Sous la pluie qui tombe sans discontinuer, l’image de la France se brouille. Cette photographie est hélas un symbole offert par le hasard climatique. Pendant longtemps, notre pays faisait envie et se montrait volontiers arrogant. Il n’est pas loin de faire pitié et beaucoup de Français ne se reconnaissent plus en lui. La France se cherche. A force de dénigrer son passé, elle renie son histoire. A force de fuir son identité, elle tend à devenir un curieux mélange d’Afrique et d’Amérique. A force d’accumuler les politiques médiocres et les résultats piteux, elle, qui se voulait exceptionnelle ou exemplaire, devient le vilain petit canard, l’exception qui confirme la règle, l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire.
La course des jeunes Allemands et Français parmi les tombes de Verdun au rythme des tambours du Bronx a soulevé la réprobation chez beaucoup. Sans doute la scénographie imaginée par Volker Schlöndorff a-t-elle pâti du précédent remous provoqué par l’idée stupide de commémorer Verdun avec le rappeur Black M, hors-sujet et même inconvenant, en raison de textes ignobles chantés naguère. On était dans la transgression. Telle n’était pas l’intention du cinéaste allemand. Des jeunes jaillissaient des bois au son de la Marche Héroïque de Saint-Saens et couraient les uns vers les autres au milieu des tombes pour se combattre et pour succomber. Les tambours du Bronx qui rythmaient cette double charge symbolisaient la mitraille tandis qu’une sinistre et géante silhouette représentait la grande faucheuse. Saint-Saens était à sa place, les tambours surprenaient, la mise en scène simpliste utilisait des jeunes qui ont sans doute fait de leur mieux pour faire semblant de se battre et de tomber. Ce n’était pas à la hauteur de l’événement, mais cela ne voulait pas insulter. Simplement, cette commémoration tournait le dos au passé. Le massacre des innocents est une condamnation de la guerre, non un hommage à ceux qui sont morts pour que leur pays soit libre. Les jeunes Allemands et Français réunis célébraient davantage l’Europe à venir que le sacrifice de leurs ancêtres, une manière de souligner son inutilité et d’oublier qu’une nation doit pouvoir en certains moments compter sur l’abnégation de ses membres. La comparaison avec la célébration de l’anniversaire de leur victoire par les Russes est éclairante : c’était la victoire de la Russie dont le passé glorieux engage l’avenir. A l’heure où l’Europe est impuissante et où l’Allemagne négocie avec une Turquie arrogante, qui a l’impudence de stigmatiser la répression policière française, était-il nécessaire d’évoquer un futur aussi flou ? L’Europe ignore ses racines, et son couple-moteur s’engage sur la voie de la submersion. Y courir, c’est négliger le sens du sacrifice des poilus de Verdun. Ils sont morts pour que la France vive.
Les générations montantes sont de plus en plus composées d’immigrés et de descendants d’immigrés originaires d’Afrique. Parmi les immigrés de moins de 18 ans, 38% sont issus du Maghreb, 17% d’Afrique subsaharienne, 16% d’Asie dont 6% de Turquie. Une très forte majorité est musulmane. Au-delà d’une certaine proportion, la transmission de la culture nationale ne s’opère plus. Les enseignants s’inhibent, les enseignés résistent, soit parce qu’ils brandissent d’autres références, soit parce qu’ils ont perdu le goût de leur identité. Le communautarisme fait des ravages. L’identité française n’est sans doute pas une couleur de peau, mais c’est une culture, donc une langue et une religion. La nation est un destin commun que l’on doit vouloir forger ensemble. Or, sous le couvert d’une république dont le mot n’a jamais tant été employé, on s’attache davantage aux différences, on se croit obligé de les représenter, de leur attribuer une place proportionnelle qui ne tarde pas à déborder par souci de réparer des torts supposés envers les minorités. La conscience coupable, facile à éveiller dans une société de tradition chrétienne, se voit constamment accusée de racisme. L’absence de Benzéma dans l’équipe nationale est ainsi présentée comme une preuve par l’intéressé, et quelques agitateurs d’opinion. La photographie de l’équipe retenue rend la critique grotesque, mais son expression même est un symptôme inquiétant. Entre l’enclume du communautarisme et les deux marteaux de l’Europe et de la mondialisation, la France se fissure et risque d’éclater. Entre le verlan des quartiers et le sabir atlantique des élites, les Français ont du mal à s’entendre. Quel gâchis pour ceux qui nourrissent leur amour du pays, aux sources d’une histoire et d’une culture d’une fantastique richesse.
Enfin, il y a le spectacle lamentable de ces intérêts particuliers défendus sans vergogne. On n’hésite pas à utiliser l’arme du chantage en menaçant de poursuivre les grèves et les désordres jusqu’à l’Euro 2016 de football. On préfère sacrifier l’image de son pays plutôt que de perdre des avantages indus qui lui coûtent déjà beaucoup. Très concrètement, les touristes sont importants pour notre économie, nous avons besoin des investissements étrangers, et certains Français sont assez bêtement égoïstes pour les faire fuir ? Comment espèrent-ils garder leur part d’un gâteau qu’ils s’acharnent à réduire ? La médiocrité, entêtée jusqu’au ridicule, des revendications ignore superbement toute fierté nationale. Un syndicaliste CGT allait jusqu’à dire, sans rire, qu’il était plus fatiguant de faire grève que de travailler.
De Gaulle voyait la France comme « la Madone aux fresques des murs » et voyait, non sans envie » chaque Anglais se comporter comme si le salut du pays tenait à sa propre conduite ». Il n’y a pas de réussite économique sans un élan spirituel : Weber l’avait montré. Les Français seront d’autant plus prospères qu’ils penseront davantage à la France et moins à eux-mêmes.
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