Ça y est, je crois qu’on peut l’affirmer avec force : la campagne pour les élections européennes vient de commencer. Certes, en France, elle a débuté à la minute où Emmanuel Macron a lancé son Grand Débat qui n’est rien d’autre qu’une campagne traditionnelle sous amphétamines camouflée dans la collecte de questions calculées. Certes. Mais pour le reste des Européens, on peut le dire, c’est bon, ça vient de commencer.
Qu’est-ce qui me fait dire ça ?
Il y a des signes qui ne trompent pas : on voit apparaître des petits articulets sur le sujet, on commence à voir se pointer de nouveaux prétendants et de nouvelles têtes de listes un peu partout dans la presse. Mais surtout, on sait qu’elle a commencé dès lors que les institutions de l’Union Européenne tentent de rappeler au citoyen les enjeux de ces élections, ainsi que, dans la foulée, de redorer leur image passablement écornée par les derniers rebondissements européens, depuis le Brexit jusqu’aux tensions internes liées aux migrations plus ou moins contrôlées en passant par le terrorisme et certains tiraillements économiques entre pays membres.
Bref, tout ceci donne d’excellentes raisons à de fiévreux départements de communication et à des Think-Tanks ou autres lobbies pro-européens pour lancer, illico presto, des communications par différents moyens dont la pertinence est parfois sujette à caution pour le dire gentiment.
Concrètement, on se retrouve par exemple avec l’initiative – certes privée, et certes payée par de l’argent privé, c’est toujours une consolation – de Pulse of Europe qui nous fait découvrir ses Lapins Crétins Eurolapins dont l’humour qu’on qualifiera pudiquement de décalé a déjà provoqué quelques petits remous dans les internets et auprès d’un public jeune particulièrement prompt à voir le décalage entre le message qu’on souhaite faire passer (« L’Europe, c’est trop cool ») et le message perçu (« Vous êtes des enfants de 5 ans »).
Malaisation et doutage, gênitude et ambiguïté, impression persistance d’un second degré difficile à capter, ces Eurolapins vraiment pas très malins ont atteint un but : faire parler d’eux. L’autre but, celui d’intéresser les gens à l’Europe, a probablement été raté puisque la tentation du moquage de visage est particulièrement difficile à résister.
Un autre niveau est atteint lorsqu’on (re)découvre la communication du Parlement Européen et son Captain Europe, tout de spandex bleu vêtu et arborant fièrement, sous un tricorne furieusement tendance au XIXème siècle, un magnifique moule-burne doré qui laisse un peu perplexe sur le message qu’on a ainsi souhaité faire passer.
Au départ, l’idée est semble-t-il d’inciter les gens à voter. C’est compréhensible : l’abstention érode clairement la crédibilité des députés qui, si elle devenait trop forte, ne pourraient plus se targuer de représenter quiconque pour réguler la taille des cornichons ou imposer une nouvelle taxe sur (au hasard) les sociétés de streaming cinématographique…
Concrètement, cela donne ça :
– Et toi, c'est quoi ton super-pouvoir ?
– Et bien quand le turion d'une asperge verte n'a pas le calibre voulu, je peux lui opposer une déclassification en catégorie II.
– Ah oui, respect…#CaptainEurope pic.twitter.com/DbY0CS3CYE— X / Y (Z) (@HerbertLeopard) 28 février 2019
C’est assez consternant, on en conviendra, mais notons tout de même que ces efforts traduisent une belle continuité de la tendance générale entamée il y a quelques décennies d’incursion des institutions et des lobbies de l’Union Européenne dans la communication grand public, de façon à la fois extrêmement maladroite et franchement en bordure avec le malaise social gênant.
On se rappellera par exemple d’une précédente vidéo visant à montrer l’importance de l’Europe et de son union face à la montée en puissance des pays émergents, et qui avait été retirée en urgence devant le malaise provoqué. Vidéo qu’on retrouvera ci-dessous. Ce n’est pas charitable mais c’est rigolo et c’est avec vos sous.
Dans la même veine, on pourra évoquer les tentatives consternantes de certains entrepreneurs qui, on ne sait trop sur quels fonds, parviennent à produire des avatars comme Captain Euro (c’est globalement les mêmes idées que notre cycliste à tricorne ci-dessus, mais en version bande-dessinée). Le pauvre super-héros, d’une ringardise presque touchante, avait quelque peu défrayé la chronique il y a quelques années lorsqu’on découvrait que son principal adversaire répondait à certains stéréotypes que l’Union Européenne tente pourtant de gommer ; le billet que j’avais produit à l’époque explique bien le contexte.
Là encore, l’épluchage des productions « vantant » l’Union Européenne laissent perplexe avec cette question lancinante : s’agit-il d’une critique acide et particulièrement second degré de l’Union Européenne ou est-ce d’un premier degré si mal fichu qu’on croirait voir l’acharnement d’un spécialiste du tuning sur un Fiat Multipla ?
Difficile à dire.
Reste qu’entre Captaine Europe et les Eurolapins, tout ceci peine à donner un peu de crédibilité à la machine européenne dont le stock a été pas mal épuisé dernièrement, nonobstant la performance olympique de son président.
Ceci posé, il ne faudrait surtout pas croire que cette critique de ces institutions, infoutues de communiquer de façon idoine avec ses citoyens, est spécifique à l’Union Européenne. En pratique, elle s’applique tout autant à la bureaucratie française.
De façon fort générale, c’est une constante navrante mais facile à documenter : les expertocraties françaises et européennes s’adressent aux populations comme à des abrutis finis.
Et si on peut (on doit) effectivement se moquer grassement de l’Union Européenne et ses Thinks-tanks maladroits qui communiquent avec des crétins en costumes de Prisunic et des dessins animés caricaturaux d’animaux à l’intelligence manifestement contrariée, on ne doit pas oublier que, côté gouvernement français, on s’appuie sans hésiter sur un cador comme Cyril Hanouna ou une séance particulièrement pénible de ministres sur Twitch pour tenter de parler « directement » aux djeunes et aux Gilets jaunes.
En fait, pour l’Europe et la France, c’est un combat similaire : l’électeur n’est pas réellement un adulte (après tout, il vote ce qui veut dire qu’il n’est jamais complètement sorti de cette phase où l’on croit au Père Noël), ce qui semble justifier avec décontraction une infantilisation constante, une déresponsabilisation au maximum et un esprit de débat démocratique résolument à zéro.
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