par Romain Miwen
Wembley, samedi 27 mai 2017. Arsenal vient de gagner la finale de Coupe d’Angleterre face à Chelsea. Olivier Giroud enlève son maillot et revêt un T-Shirt blanc sur lequel est marqué : « I am the WAY, the TRUTH and the LIFE… JESUS » (Je suis le chemin, la vérité et la vie), tiré de l’évangile selon Saint Jean (23-6). 38 secondes après son entrée en jeu à la 78e minute, l’attaquant avait délivré la passe décisive pour le but de la victoire.
Les mots de Jésus sont inscrits à la main au marqueur noir sur le vêtement. Toute la soirée, l’attaquant titulaire de l’Equipe de France arborera sur son corps cette parole du Christ, devant le prince William pour la remise du Trophée jusqu’au vestiaire pour célébrer avec ses coéquipiers, notamment l’autre joueur des Bleus, Laurent Koscielny.
Des précédents chez des joueurs sud-américains
On se souvient de la spectaculaire célébration du Brésil après la victoire en finale de Coupe du Monde en 2002. Toute l’équipe et le staff s’était réuni en cercle sur le terrain pour rendre grâce à Dieu. Cette prière spontanée en mondovision a suscité l’ire de la FIFA. Les Brésiliens font de même lors de la victoire en Coupe des Confédérations en 2009, la FIFA est scandalisée et écrit à la Fédération Brésilienne pour lui adresser un sévère avertissement. Le footballeur italien Nicola Legrottaglie s’indignera de la sanction contre ses coreligionnaires brésiliens, en faisant remarquer que la FIFA n’a rien dit quant aux gestes semblables des Egyptiens (musulmans, puisque le sélectionneur refuse les Coptes en Equipe nationale) célébrant leur victoire à la CAN. Pourtant, les louanges chrétiennes des Brésiliens ne sont pas du triomphalisme. En 2014, à la fin de l’humiliante défaite 7-1 contre l’Allemagne, le capitaine malheureux David Luiz s’agenouille et prie, à l’instar d’autres joueurs, suscitant railleries chez beaucoup et admiration chez d’autres pour sa courageuse marque de foi.
Des manifestations de stars du football en compétition européenne ont connu un grand retentissement.
En 2007, le Milan AC gagne la Ligue des Champions face à Liverpool, porté tout au long de la compétition par son meneur de jeu le Brésilien Ricardo Kakà, qui sera sacré Ballon d’Or cette année-là. Le milieu de terrain tombe à genoux en action de grâce, révélant un maillot sur lequel est inscrit « I belong to Jesus » (J’appartiens à Jésus), immanquable pour les caméras braquées sur le meilleur joueur du tournoi, et qui fera couler beaucoup d’encre.
David Luiz, ex défenseur du PSG, après avoir gagné la Ligue des Champions avec Chelsea en 2012, se revêt d’un T-shirt marqué « Deus e fiel » (Dieu est fidèle) pour célébrer la victoire. Le buteur recordman d’Europa League, Falcao, actuel champion de Ligue 1 avec Monaco, a affiché « With Jesus you’ll never be alone » (« Avec Jésus tu ne seras jamais seul) en gagnant la compétition avec Porto en 2011, puis récidive l’année suivante en gagnant avec l’Atletico Madrid, avec le message « Believe and you will see the glory of God » (Croyez et vous verrez la gloire de Dieu »). D’autres joueurs arboreront des messages bibliques (David Alaba en Bundesliga), mais c’est la pépite brésilienne Neymar qui fera le plus parler de lui. En 2015, remportant la Ligue des Champions avec le FC Barcelone à Berlin, devant notamment Manuel Valls, il se ceint d’un bandeau « 100% Jésus », au grand dam de beaucoup de journalistes français. Quelques mois plus tard, la FIFA censure les mots du bandeau de Neymar pour la vidéo de présentation des nominés du Ballon d’Or. Devant la polémique suscitée par la retouche des images, la FIFA affirme avoir effacé le ‘100% Jésus’ « par respect » (sic). Ce qui ne semble pas atteindre Neymar, qui remet joyeusement le même bandeau « 100% Jésus » pour la victoire du Brésil aux Jeux Olympiques en 2016. Il garde cette image comme photo de profil sur les réseaux sociaux.
Si ces signes de dévotion chrétienne offusquent les instances du football mondial, ils trouvent beaucoup de résonance dans certaines régions du monde, notamment chez les chrétiens minoritaires, Afrique, Pakistan, Moyen-Orient. Le football y est très populaire et les chrétiens, qui se voient parfois refuser les portes de la sélection (Egypte), sont sensibles au fait de voir les meilleurs joueurs du monde témoigner sans honte de leur foi.
Un geste inédit pour un Français
Les Brésiliens et les Sud-Américains sont des chrétiens démonstratifs ? A la rigueur, c’est dans leur culture, pourraient justifier certains pour dédouaner cette ferveur religieuse visible. Mais dans l’Europe sécularisé ? On se dit que les joueurs catholiques sont intrinsèquement discrets, ils ont beaucoup moins de goût à en parler en public. On leur répète aussi que leur conviction religieuse doit rester de l’ordre de l’intime, de l’enfoui. En France, l’Association des Maires de France présidée par le LR François Baroin voulait interdire aux footballeurs le signe de croix.
Le football français est davantage le terrain de l’islam. Le chercheur Gilles Kepel parlait de la « hallalisation » de l’Equipe de France. Buffets halal, douches en caleçon, prédominance des codes de la banlieue : l’islam est alors la religion tendance, être musulman suscitant un sentiment d’appartenance fort. Le phénomène a touché le milieu du foot bien avant que l’islam ne devienne un thème central des débats de société. En Equipe de France Espoir, à l’aube des années 2000, déjà 14 quiches lorraines sur vingt étaient sans porc. Alain Perrin déclarait pour Sofoot en 2006 : « La foi des musulmans est plus forte. » Le livre « Racaille Football Club » en 2013 constate que la religion musulmane est dominante en Ligue 1. Le succès se mesure aux conversions. D’abord une vague de convertis antillais, de Didier Domi à Abidal et Anelka, puis de joueurs d’origine africaine, de Frédéric Kanouté à Paul Pogba, et de Français de souche, de Mathieu Bodmer à Franck Ribéry. Ils s’ajoutent aux musulmans de naissance, notamment les Maghrébins, Nasri, Benzema, Ben Arfa.
Pendant la Coupe du Monde de 2010, la présence de clans ethnico-religieux et de caïds traduit un rapport conflictuel avec la France et sa culture, qui a conduit à l’ostracisme violent du joueur l’incarnant le plus, Yoann Gourcuff. A l’époque, il ne fait pas bon être le « bon Français » en Equipe de France. En 2017, le journaliste Pierre Ménès expliquera que Yoann Gourcuff a été victime de racisme antiblanc en Equipe de France, expression encore indicible en 2010.
Puis un phénomène curieux se produit. En 2014, un coach de Ligue 1 note : « La présence plus importante de musulmans dans le vestiaire a pour conséquence un regain de foi chez les chrétiens. Je le remarque depuis peu ». Depuis longtemps, les joueurs musulmans s’affichent volontiers à la Mecque – Özil, Benzema, Paul Pogba, Ribéry, Demba Ba, Abidal…- dans des photos abondamment relayées sur les réseaux sociaux, et adressent leurs meilleurs vœux à leurs coreligionnaires lors des fêtes musulmanes -Nasri, en plein match avec Manchester City en 2012, a soulevé son maillot laissant voir « Eid Mubarak ». Mais à rebours de la sécularisation, quelques joueurs français commencent à parler de leur foi catholique à leur tour. Un Mathieu Debuchy, puis un Yohan Cabaye, non seulement confient aux médias prendre au sérieux leur religion, mais aussi l’affichent ostensiblement, avec des tatouages évocateurs. Antoine Griezmann a fait de même (voir l’addendum). Confrontés à la religion de leurs coéquipiers musulmans, ces joueurs réagissent en revivifiant leurs propres racines spirituelles, aidés par la ferveur décomplexée des footballeurs sudaméricains ou africains. Ils évoquent souvent le rôle d’une grand-mère, d’une mère très pieuse.
Un geste inédit pour Olivier Giroud
On ne s’attendait pas à ce qu’Olivier Giroud affiche sa foi à la Brésilienne. Être catholique n’étant plus si anodin que cela en France, il faut noter que le joueur a été élevé dans la foi chrétienne. Cependant, l’évolution du joueur à l’égard de la religion interpelle. Le joueur a gagné plusieurs finales, mais il n’avait jamais osé un tel témoignage direct. Égérie des gays et des femmes avec son physique avantageux, image sur laquelle il n’avait aucun problème à jouer, avec insouciance, désormais, le footballeur affirme de plus en plus un attachement religieux. Parmi les footballeurs catholiques, Giroud ne semblait ni le plus pieux ni le plus démonstratif. Mais quelque chose s’est passé.
En Equipe de France, l’opposition Giroud Benzema a répété l’opposition Ribéry Gourcuff. Giroud, jusque-là épargné, s’est retrouvé dans le rôle de Gourcuff quelques années plus tôt : il est jalousé et dédaigné par un coéquipier avec qui il aurait pu former un duo offensif, Benzema, qui demande et obtient son éviction du 11 en phase finale de la Coupe du Monde 2014. Seulement, Benzema ne brille pas dans le dispositif tactique qu’il impose au coach, de la même manière que les tauliers ayant obtenu la tête de Yoann Gourcuff s’étaient ensuite vautrés en matchs de poules.
De plus, en juin 2015, éclate l’affaire de chantage exercé par Benzema et ses comparses contre son coéquipier en Equipe de France Mathieu Valbuena. Le Madrilène est écarté, Olivier Giroud prend sa place en pointe de l’attaque. Dans la tête des pro-Benzema, Karim Benzema est victime de racisme. Olivier Giroud est désormais assigné au rôle du « Français de souche » illégitime qui remplace un Arabe. Karim Benzema participe indirectement à la curée par des propos et des « likes » sur les réseaux sociaux contre le Savoyard (voir ici : https://footballvivant.blogspot.fr/2017/03/benzema-fait-entendre-ses-verites.html ). Face aux intimidations qui lui sont désormais réservées à chaque déplacement par une partie du public, l’Equipe titre en Une « Le mal aimé » son interview d’avant Euro de Giroud : « Il y a eu un déferlement médiatique autour de moi parce que je suis le concurrent de Karim. Il y a les pro-Karim et les pro-Giroud. Je ne peux rien y faire. ».
Face à ce racisme inversé dont il est désormais la cible, Giroud n’exprime lui aucune rancœur contre Benzema. Il va néanmoins parler directement de sa foi dans une vidéo de la Fédération Française de Football (lien : https://youtu.be/rslBI36gU8U?t=2m18s ). Avec pudeur au moment de prononcer le nom du Christ, il se lance : « De temps en temps je passe un petit moment avec heu… voilà, avec Jésus ». La séquence fait parler d’elle pendant l’Euro, suscitant étonnement, émerveillement ou gloussements. Double effet : ancrage dans une Transcendance (soutien spirituel), appartenance à l’Eglise (réconfort des autres croyants). La tendance continue : dans L’Equipe Magazine du 25 mars 2017, l’intervieweur s’essaie aux signes astrologiques, Olivier Giroud préfère parler du sacré.
« Avant de venir, j’ai étudié votre thème astral. Je vous propose de l’utiliser comme fil conducteur. Je commence par le chiffre 9, censé être votre chiffre de vie. Ça tombe bien pour un avant-centre, non? »« Ben non… pour moi, le chiffre de ma vie, c’est le 7. Même si je ne le demande pas sur mon maillot. Le 7, c’est un chiffre qui touche au mystique, à la foi, au Christ. Les 7 sacrements, les 7 péchés capitaux, les 7 joies et les 7 douleurs de Marie… Mais je ne suis pas superstitieux. La preuve, je joue avec le 12. […] »
Il revient plusieurs fois sur sa vie spirituelle.
« Il m’arrive de prier en plein match, oui. Parfois, tout ne va pas comme tu voudrais, tu sollicites l’aide de Jésus. Ça me fait du bien pour me reconcentrer. Me focaliser sur l’essentiel. Lui parler me permet de faire le vide. Ça ne dure que quelques secondes, mais ça m’aide à évacuer ma frustration. »
Ce samedi 27 mai, Giroud est allé un cran plus loin. Pour la première fois, un Français porte un témoignage chrétien sur son torse. Coïncidence, le premier jour du Ramadan, les mots de Jésus qu’il a choisi annonce l’unique voie de Salut : « Je suis le Chemin, la Vérité, la Vie ». A lui désormais de glorifier son Seigneur par sa vie.
Addendum : L’autobiographie d’Antoine Griezmann montre la présence de la religion :
L’auteur de ces lignes, qui suit le football depuis des années, trouve l’évolution d’Olivier Giroud fascinante et inattendue. Il est très difficile pour un chrétien français d’afficher sa foi (la conception de la laïcité qu’il a intériorisée, l’aversion de la FIFA vis à vis des gestes chrétiens). Mais l’islam a facilité la religiosité des chrétiens, en les décomplexant et en les obligeant à s’affirmer en retour. Les évangéliques ont aussi inspiré ce renouveau.
> le blog de Romain Miwen
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