu plus, la légitimité de la rébellion aux yeux des musulmans de la péninsule arabique ? Washington ne chercherait-il pas, maintenant, à déstabiliser la Péninsule arabique ? L’intervention de l’Amérique auprès de ses protégés des monarchies du Golfe fait penser au destin de souris qui seraient amies d’un chat…
Ainsi, en mars 2015, quand l’administration Obama soutient l’intervention militaire de la coalition arabe sunnite, dirigée par Riyad, pourquoi se contente-t-elle de fournir seulement du ravitaillement air-air, un peu de soutien logistique et quelques armes ? Washington ne donne rien qui permette aux Saoudiens d’écraser la rébellion au Yémen.
Les dirigeants saoudiens sont-ils, intentionnellement, mal conseillés ? Ils pensent encore obtenir une victoire facile, se débarrasser du gouvernement pro-Saddam Hussein d’Ali Abdallah Saleh et de la rébellion chiite des Houthis. En fait, ils se retrouvent face à des hommes déterminés, soutenus par des commandos iraniens aguerris et, déjà, une inquiétante tête de pont de l’État Islamique. L’Arabie Saoudite est tombée dans le piège.
Depuis le début de la guerre, l’Arabie Saoudite bombarde, dépense 200 millions de dollars par jour, mais n’obtient guère plus qu’un statut de criminel de guerre. 10 000 civils yéménites ont été tués, 3 millions ont fui les combats. 60 000 enfants sont déjà morts de malnutrition. 60 % de la population survit grâce à l’aide alimentaire. Le Yémen est aujourd’hui la plus grande urgence en matière de sécurité alimentaire au monde. Il est possible que la dynastie wahhabite puisse vivre avec cet effroyable bilan humanitaire, mais peut-elle survivre à cet Afghanistan qui vient de naître à ses frontières et menace déjà son territoire ?
Riyad n’obtient aucune victoire décisive, car il faudrait engager massivement ses troupes sur le terrain, accepter de très grosses pertes humaines, voire une défaite. Or, tous les conflits qui durent au Moyen-Orient font gagner les mouvements les plus radicaux. Le Hezbollah n’existait pas au Liban avant l’invasion israélienne de 1982 et Al-Qaïda était à peine présente en Irak avant 2003. Aujourd’hui, le Hezbollah est la force militaire dominante au Liban et on connaît les succès des fondamentalistes sunnites au Moyen-Orient.
Au Yémen, c’est maintenant le Hezbollah yéménite, c’est-à-dire l’Iran, qui est durablement installé dans la péninsule arabique. Dans le camp sunnite, Al Qaïda, est passé de quelques centaines de combattants en 2009 à plus de 4 000 aujourd’hui. Avec la fin de cycle de l’État Islamique, à Mossoul, les islamistes originaires de la péninsule arabique sont redirigés vers leurs terres…
Le piège s’est refermé. Soit, l’armée saoudienne s’engage massivement sur terre, pour essayer d’écraser le nid de guêpes yéménite, avec le risque de subir une terrible défaite, très périlleuse pour la dynastie des Saoud. Soit, les Saoudiens négocient la paix et laissent les Houthis chiites prendre part au pouvoir au Yémen. Cette deuxième solution n’en est probablement pas une pour les Saoud, gardiens officiels de l’Islam sunnite.
Le sort de la guerre pourrait donc amener une déstabilisation complète de la région, voire la destruction de l’Arabie Saoudite, comme en Irak, comme en Libye. Les responsables se révéleront quand ils prendront le contrôle des puits de pétrole…
> William Kergroach anime un blog.
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