Ukraine : l’Europe et la diplomatie à la Disney

Depuis plusieurs semaines, maintenant, l’Union européenne tente, vaille que vaille, de soutenir les dissidents ukrainiens, devenus, paraît-il, le gouvernement légitime, à défaut d’être le gouvernement légal, puisqu’aucune élection n’est venue sanctionner leur prise de pouvoir.

Nous avons beau vitupérer et menacer, la situation semble nous échapper. En Ukraine, le pouvoir en place n’exerce qu’un contrôle relatif sur l’est du pays, tandis que la Crimée lui a totalement échappé depuis que, conformément aux accords bilatéraux signés entre l’Ukraine et la Russie, une force militaire russe est stationnée dans la province, dont elle a pris le contrôle, ce qui, par contre, n’était pas prévu par les accords, on s’en doute.

Que faisons-nous ? Nous parlons, nous discutons au sommet et nous promettons des sanctions qui, pour le moment, en demeurent au stade symbolique, voire purement verbal. Pendant ce temps, Vladimir Poutine mène un brillant exercice de realpolitik et annexe une province à la Russie. Disons qu’une province perdue fait son retour dans l’empire… Nous verrons probablement, dans quelques mois, le dénouement de cette pantalonnade, avec un statu quo sous forme de partition de l’Ukraine. D’un côté, la Crimée fera son retour à la Russie, ou deviendra un État satellite. De l’autre, l’Ukraine aura le gouvernement qu’elle souhaite. Mais comme ses intérêts sont largement dépendants de Moscou, on peut parier que le Kremlin demeurera son partenaire privilégié, en dépit des chimères bruxelloises. Conclusion : La Russie aura gagné sur tous les plans, grâce à sa puissance économique et l’assurance diplomatique que lui permet sa force militaire.

C’est sur ce dernier point que l’Europe est en position d’extrême faiblesse. Si les Russes se sont permis de mener des opérations militaires aussi hardies en Ukraine, d’organiser des manœuvres militaires gigantesques aux frontières de l’Europe, c’est parce qu’ils sont assurés de notre passivité. Pourtant, ces actions, il y a quelques décennies, auraient été interprétées pour ce qu’elles sont, des menaces de guerre, voire une déclaration de guerre. Face à ces gesticulations martiales, nous ne pouvons rien faire car, depuis un quart de siècle nous n’avons pas cessé de nous désarmer. Les forces européennes ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes. Ce qui est suffisant pour faire le gendarme en Afrique ne permet pas d’envisager une réponse face à une authentique grande puissance.

Le service militaire ayant été supprimé dans presque tous les États de l’UE ; les forces professionnelles et les programmes d’armement ayant été sans cesse réduits, aucune armée européenne, ni même une coalition des armées européennes n’est en mesure de faire pression sur la Russie. Or, si nous avons les mots de la puissance, encore faut-il en avoir les moyens.

L’armée n’est pas toujours faite pour servir à la guerre. Elle sert plus souvent à la dissuasion et empêche les guerres autant que les coups de force par sa seule présence. Imaginons un seul instant des armées françaises, allemandes, britanniques, italiennes et espagnoles calquées sur le modèle de ce qu’elles étaient en 1991 ; c’est-à-dire capables de mobiliser des centaines de milliers d’hommes, de déplacer aux frontières de l’Europe d’immenses colonnes de blindés soutenus par une aviation importante, tandis qu’en mer, quatre porte-avions se partagent, deux par deux l’entrée en Baltique et en Mer Noire. Dans de telles conditions, certes, nous nous serions fait peur comme jadis nous avons pu nous faire peur durant la Guerre froide, sans pour autant qu’un coup de feu ne soit tiré. Mais surtout, nous aurions certainement fait reculer notre voisin russe, ne voulant pas jouer sa fragile croissance au risque de la Crimée.

“Les Européens ne veulent plus de guerres, mais ils sont prêts à la demander, à l’exiger, et ce avec d’autant plus de facilité qu’ils envoient mourir des soldats professionnels et non des conscrits.”

Seulement, les peuples européens ont choisis de soutenir, d’encourager, un désarmement national tel, non remplacé par un armement européen, que nous ne pouvons pas nous permettre une telle action. Les paroles de Lady Ashton ou de M. Van Rompuy auraient pourtant une couleur autrement plus persuasive vis-à-vis de M. Poutine…

Les citoyens de l’Europe ont cru qu’ils pouvaient se passer d’armée. Jouisseurs impénitents ils voulaient aussi se passer de service militaire. Mais, amateurs de belles histoires où les faits sont noirs et blancs, où il y a d’un côté les gentils, de l’autre les méchants, à savoir la démocratie face aux dictatures, ils ont aussi le caractère de va-t-en guerre. Les Européens ne veulent plus de guerres, mais ils sont prêts à la demander, à l’exiger, et ce avec d’autant plus de facilité qu’ils envoient mourir des soldats professionnels et non des conscrits. Pour les Européens, la guerre est devenue virtuelle, elle a perdu sa réalité et on veut bien commander à des prestataires de services de mourir pour les beaux yeux de la démocratie. Ce sont des guerres idéologiques, qui n’ont d’ailleurs jamais le nom de guerres, mais d’opérations de rétablissement de la paix. Regardez la Bosnie, le Kosovo, la Syrie, l’Ukraine maintenant. Nous exigeons des opérations militaires pour le bien contre le mal, sans nous poser de questions réelles pour savoir où sont véritablement biens et maux. Ce n’est qu’après les opérations que nos dirigeants reviennent, avec des larmes de crocodiles, nous dire que c’était plus compliqué que cela, et qu’il y avait des salauds dans les deux camps. Cette naïveté, cette facilité infantile à disposer de la vie d’étrangers inconnus pour réaliser des contes d’enfants (la démocratie universelle où tout sera beau et gentil) relève de l’univers du dessin animé. Ce qui est effrayant, c’est que l’on joue avec des hommes, avec des États, avec l’équilibre du monde.

Fort heureusement, pour cette fois, l’Europe, empêtrée dans ses contradictions, ne pourra mener ce combat, car on ne peut désarmer d’une main et faire la guerre de l’autre. L’enfant a cassé son jouet et il doit se contenter d’envoyer des observateurs que les miliciens russes repoussent à la frontière sans ménagements…
L’inquiétant dans cette farce est qu’en nous désarmant, nous avons perdu toute capacité à défendre nos intérêts réels et nos territoires. Nous en avons l’illustration. Ainsi, s’il est heureux que le ridicule schéma des fantasmagories idéologiques où la diplomatie ne sert plus qu’à défendre des idéologies, trouve ici ses limites, il est en revanche très dommage pour nous, Européens, que cela nous entraîne aussi à devoir nous coucher devant plus fort que nous, au détriment de nos intérêts stratégiques ou énergétiques, eux, bien réels.

Ce qui se passe en Ukraine devrait nous faire surtout réfléchir sur nous-mêmes. Nous avons fait le choix de la vie facile, du social contre le militaire, du pacifisme contre le réalisme, de l’idéologie contre le pragmatisme, et nous allons en payer le prix fort. Nous pensions, avec condescendance, que des commandos d’élite et des régiments réduits à leur plus simple expression suffisaient à maintenir la paix dans le tiers monde. Nous pensions que la Russie ne se relèverait pas, ou abandonnerait ses ambitions impériales. Mais gouverner c’est prévoir, et nous n’avons pas prévus. Maintenant il faut armer pour défendre la paix. Maintenant il faut armer pour promouvoir nos intérêts.

Si nous ne tirons pas les leçons de cette crise quant à notre défense européenne et nos défenses nationales, nous perdrons, à terme, et notre sécurité, et notre bien être, car, adeptes de la realpolitik sans scrupules et des rapports de puissances d’États à États, la Russie et son ami de circonstance chinois n’auront pas de honte à nous tailler des croupières et à faire de nous leur atelier quand nous aurons mis genoux à terre. Ils auront même leur bonne conscience pour eux quand, vaincus diplomatiquement faute de puissance et vaincus économiquement par leur compétitivité, nous nous plierons aux recommandations sociales d’organisations internationales aux ordres du plus puissant.

À méditer…

> Gabriel Privat anime un blog.

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31 Comments

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  • 0 / 10
  • Frédérique , 7 mars 2014 @ 19 h 20 min

    L’OTAN n’est pas non plus une armée coordonnée et pourtant, l’organisation est bigrement efficace. Demandez donc ce qu’il en pense à Kadhafi.
    Au temps pour moi, je crois qu’ils en est mort.

  • Smarties , 8 mars 2014 @ 0 h 39 min

    Le mouvement des indépendants aux USA (et à l’intérieur l’épiphénomène des TeaParties), La manif pour tous en France, le Printemps arabe, le réveil Ukrainien…

    A bien y regarder cela a déjà commencé.

    La question est plutôt, combien de temps cela va maintenant durer, comment, pourquoi et pour quel résultat.

  • Eric , 8 mars 2014 @ 2 h 31 min

    Non, les révolutions orange ( ou plutot de couleur) sont des renversements de régime dans des pays en difficulté économique , renversées orchestrés par les USA.
    voir le Youtube de 50 mn sur les Américains à la conquete de l’EST

    Une fois le renversement effectué , le président qui succède , pantin des USA favorise l’entrée USA dans le pays ( bases miiltaires, privatisations des ressources etc … )
    Regardes ce que devient le pays . Aucun probleme économique n’est résolu, au contrario, la contestation se retourne envers ce qui l’ont fomenté, et l’implication USA est forte, il y a en retour un effet boomerang qui leur tomeb dessus.
    Il faut regarder ce que sont devenus ces pays : Georgie ( pays explosé), Kirghizie ( régime placé renversé – à noter que les dirigeants placés par les uSA sont exilés arès avoir tiré sur les manifestants), Ukraine en cours d’eclatement … et si une guerre éclate, je prends le pari de la destruction des prioritaires des bases américaines en Lituanie.. Au Vénézuela , on a est à la éneme tentative de coup d’etat , en Syrie on sait ce qui en est . On peut aussi parler de Libye où plus aucun européen ne peut y aller en sécurité

    L’argumentaire de l’article est de dire que si notre armée était plus forte, on ferait plus de guerres… Alors je préfère qu’elle reste faible

  • Eric , 8 mars 2014 @ 2 h 38 min

    l’OTAN a été monté pour garantir la paix en Europe.
    Malheureusement , elle a dégénérée et est devenue force colonialiste guerriere à la solde des USA.

    Sortons de l’UE et de l’OTAN. De Gaulle avait raison.

  • Eric , 8 mars 2014 @ 2 h 39 min

    ou qui garantirait le retour de la Pologne au bercail

  • Eric , 8 mars 2014 @ 2 h 51 min

    tes profs ne t’ont pas appris notre brillante intervention en Irak ( attentats journaliers), en Afghanistan ( d’où toutes les forces d’intervention se tirent – laissant derrière eux un pays en plein chaos qui redeviendra 100% afghan interdit aux occidentaux), la Libye ( detruite et où on ne peut plus y aller en toute sécurité) ,la Cote d’Ivoire , le Mali ( où on intervient à la demande d’un régime putchiste —- tiens ça ne vous évoque rien ), le Centrafrique (on verra le résultat)

    tes profs n’ont fait qu’inclure dans ta cervelle l’interprétation officielle de notre gouvernement, sans bien sur t’expliquer la géopolitique mondiale

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