Dans la plupart des pays, il est de bon ton d’aider son prochain qui, à un moment ou un autre, pourrait bien rendre la pareille. Et puis, disons-le tout franchement, une société saine repose évidemment sur des valeurs d’entraide qu’on appelait jadis charité et qui, une fois nationalisée et vigoureusement subventionnée par l’État, devient la solidarité (avec, d’ailleurs, le même effet de bord que ce que toute subsidiation provoque immanquablement).
Mais en France, question entraide, il faut y aller mollo.
Oui, venir en aide à son prochain, dans ce pays, est un acte forcément réfléchi, mûri à l’aune de l’expérience et des péripéties qui secouent l’actualité. Faire don de son temps, de son argent, de ses biens ou effectuer un service de façon désintéressée, sur un coup de tête, peut parfois provoquer des effets que certains pourraient hardiment qualifier d’adverses voire désagréables.
Sans même aller chercher dans les récents événements tragiques qui ont tout de même montré que certains n’hésitaient pas à trouver réjouissant le sacrifice pourtant ultime du Colonel Beltrame, force est de constater que la France a bien du mal à gérer ceux qui ont choisi d’aider les autres sans passer par les bonnes voies officielles, qui font des dons mais qui méritent un contrôle fiscal bien poivré, ou qui ont eu l’idée aussi sotte que grenue de contrebalancer une situation injuste par une intervention personnelle immédiate.
C’est ce dernier cas qu’illustre un récent différent musclé entre d’un côté, l’un de ces sentiments d’insécurité défavorablement connu des services de police, et de l’autre, trois légionnaires manifestement pas trop au courant de ce qu’il ne faut surtout pas faire en France.
Les faits sont, comme d’habitude, d’une banalité confondante : dimanche matin, dans le cadre d’une opération habituelle de redistribution de richesses par ingénierie sociale comme on en voit de plus en plus dans ce pays, un jeune mineur arrache le téléphone portable d’une jeune fille dans un wagon de métro, au niveau de la station Saint-Ambroise (XIe) sur la ligne 9 parisienne.
Rien que de très routinier pour les habitués des transports en commun parisien, ce qui n’a pas empêché trois légionnaires en permission à Paris, âgés de 21 et 24 ans, d’être témoins du vol et de décider, très étrangement, de se mettre à poursuivre notre ingénieur social improvisé. La bonne santé et le jarret pétillant de nos fiers soldats leur permettent de rattraper le voleur au niveau de l’impasse Truillot, derrière le boulevard Voltaire (XIe).
Étonnamment, notre futur prix Nobel en communications cellulaires a choisi de ne pas se laisser faire. Las : la Légion ne forme pas suffisamment au vivrensemble et nos trois engagés ont décidé de faire rentrer quelques notions de base (pour tout dire probablement fort conservatrices) dans le crâne de notre jeune apprenti en sciences sociales, au point de lui péter une dent (ce qui, compte tenu de la situation, est finalement un moindre mal).
Pour faire bonne mesure, le trio de légionnaires et le voleur ont été placés en garde à vue. Comme je vous le disais en introduction, il ne pouvait être envisagé qu’on décide ainsi de flanquer une rouste à un voleur, ni – à plus forte raison – qu’on puisse féliciter des militaires d’avoir fait exactement ce pour quoi ils sont payés et entraînés, c’est-à-dire protéger la population qui paye leur solde. Pour la substitut du procureur qui aime les prisons trop pleines et les tribunaux correctement engorgés, il était nettement plus important que ces légionnaires soient poursuivis.
Cette affaire n’en finit pas de surprendre puisqu’au cours de leur garde à vue, les légionnaires dépités ont lâché :
« Si c’est pour se retrouver en garde à vue, la prochaine fois, on n’interviendra pas pour défendre une victime. »
Oh.
Franchement, que voilà une attitude étrange !
Cela nous rappelle avec acuité les péripéties d’une certaine Laurence Rossignol, alors sénatrice de son état et qui avait, souvenez-vous, découvert le sel de la vie lorsqu’un individu même pas élu lui avait sobrement piqué son pognon lorsqu’elle était, un 14 juillet, en train d’en retirer à un automate bancaire.
La pauvre sénatrice, elle aussi dépitée, s’était mise à courir après son voleur sans pouvoir le rattraper, et s’était par la suite épanchée dans les colonnes du Courrier Picard où elle expliquait trouver insupportable l’attitude des riverains, impassibles devant ses déboires et ses appels à l’aide.
En cela, elle rejoignait les constats affolés de certains commentateurs à la bonne conscience en bandoulière qui fustigeaient l’absence de réaction de la foule lors d’une agression à caractère sexuel dans un métro de Lille.
Dans ces deux cas, la soi-disant passivité de la foule était mise sur le compte d’un individualisme et d’un égoïsme sans borne, façonnés par une société ultranéolibérale (ou une variante d’icelle) incitant les uns et les autres à ne surtout rien faire pour troubler les tentatives criminelles de tous ces sentiments d’insécurité défavorablement connus des services de l’État par ailleurs totalement absent. Grâce à un raisonnement implacable type « libéralisme = caca » et « agression sans réaction = caca », on en déduisait que l’un ne pouvait advenir sans l’autre, fermez le ban et lancez le programme de rééducation.
Malheureusement, la réalité rappelle (avec cette histoire soldatesque) qu’elle est un tantinet plus complexe que ces raisonnements pour enfants défavorisés : tout indique que la façon dont on poursuit ceux qui aident trop vigoureusement des victimes joue très défavorablement contre l’extension de cette pratique.
On le sait amplement depuis l’apparition de la bijouterie de combat : l’auto-défense est, quoi qu’il arrive, punissable en France. En parler est moralement condamné. L’évoquer est honni. Y penser montre une déviance. Quant à chercher à sanctionner aussi prestement que possible un malfrat, c’est chose impensable puisqu’on le sait, dans ce pays, une décision de justice, c’est comme le vin : ça demande beaucoup de sueur, pas mal de travail et plusieurs années, ça dépend de plein de facteurs aléatoires dont la météo et ça tourne parfois au vinaigre.
Dès lors, imaginer qu’on puisse refaire les plombages d’un mineur sans papier qui emmerde tout le monde depuis trop longtemps et vole tout ce qu’il peut sans que la police y puisse quoi que ce soit, c’est bien évidemment interdit et passible de poursuites.
Non, décidément, en France, s’aider et aider les autres sera minutieusement préparé, encadré, et surtout pas laissé à l’initiative personnelle. Les débordements d’entraide, les sauveteurs un peu trop enthousiastes, les redresseurs de torts pas assez calmes seront rapidement remis dans le droit chemin, avec une sanction pénale au moins égale à celle de l’agresseur (et une sanction sociale toujours supérieure, certains citoyens ayant encore cette notion idiote de probité et le désir mal placé de conserver un casier judiciaire vierge).
Moyennant quoi, l’individu fera fort de ne pas se défendre et de ne surtout pas aller défendre les autres.
C’est efficace : « la prochaine fois, on n’interviendra pas »…
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