Il y a des néologismes féconds. Ainsi en est-il paradoxalement du découplage dont l’étymologie évoque plutôt le passage à un état stérile. La copule en logique classique, le couple homme-femme suggèrent en effet l’idée d’un lien rationnel et générateur de conclusions ou d’enfants. Le découplage supprime ce lien comme on brise par exemple le rapport entre des mesures prises en politique agricole avec leurs effets habituellement constatés en découplant production et aides. Le découplage comme la dérégulation ou la déconstruction est l’un des vecteurs de la révolution que vit le monde ou en tout cas « notre » monde, le passage, du parc classique à la française au paysage flou de l’impressionnisme, de l’ordre cartésien et solide au relativisme fluide qui faisait dire à Héraclite : « Tout coule ». Le mot revêt aujourd’hui son double sens de s’écouler et de s’enfoncer. Le processus fait penser à ce qu’on appelle une débâcle lorsque la glace qui recouvrait le fleuve se disloque, que le courant refait surface et que des blocs plus résistants dérivent dangereusement. La débâcle est sympathique puisqu’elle libère le retour du printemps, mais curieusement elle a pris le sens péjoratif de débandade… Cette ambivalence éclaire notre situation, celle d’un monde où les contraintes explosent au point d’effacer les repères, de rendre la pensée confuse et même contradictoire : un monde plus libre et plus dangereux ! Mais la liberté du glaçon emporté par le flux se résume à ce qu’il fonde. La vraie liberté est celle du rameur sur son canoë : certes, il ne va pas remonter le courant, mais il va éviter les rochers et les troncs d’arbres, et pour cela il doit retrouver les repères, l’ordre sans lequel il n’y a pas d’action efficace. Il n’y a de vraie liberté que pour celui qui soumet sa volonté à la raison. Et celle-ci appelle à sauvegarder les couples logiques. Cet impératif peut se décliner dans de nombreux domaines.
Le premier domaine est bien sûr celui du lien constitutif de la société humaine, le mariage assurant la continuité des générations d’abord et la solidarité des sexes ensuite. La diminution de leur nombre, leur remplacement partiel par un contrat plus souple comme le PACS, l’augmentation du nombre des divorces fluidifient la société et y introduisent un désordre dont les les plus fragiles sont les victimes. S’y ajoute l’existence du « mariage unisexe » qui achève de brouiller la conception ordonnée, logique et anthropologique de notre société et de son avenir. Le découplage des couples et le couplage des paires, c’est carrément le passage de l’impressionnisme au surréalisme… Est-ce un progrès ?
Cette dissociation des idées entre elles introduit de telles contradictions qu’on en vient parfois à imaginer nos dirigeants schizophrènes. Ainsi en est-il de la politique internationale où le dégel des deux blocs qui structuraient le monde entre 1945 et 1990 n’a ni conduit à des relations assouplies et pacifiques, ni amené l’ordre du vainqueur de la confrontation, mais a au contraire multiplié les écueils et les tourbillons. Que la croisade démocratique des Etats-Unis et de leurs alliés ait produit un chaos absurde a de quoi stupéfier ! Guerre contre le nationalisme arabe et ses dictatures, mais guerre aussi contre ses adversaires islamistes, alliance avec Israël, mais aussi avec les théocraties wahabites antisionistes, hostilité accrue contre une Russie délivrée du communisme, terrorisme partout répandu où l’on a prétendu mettre fin à la terreur, comme en Libye… Où est la cohérence ? Peut-être dans le trouble même qui affaiblit les Etats et réduit l’humanité à des foules d’individus charriés de par le monde.
Car le découplage essentiel se situe dans le divorce entre le microcosme des politiciens et les peuples qu’ils disent diriger et qui pensent être dirigés. Le phénomène a atteint un niveau critique dans notre pays où la fracture s’élargit sans cesse entre une profession politique bardée de privilèges mais dénuée de véritables pouvoirs et un peuple qui commence à se dissoudre. Le Président paraît indifférent à la réprobation qu’il subit, comptant sur une amélioration de la conjoncture à laquelle il est totalement étranger. On se souvient que le Général de Gaulle, que la gauche accusait de dictature, tenait à vérifier le soutien populaire par des référendums. Mais M. Hollande préfère mettre en oeuvre des réformes technocratiques absurdes sans demander l’avis des intéressés. Le regroupement des Régions en dépit des dépenses déjà effectuées, des politiques lancées et des liens créés se fera sans tenir compte des identités, et sans même réaliser des économies importantes. Il se fera surtout sans que leurs habitants soient consultés. L’essentiel est que la profession se maintienne au travers d’élections de plus en plus tarabiscotées par leurs modes complexes et variés, de plus en plus boudées par des électeurs qui ont compris combien peu ils comptent. Récemment des jeunes de la Droite populaire (UMP) et du FN ont réveillonné ensemble. Quoi de plus logique entre des militants que leurs idées rapprochent ? Les professionnels du PS ont ressorti leur vieil anathème. Les carriéristes de l’UMP ont menacé d’excommunication. Les boutiquiers pensent d’abord à sauver leurs boutiques ! Les jeunes responsables de ce désordre ont bien fait. Les mathématiciens nous le disent : c’est du désordre apporté au désordre que peut renaître l’ordre.
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