Il me faut commencer ce coup de gueule par une confidence personnelle. Là où j’habite, l’île de La Réunion, aucune radio nationale (ni France-Musique, ni France-Culture, ni aucune des grandes « radios commerciales ») autre que France-Inter, n’est diffusée. Voilà pourquoi, si je veux échapper aux radios locales, lesquelles je dois dire ne volent pas toujours très haut, je dois me résigner à me brancher de temps à autre sur la radio de « service public ».
Je dois donc accepter d’endurer – mais j’y suis par avance bien préparé – des bulletins d’information, trop souvent biaisés et tendancieux dans leur façon de sélectionner ou de présenter les événements dont ils choisissent de parler, des bulletins toujours orientés dans la même direction idéologique et dont on ne peut pas dire qu’ils soient caractérisés par un quelconque souci d’impartialité et par le plus petit effort d’ouverture en direction des diverses orientations présentes dans le champ politique.
J’évite généralement les émissions du matin, où règnent, sûrs d’eux, impérieux et souverains, M. Cohen et sa bande, lesquels, dans les différents domaines qu’ils abordent, pontifient et, sans vergogne, imposent leur propre vision des choses. Ceux-là, quand ils reçoivent des représentants du Front National (pendant longtemps ils s’en sont farouchement gardés mais il a bien fallu à la fin que, de temps en temps, ils s’y résignassent !), c’est pour les soumettre à un bombardement acharné de questions venimeuses, toujours les mêmes, inlassablement répétées, afin de leur couper systématiquement la parole et les empêcher de développer clairement et posément leurs positions devant les auditeurs, comme normalement devrait pouvoir le faire tout responsable politique reçu dans une radio. J’évite aussi les émissions se voulant de détente et affichant des prétentions comiques, celles de Nagui, en fin de matinée, et celle de Charline Vanhoenacker, en début de soirée, émissions honteusement colonisées par des humoristes gauchistes plus ou moins abjectes, voire franchement obscènes.
Alors que reste-t-il d’audible, de décemment écoutable par un citoyen dans mon genre, un citoyen – je l’avoue humblement – de tendance plutôt réac ? Eh bien, il me reste les émissions de l’après-midi. Ainsi chaque fois que je le puis, j’écoute l’admirable « Marche de l’Histoire » de Jean Lebrun, une émission exemplaire pour le respect qu’y manifeste l’animateur envers l’auditeur et envers la personne invitée à échanger avec lui ; j’écoute aussi souvent « La tête au carré », une émission qui propose habituellement des aperçus très intéressants et forts instructifs sur divers aspects de l’actualité scientifique ; j’écoute parfois « Affaires sensibles », quand il advient que le sujet retenu m’intéresse, et j’écoute aussi bien sûr, quand j’en ai l’occasion, l’émission consacrée à la musique classique…
France-Inter : une radio outrancièrement partisane
Ce long préambule un peu trop abstrait et général achevé, il est temps de nous tourner vers les faits concrets et précis qui me poussent aujourd’hui à prendre la plume, des faits qui me paraissent tout-à-fait « emblématiques » (comme on aime aujourd’hui à dire) et parfaitement révélateurs du problème. Lundi 27 mars, j’écoute « La tête au carré ». L’invité de ce jour-là, c’est Hervé Le Bras, un démographe immigrationniste, qui avec la complicité de l’animateur et à l’aide d’un discours d’allure scientifique, entreprend de nous persuader que non, il n’y a pas plus d’immigrés venant aujourd’hui s’installer en France qu’il n’y en eut par le passé, par exemple dans les années 30, et que toutes les inquiétudes qu’à ce sujet l’on entend ici ou là s’exprimer ne reposent sur rien de consistant et d’objectivement vérifiable. A écouter notre fier savant, ce ne seraient là que purs fantasmes dont les victimes ne peuvent être que des individus abusés, des personnes mal informées, intellectuellement déficientes et psychologiquement perturbées. Allons donc !
Cet ahurissant numéro d’acrobatie « négationniste », au cours duquel la réalité se voit allègrement escamotée (une réalité dont pourtant, à l’aide de ses seuls yeux, quiconque visite aujourd’hui les yeux ouverts nos villes et nos banlieues peut aisément faire par lui-même le constat), vise clairement, et même explicitement, le FN et sa candidate. L’animateur, lui, laisse l’invité débiter tranquillement ses arguties les plus spécieuses et ses contrevérités les plus flagrantes sans jamais rien lui objecter. Pourquoi n’a-t-il pas songé à inviter une démographe plus sérieuse et plus honnête comme Michèle Tribalat afin que celle-ci puisse donner à son invité la réplique et contrebalancer ainsi un point-de-vue aussi scandaleusement partial et déséquilibré ? Choqué par ce que j’entends, je me dis que je m’en vais écrire au CSA pour lui faire connaître mon indignation et pour lui demander si, au nom de l’équité, des émissions aussi franchement partisanes ne devraient pas être comptabilisées au crédit ou au débit des divers candidats actuellement en compétition électorale…
Mercredi 29, après le bulletin d’information de 11h, c’est l’émission de Nagui qui commence. Machinalement, dans un sain réflexe, je m’apprête à tourner le bouton mais, suspendant mon geste pour un instant, j’attends cependant d’apprendre quel va être son invité du jour. Ah, c’est l’abominable Guy Bedos ! Beurk… Alors là, d’un doigt décidé, un peu rageusement, j’éteins mon poste… Pourtant, quelques secondes plus tard, j’en viens à me raviser et me dis : « Tiens, après tout, pourquoi pour une fois ne pas l’écouter ? Cela ne pourrait-il pas être pour toi instructif d’observer jusqu’où une telle émission se permet d’aller ? » et, dans un élan d’abnégation aussi héroïque qu’exceptionnel, je décide alors d’écouter ladite émission, afin de me permettre d’apprécier, « de auditu », l’étendue du désastre.
Une telle émission, c’est effectivement quelque chose de terriblement éprouvant. Il y a d’abord la personnalité de Bedos, avec son comique pas drôle, un comique terriblement prévisible. Avec surtout sa phénoménale fatuité, son égocentrisme démesuré et sans fard, avec son manque total d’humour, son incapacité à se mettre un seul instant lui-même en question. Sans cesse, en effet, il la ramène et se met en avant. Avec son très cher ami Rocard, un « frère » dont la disparition le laisse inconsolable, avec Mélenchon auquel (malgré le caractère quelque peu ombrageux du personnage), chaque fois qu’il est sollicité, il consent à accorder très généreusement son précieux appui, avec ses camarades Belmondo, Rochefort et Marielle qu’il a intimement côtoyés pendant ses études au Conservatoire, avec Brassens, Brel et Barbara qui ont tout de suite reconnu son talent naissant et ont couvé ses premiers pas sur la scène, avec Desproges dont il a su, immédiatement et le premier, détecter l’immense génie et qu’il a ensuite chaudement encouragé à poursuivre dans la voie où plus tard il s’illustrera…
Un homme absolument insupportable, mais que pourtant, sur le plateau, tous s’ingénient à flatter d’une façon totalement indécente. Et c’est à qui se montrera à son égard le plus bassement flagorneur… On le loue et le félicite notamment pour avoir arraché à un tribunal ce que l’on devra désormais appeler « la jurisprudence Bedos », une conquête obtenue sur le front juridique dont il est particulièrement fier et pour laquelle il ne se prive pas d’afficher une naïve gloriole. Non, désormais, traiter publiquement sur scène comme il l’a fait Mme Morano de « grosse conne », ne constitue pas une injure caractérisée, du moins aux yeux du juge. C’est là assurément – accordons-le lui volontiers – pour l’humanité en marche vers toujours plus de lumière et toujours plus de progrès, une avancée décisive ouvrant des voies très prometteuses !
Mais il y a aussi d’autres intervenants, des habitués apparemment, que Nagui, flanqué de sa bande pas si « originale » qu’il veut bien le proclamer, écoute avec gourmandise, en gloussant aux meilleurs moments. Un certain Daniel Morin, donne une imitation bête et méchante de Radio-Courtoisie (rebaptisée sans complexe Radio-facho). On commence par entendre la musique de « Maréchal nous voilà », puis un speaker doté d’une ridicule voix de pimbèche prend la parole et fait l’éloge de « Marie-Françoise, élue patriote frontiste qui, à 67 ans, dans un incroyable élan de chrétienté, se tire encore le lait pour le distribuer gratis aux femmes de sa commune qui, pour leur plus grand malheur, ont la mamelle sèche » avant de s’en prendre à « M. Guy Bédos, fantaisiste pamphlétaire léniniste qui depuis 50 ans salit la France de ses saillies bobos-gauchistes qui n’amusent que les traitres à la nation et les rastaquouères qui l’assiègent… » Il y en a aussi pour Ménard, pour Zemmour, pour Valeurs actuelles… et pour les pastilles Vichy (association particulièrement désopilante !) et, bien sûr, pour « Dame Marine qui bientôt sera présidente de la France »… L’humoriste, ayant fini son numéro parodique plein de finesse, reprend alors sa voix naturelle et conclut d’un ton grave : « Oui, je sais, ça fait peur… Mais, attention les amis, je vous rappelle que la menace frappe à notre porte. »
Puis, c’est au tour d’un dénommé Pierre-Emmanuel Barré de nous livrer le résultat de ses « spirituelles » élucubrations. J’ai dit « spirituelles » mais c’est en réalité l’épithète « ordurières » qui eût mieux convenu au ton adopté par sa délicate « chronique ». Qu’on en juge par cet extrait qui devrait séduire nos braves féministes : « Si ma meuf ne veut plus me sucer depuis trois semaines, je ne l’attrape pas par les cheveux pour la forcer. Hein, je me dis, c’est peut-être parce que depuis trois semaines je ne me suis pas lavé la bite. » Ou cet autre : « Nom de Dieu, on a retrouvé 10 ADN différents dans le cul de cet électeur ! Pourtant ils sont 11 candidats ? Oui, mais Mélenchon s’aimait tellement qu’il a préféré s’auto-enculer ! » Je ne me sens pas particulièrement bégueule mais je me pose sérieusement la question : peut-on considérer que ce genre de considérations parfaitement obscènes soit bien à sa place à la radio, surtout dans la journée, à une heure de grande écoute ? Qu’en pense là encore le CSA ?
Un exemple de l’impudence, mais aussi de l’inconscience de ces gens-là. On demande à M. Bedos si, afin d’éviter de se trouver contraint de côtoyer quelqu’un qui lui déplairait, il choisit soigneusement les émissions dont il décide d’accepter l’invitation. Il répond affirmativement mais ajoute aussitôt que, pour ce qui est de l’émission de Nagui, il est bien tranquille car il sait pertinemment ne pas risquer d’y rencontrer Robert Ménard. Si d’ailleurs, ajoute-t-il, une telle chose devait jamais lui arriver, il se retirerait illico. Et Nagui de le rassurer aussitôt : « Mais, mon cher, nous serions alors deux à quitter le studio ! » Qu’est-ce que trahit une telle connivence ? Quel est le postulat implicite, l’évidence sous-jacente, partagée aussi bien par l’inviteur que par l’invité, qui se révèle ainsi à nous ? Cela peut aisément se déduire : nous, c’est-à-dire Nagui, Bedos et les autres personnalités bien-pensantes, nous sommes ici chez nous, pas un Ménard ! Lui et ses semblables, on ne veut pas les voir. D’ailleurs, de fait, les voit-on ? France-Inter, pour eux, c’est donc : « Les gauchistes reçoivent les gauchistes » et « Les gauchistes parlent aux gauchistes » ! L’antenne publique que l’Etat leur a confiée, ils l’ont privatisée et, sans vergogne, se la sont appropriée…
France-Inter : la voix de l’intolérance et de la haine tranquilles
Et les auditeurs là-dedans, les citoyens ordinaires, ceux qui paient la taxe et financent la radio de leurs impôts, y sont-ils chez eux, dans cette radio publique ? Ça dépend… S’ils communient avec les valeurs généreuses, progressistes, tolérantes, fraternelles, « antifascistes », que nous prônons, oui, ils sont les bienvenus. Sinon, qu’ils aillent se faire voir ailleurs. Et s’ils se risquent malgré tout à laisser traîner ici leurs sales oreilles mal-pensantes et réactionnaires, tant pis pour eux ! Qu’ils acceptent alors docilement, ces chiens, de se voir par nous moqués, piétinés, crachés dessus, traités de tous les noms : abrutis, étroits du bulbe, rétrogrades, coincés, grenouilles de bénitier ou fachos ! C’est tout ce qu’ils méritent.
Je n’écoute jamais l’émission de Mme Vanhoenacker, « Si tu écoutes j’annule tout », mais, à deux reprises, étant en voiture, j’en ai capté un bout au vol et, les deux fois, j’ai pu entendre cette dame mentionner en gloussant, « Valeurs actuelles, le journal qu’on emporte quand on va aux chiottes ». De sa part, ça a donc l’air d’être une plaisanterie récurrente, une pique jugée par elle tellement percutante, tellement spirituelle, tellement irrésistible, qu’elle ne peut s’empêcher de la resservir à son public le plus souvent possible. Moi, je regrette mais je ne vois pas pourquoi je devrais tolérer que, sur la radio « nationale », sur « ma » radio, l’on traite de cette façon injurieuse le journal que, chaque semaine, je lis, moi, avec beaucoup d’intérêt. Et je ne vois pas pourquoi, à la place, de temps en temps et pour changer, cette dame ne décide pas de se torcher avec, par exemple, Libération, Le Nouvel Obs ou Télérama ?
L’intolérance de ces gens-là, convaincus au plus profond d’eux-mêmes de leur indiscutable supériorité de droit divin sur les citoyens qui n’ont pas l’heur de penser comme eux, d’adhérer docilement à leurs détestations, de se rallier sans discuter à leurs goûts et préférences, de souscrire aveuglément à toutes leurs admirations, est vraiment sidérante. Pour eux, en effet, tous ceux-là ne sont que de vrais demeurés, d’indécrottables crétins, à qui on devrait même ôter le droit de voter, comme Bedos, ce grand démocrate, n’a pas craint de le suggérer chez Nagui !
Mais tout cela va plus loin que l’intolérance, plus loin que la suffisance béate et l’arrogance tranquille. Ce que bien souvent l’on perçoit à travers leurs propos, c’est plus que du simple mépris, véritablement de la haine. Une haine profonde et bien mal dissimulée. De la part de gens qui font si volontiers étalage de leur antiracisme, qui se réclament d’un humanisme sans frontières et proclament fièrement leur idéal de fraternité universelle, ce qu’ainsi ils manifestent à l’égard de ceux qu’ils appellent les « petits blancs », les « franchouillards », les « beaufs », ceux qui, excédés de voir leur cadre de vie envahi et détruit par la submersion migratoire, donnent leurs voix au Front National, c’est bien une sorte de racisme qui ne dit pas son nom !
Alors, n’y aurait-il pas, se demandera-t-on peut-être, un CSA pour contrôler tout cela, un CSA pour rappeler opportunément à l’ordre une radio qui, loin de respecter tous les Français, choisit d’en flatter certains et d’insulter les autres, un CSA pour dire de temps en temps : « Ça suffit, les gars, décidément vous allez trop loin » ? Il semble que non. Il semble qu’il nous faudra donc encore faire preuve de patience et attendre que puisse enfin accéder au pouvoir un gouvernement décent et respectueux du pluralisme, un gouvernement vraiment républicain et démocratique qui, lui, se décidera à chasser d’un coup de pied au cul tous ces journalistes indignes, tous ces énergumènes insupportables ?
C’est pourquoi j’ai, comme on le voit, décidé d’assumer un rôle de dénonciateur. On peut sans problème, si l’on en a l’envie (et si le bon M. Geoffrin veut bien permettre cet emprunt !), m’appeler « mouchard » ! Le vil mouchard que je suis donc, le sycophante sans état d’âme, ne craint pas de demander poliment au CSA quelles sanctions celui-ci entend prendre à l’encontre de tous ces gens qui squattent impunément les ondes et s’y comportent comme s’ils en étaient les légitimes propriétaires. A l’encontre de tous ces gens qui, à quelques semaines du 1er tour des présidentielles, violent aussi allègrement l’équité de traitement dont, sur les ondes nationales, devraient bénéficier tous les candidats.
Quelles sanctions, quels rappels à l’ordre sont envisagés pour ces gens débordant de mépris et de haine qui, au nom de la promotion de la fraternité et du « vivre ensemble », n’hésitent pas à « discriminer » et « stigmatiser » gravement une part si considérable de leurs concitoyens, des concitoyens qu’à longueur d’antenne ils traitent comme des parias et des moins que rien. Obtiendrai-je une réponse ? Provoquerai-je une réaction ? Je n’en suis, hélas, pas du tout persuadé…
André Pouchet, le 30 mars 2017.
Copie envoyée au CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) www.csa.fr
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